Le but des entreprises privées est de développer une activité qui rapporte un bénéfice économique à ses actionnaires ou propriétaires. Peu d’entreprises privées, en dehors de la recherche du rendement économique, ont dans leurs statuts un objectif altruiste qui vise le développement intégral des personnes ou la protection de l’environnement. La réglementation légale des entreprises est toujours en conflit avec leurs intérêts économiques et l’autoréglementation éthique des entreprises est associée à tort à une diminution des bénéfices. On considère que plus une entreprise doit se conformer à des réglementations, plus ses obligations sont grandes. Ces règlements nécessitent un surplus d’investissements dans les questions d’ordre matériel et social et on suppose donc qu’en conséquence l’entreprise perçoit une marge bénéficiaire plus faible.[1]
Jusqu’à présent, les sociétés transnationales (STN), en ce qui concerne les droits de l’homme et l’environnement, sont soumises à la législation nationale du pays dans lequel elles exercent leur activité et dans lequel elles ont leur siège social. De même, les traités ou protocoles internationaux qui promeuvent les droits de l’homme et protègent les communautés, n’obligent les entreprises que si le pays a signé et ratifié les dits traités. [2]
Les États veillent à la mise en œuvre et à l’application des traités internationaux. Il existe des cours internationales de justice ayant la capacité de juger certains crimes contre l’humanité mais seulement dans des cas bien précis. Par contre, il n’existe pas de législation obligatoire commune en matière de droits de l’homme et d’environnement pour toutes les transnationales, quel que soit le pays dans lequel elles opèrent. De plus, c’est bien connu, que les multinationales, lorsqu’elles opèrent dans d’autres pays, sont passées maitre dans l’art d’éviter leur responsabilité civile et pénale. Jusqu’à présent, à quelques exceptions près, la société mère d’un groupe d’entreprises européen se considérait comme non responsable du comportement de ses filiales lorsqu’elles opèrent en Afrique. [3]
Il existe d’innombrables cas connus en Afrique où de grandes transnationales (SHELL, TOTAL, GLENCORE, SOCFIN, FERONIA, etc.) ont systématiquement violé les droits de l’homme en toute impunité ou enfreint la législation internationale en matière d’environnement sans que les Etats aient les moyens nécessaires pour mettre fin à cette impunité. Mais les grandes entreprises transnationales ne sont pas les seules à adopter cette attitude, de nombreuses autres petites et moyennes entreprises (PME) internationales profitent de la fragilité des institutions démocratiques et de la corruption dans les pays en développement pour maintenir des comportements qui les soustraient à leur obligation de respecter les droits fondamentaux des personnes et des communautés.[4]
Même si les mécanismes internationaux relatifs au comportement des entreprises sont de plus en plus exigeants, ces principes ou lignes directrices sont volontaires et laissent leur mise en œuvre à la discrétion des entreprises elles-mêmes. Les conventions internationales sur les droits de l’homme et l’environnement sont souvent ignorées et les populations et communautés locales sont laissées sans protection. Les systèmes juridiques nationaux sont insuffisants pour protéger les droits fondamentaux et l’environnement, ce qui rend presque impossible pour les victimes d’accéder à la justice ou de demander réparation pour les dommages causés par les STN. Pour cette raison, des mécanismes internationaux contraignants sont nécessaires pour exiger un comportement approprié et un contrôle des transnationales
Certaines multinationales affichent la mise en œuvre de directives volontaires pour les entreprises et les droits de l’homme comme une publicité pour un comportement éthique qui rend les entreprises attrayantes pour les investisseurs et les actionnaires. Mais on découvre aussi de nombreux cas où cette publicité n’obéit pas à la réalité et où l’image projetée est inventée ou falsifiée, comme ce fut le cas rapporté par AEFJN à Madagascar. [5]
Le traité juridiquement contraignant des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme est l’occasion de transformer les mécanismes volontaires de respect des droits de l’homme et de l’environnement en obligations directes des entreprises, auxquelles elles doivent rendre compte à la société. Les mécanismes volontaires sont clairement insuffisants et le traité doit être uni à la création d’une Cour internationale de justice établie pour juger du non-respect des obligations directes par les entreprises. Une telle cour présenterait de multiples avantages :
Premièrement, la création d’une cour internationale de justice pour les sociétés transnationales renforcerait la tâche des États en matière de garantie des droits de l’homme et de l’environnement. Il s’agit d’une politique proactive de la part des entreprises qui ne se limiteraient plus à éviter certains conflits mais à agir de manière proactive en faveur des droits des personnes, des communautés locales et de l’environnement.
Deuxièmement, la création d’une cour de justice internationale pour les STN permettrait de renforcer l’efficacité des droits de l’homme. Le traité contraignant de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme doit définir quelles sont les obligations exactes des entreprises et permettrait de classer pour quelles actions et omissions des entreprises, celles-ci pourraient être jugées, sanctionnées et punies.
Troisièmement, une Cour internationale de justice pour les STN garantirait l’accès à la justice pour les victimes et une réparation équitable pour les droits lésés par l’activité des STN. Les obligations des STN ne seraient pas simplement un respect des mesures légales mais une action pour défendre et protéger les droits des travailleurs et la santé des communautés.
Enfin, la Cour internationale de justice pour les STN renforcerait la protection de l’environnement par des obligations concrètes. Les entreprises seraient tenues de réparer les dommages environnementaux causés par leur activité économique, ainsi que de restaurer l’environnement une fois leur activité terminée.
Le traité contraignant doit donc inclure dans ses articles la création d’une Cour internationale de justice pour les STN dotée de pouvoirs clairs et concis permettant la mise en œuvre des exigences du traité. Sinon, nous nous battrons pour un traité sans clauses dans lequel les Etats pourront continuer à agir sans l’ardeur nécessaire pour mettre fin à l’impunité des STN.
AEFJN défend la création d’un tel traité contraignant qui dispose d’un pouvoir suffisant pour juger le comportement des STN qui privilégient leur bénéfice économique au détriment des droits de l’homme et se croient autorisées à agir sans avoir à rendre de comptes aux Etats et à la population. La CI de Justice pour les transnationales n’est pas un substitut à la justice nationale mais un mécanisme de plus qui aide les nations à protéger la dignité humaine.
José Luis Gutiérrez Aranda
AEFJN Advocacy Officer
[1] Government Regulations: Do They Help Businesses? https://www.investopedia.com/articles/economics/11/government-regulations.asp
[2] https://www.un.org/en/model-united-nations/international-court-justice
[3] SHELL Company in Nigeria: Decades of Crime and Impunity http://aefjn.org/en/shell-company-in-nigeria-decades-of-crime-and-impunity/
[4] Corporate Impunity: Strategies of struggle in Africa https://www.foei.org/news/corporate-impunity-africa
[5] Analyse socio-économique de l´impact des activités de la société Fuelstock Madagascar