Une chose qui met en désaccord AEFJN avec les membres du monde des affaires, les décideurs politiques et les experts du développement est qu’AEFJN s’efforce de donner un visage humain aux politiques économiques. Il pose des questions qui ne portent pas tant sur les indices macroéconomiques, la croissance économique, l’introduction de nouvelles technologies ou le retour sur investissement, mais sur les gens – qu’est-ce qui arrive aux gens, en particulier les pauvres et les personnes vulnérables dans les chaînes politiques des pays et des conglomérats? C’est parce que nos valeurs incitent à regarder, non pas une économie orientée vers le PIB, mais une économie orientée vers les besoins humains. Dans cet esprit, nous sommes constamment poussés à nous interroger sur ce qui arrive à notre communauté humaine, sur les droits humains, sur la coopération et la solidarité humaines, sur la parité / l’égalité des sexes, sur l’autonomisation, sur le respect écologique, sur la distribution et, finalement, sur la justice. Cette orientation s’est de nouveau manifestée lors de notre récente conversation sur la dimension politique des habitudes alimentaires et de la chaîne de distribution des aliments de la diaspora africaine au cours du Forum sur l’alimentation et l’agroalimentaire de la diaspora africaine à Bruxelles.
Avant l’événement, AEFJN, en collaboration avec Food Bridge vzw, la Fédération des Africains Anglophones en Belgique, et les autres parties prenantes, a entrepris une enquête pour avoir une idée de l’ampleur de la participation de la diaspora africaine à l’agroalimentaire et au secteur alimentaire africain en Afrique et en Europe. L’objectif est d’aider les décideurs et les défenseurs du développement à cartographier les tendances et les potentiels sur le marché alimentaire de la diaspora africaine et à s’assurer qu’ils profitent aux Africains. Le résultat intéressant de l’enquête révèle qu’il existe d’énormes potentiels qui se rapportent au marché alimentaire de la diaspora africaine, mais qui ne bénéficient pas encore substantiellement à l’Afrique.
Un aperçu important de l’enquête a montré que la plupart des Africains en Europe ont une préférence pour les aliments africains. Bien qu’ils aient vécu en Europe pendant de très nombreuses années, leurs papilles ne se sont pas complètement adaptées aux cultures alimentaires européennes. Mais ce qui est étonnant, c’est que, bien que la plupart des membres de la diaspora se plaignent de ce que la nourriture africaine en Europe ne soit pas aussi bonne qu’en Afrique, et c’est compréhensible parce que les aliments en Afrique sont encore frais de la source ou du jardin, cependant la plupart d’entre eux sont encore prêts à consacrer une part très importante de leur budget alimentaire à la nourriture africaine. Oui! Ils ont quitté l’Afrique pour l’Europe, mais l’Afrique reste avec eux en Europe.
Cela souligne le fait souvent signalé que ce que les gens mangent est étroitement lié à leur sens de l’identité, qui influence fortement leurs choix et leurs préférences alimentaires. L’effort de patronner continuellement la nourriture africaine fourni par la diaspora en Europe, malgré la «dévalorisation» de sa qualité à travers la chaîne de transformation et de distribution, est une expression de la résilience de leur identité africaine à travers leurs choix alimentaires.
Le résultat de l’enquête attire l’attention sur les politiques internationales et les programmes économiques qui balancent la sécurité alimentaire des gouvernements nationaux africains sans tenir compte des valeurs culturelles, sociales et même religieuses des aliments pour les populations, car cela équivaut à une érosion graduelle et systématique de l’identité des peuples africains. L’insinuation que la quête de la diaspora pour la nourriture africaine est nostalgique ne peut qu’être très inquiétante. Elle sape fortement les valeurs de la diversité culturelle humaine, l’éthique de l’internationalité et les principes de la mondialisation.
