Présent en Afrique depuis le milieu des années 1980, l’entreprise Bolloré s’est muée en un empire implanté dans 46 pays du continent, investissant dans divers domaines tels que le rail, le transport de marchandises ou encore les plantations agricoles. Dirigée par l’industriel français Vincent Bolloré cette entreprise est parmi les plus puissantes de France.
Depuis plus de dix ans, des ONG internationales et des citoyens camerounais dénoncent les violations présumées des droits humains et environnementaux de l’entreprise de production d’huile de palme Socapalm, pointant la responsabilité du groupe Bolloré. Cette entreprise appartient à la société belgo-luxembourgeoise Socfin, elle-même détenue à 38,7 % par le groupe français.
En 2010, quatre ONG, dont l’organisation française Sherpa, ont lancé une première action contre le groupe Bolloré en déposant un recours devant le Point de contact national français (PCN, organisme qui défend les principes de bonne conduite des entreprises de l’OCDE). Cette action a abouti, en 2013, à une médiation entre les ONG et le groupe Bolloré, au cours de laquelle est élaboré un plan d’action pour « l’amélioration des conditions de vie et de travail des employés des plantations et des populations locales » [1] pour la Socapalm négocié par Sherpa et par le groupe Bolloré. Sa mise en œuvre devait s’étaler sur deux à trois années. Ce plan d’action devait être suivi par un organisme indépendant qui prendrait en compte l’implication des partenaires locaux. En mars 2014, les parties, le Groupe Bolloré et l’association Sherpa, ont validé la sélection de cet organisme.[2] Mais en décembre 2014, le groupe Bolloré a fait état des difficultés dans la mise en œuvre du plan d’action par le groupe Socfin, actionnaire majoritaire de Socapalm et relation d’affaires du groupe Bolloré.[3]
Dans un communiqué du 18 mai 2016, le PCN français dressait un bilan en demi-teinte de la saisine et rappelait en annexe les étapes du dossier depuis 2010. Il notait que le groupe Bolloré a usé de son influence vis-à-vis de ses relations d’affaires mais que sur le plan formel le plan d’action pour la Socapalm n’était pas encore mis en œuvre. Il constatait que le centre de gravité pour l’exécution du plan d’action s’était déplacé du groupe Bolloré vers le groupe Socfin. Il notait, enfin, que le Groupe Socfin ayant accepté les bons offices du PCN belge, cela permettait d’ouvrir une nouvelle phase de la saisine pour que le Groupe Socfin et les plaignants entament le dialogue sous le leadership du PCN belge, dans la continuité des décisions précédentes et en coordination avec le PCN français. Dès lors, le leadership de la saisine a été transféré au PCN belge compétent pour interagir avec le groupe Socfin.
Le PCN belge a offert ses bons offices au Groupe Socfin et à Sherpa en 2016 et 2017 et a conduit une médiation entre les parties. Il a coordonné son action avec les PCN français et luxembourgeois. Le PCN belge a publié un communiqué final le 15 juin 2017 dans lequel il constatait le désaccord entre les parties. Il adressait des recommandations et s’engageait à en faire le suivi. Dans un communiqué de suivi du 26 novembre 2018, le PCN belge notait que « D’une manière générale, de nombreuses critiques se font toujours entendre et la situation camerounaise semble toujours délicate. En 2019 plusieurs organisations ont engagé une procédure judiciaire en France au sujet du plan d’action de la Socapalm et qu’une circonstance spécifique citant cette saisine a été déposée auprès du PCN des Pays Bas.
A la rentrée 2021, un nouvel épisode s’est ouvert par une action en justice engagée en France par 145 Camerounais contre le groupe Bolloré accusé de non-respect des droits humains et environnementaux dans ses plantations d’huile de palme. Les plaignants, qui vivent aux abords des plantations, réclamaient au groupe Bolloré des documents permettant d’établir ses liens avec la Société camerounaise de palmeraies Socapalm, qu’ils accusent de violer leurs droits. Cette procédure avait pour but d’établir la responsabilité du groupe français et d’obtenir des compensations. Le 7 janvier 2022 le tribunal de Nanterre a statué en faveur du groupe Bolloré, rejetant la demande des plaignants.
Depuis 2010 la situation de ces communautés riveraines des exploitations de Socapalm-Socfin-Bolloré n’ont cessé de crier réclamant d’être entendues et c’est la raison pour laquelle un plan d’action était mis en place pour essayer d’apporter des réponses aux questions soulevées par les communautés. Cette décision du tribunal vient surement briser leur espoir. Mais malgré ce revers, la procédure, qui a pour but d’établir la responsabilité du groupe français et d’obtenir des compensations, continue.
Odile Ntakirutimana
[1] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Institutionnel/Niveau3/Pages/bd7a00fc-6949-450b-bc40-aa09ac044ab0/files/aefc5121-87cf-4319-8d53-4e6cdd945554
[2] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Institutionnel/Niveau3/Pages/bd7a00fc-6949-450b-bc40-aa09ac044ab0/files/aefc5121-87cf-4319-8d53-4e6cdd945554
[3] https://www.tresor.economie.gouv.fr/tresor-international/pcn-france/circonstance-specifique-groupes-bollore-et-socfin-socapalm-au-cameroun