Dans cette optique, nous devons nous lasser de ces pactes et programmes économiques qui favorisent la monoculture industrielle et les aliments génétiquement modifiés (OGM) en Afrique au détriment de la diversité alimentaire, des cultures et des systèmes alimentaires africains. Non seulement cela détruit les forêts africaines, contamine le sol, les cultures et systèmes alimentaires, mais cela érode les valeurs culturelles qui y sont liées. Déjà, un certain nombre de produits forestiers africains ont disparu à cause de la déforestation massive en Afrique orchestrée par l’agriculture dite industrielle. L’Afrique ne se contente pas de garantir la sécurité alimentaire, mais elle a besoin de la sécurité alimentaire qui sera en phase avec son autonomie culturelle, ses valeurs et son identité.
Ce qui est encore plus intéressant dans cette enquête, c’est que les Africains nés en Europe montrent encore une préférence incroyable pour les cultures alimentaires africaines. Cette tendance est compréhensible parce que les parents partagent leurs repas avec leurs enfants. Les indices économiques de l’offre et de la demande sont liés aux options alimentaires de la diaspora africaine. Cela signifie que, avec la migration croissante des Africains vers l’Europe, le marché alimentaire de la diaspora africaine recevra un effet multiplicateur sans précédent.
Mais dans quelle mesure le marché alimentaire de la diaspora africaine contribue-t-il aux économies africaines? Le résultat de l’enquête à cet égard montre deux points de vue connexes qui pourraient nécessiter l’intervention des décideurs et des planificateurs du développement. Le premier est l’ampleur de la disparité des prix entre les coûts des aliments d’Afrique subsaharienne dans les magasins européens et leur origine en Afrique, au profit des magasins européens. Le second est que la plupart des vendeurs de nourriture africaine sont des Asiatiques. Les implications évidentes de ces résultats sont que les producteurs alimentaires africains souffrent aussi de ce qui a été le sort des minéraux solides extraits de l’Afrique. Alors que les ressources africaines contribuent de manière significative à d’autres économies, il n’y a pas de retour substantiel vers les pays africains qui génère des ressources. Les statistiques disponibles montrent que les principaux acteurs africains de cette chaîne de valeur vivent dans la pénurie. Mais pourquoi est-ce ainsi ? Nos enquêtes montrent que tandis que les Africains sub-sahariens sont très désireux d’exploiter la distribution alimentaire, ils en sont systématiquement exclus par des conditions très strictes et parfois ‘non écrites’ d’obtention des informations, licences et prêts nécessaires à l’entreprise.
Les résultats de notre enquête sont des situations qui appellent une révision et un examen sérieux en raison de leurs conséquences socio-économiques, non seulement en Afrique, mais aussi bien pour l’Union Européenne. La prédominance des vendeurs non-Africains d’aliments africains soulève des questions sur les obstacles ‘non écrits’ et ce qui les anime. Est-ce un cas d’utilisation de normes différentes subtiles et non écrites pour évaluer différentes personnes pour la même entreprise? Les valeurs et normes éthiques de l’UE ont systématiquement et manifestement rejeté de telles exclusions institutionnelles et sociales. Il est nécessaire d’étudier le réseau étendu et en croissance rapide de la demande et de l’offre d’aliments africains sur le marché européen. Il est impératif que l’UE développe une vision de la distribution de la nourriture africaine dans l’Union Européenne qui élimine les limitations non fondées pour les Africains sub-sahariens, afin qu’elle contribue davantage à l’économie de l’Afrique, et aux femmes et aux enfants ruraux qui produisent les aliments.
AEFJN soutient en outre, entre autres, qu’est devenue nécessaire une définition claire de politiques plus inclusives guidant le mouvement des aliments africains vers l’UE et au sein de ses pays qui contribueront à la réduction de la pauvreté en Afrique. Nous pensons que cela réduira également le désir des jeunes Africains d’émigrer en Europe, tout en contribuant à la qualité de vie des producteurs alimentaires africains. Une telle clarification garantira que toutes les parties prenantes obtiennent leur dû. C’est une action politique qui constituera une véritable valeur ajoutée aux relations économiques de l’UE avec l’Afrique.
Chika Onyejiuwa
Secrétaire exécutif