Ma participation à la Caravane CGLTE (Convergence Globale des Luttes pour la Terre et l’Eau) a continué à m’enrichir d’expériences intérieures transformatrices et profondes. Tout en me donnant une occasion unique d’être en première ligne de l’action sociale, elle a également remis en question mes idées et mes stratégies de travail pour les pauvres. En effet, l’idée de travailler pour les pauvres nous place déjà dans une position supérieure par rapport à l’autre. Il est vrai que ceux que nous appelons les pauvres sont économiquement et socialement moins privilégiés, mais cela ne réduit en rien leur humanité à la nôtre.
En fait, l’idée de travailler pour les pauvres nous empêche de rencontrer les personnes en face de nous avec la richesse de leur dignité. Nous nous rapprochons plutôt d’elles à partir des images que nous avons d’elles en tant que pauvres. Il reste à se demander si nous pouvons vraiment travailler avec ou pour les pauvres sans être avec eux pour faire l’expérience de leur monde. L’effort de se tenir avec les pauvres devient immédiatement un miroir qui nous aide à voir nos propres vulnérabilités. Il faut la grâce de Dieu pour se permettre d’être continuellement confronté à ces vulnérabilités, ce qui constitue le portail vers un changement transformateur, tant pour l’individu que pour les institutions. En effet, il y a des signes de changement transformateur qui se produisent de part et d’autre des acteurs de l’Église et des acteurs du CGLTE, mais ces nouvelles expériences doivent être conservées et nourries dans une calebasse.
Le fait de rappeler que ma participation à la 2e édition (2018) pourrait marquer la participation formelle d’un acteur de l’Église à la Caravane me place dans une position avantageuse pour mettre le doigt sur les signes des changements transformateurs en cours. Comme prévu, mon entrée dans la caravane m’a donné l’impression d’être un mouton parmi les chèvres. « Que fait ce prêtre parmi nous ? » se demandaient les participants. « Est-il vraiment un prêtre catholique ou fait-il semblant de l’être ? » ; « Pourquoi est-il différent des autres ? » ; « Qu’est-ce qui a changé en lui et ainsi de suite ? ». Une partie de moi était rebelle, mais une partie plus profonde de moi était calme, et désireuse de tendre la main aux gens de la Caravane. Cette partie profonde de moi a tenu bon, faisant la file pour prendre ma propre part de ce qui est servi comme repas, supportant de ne pas avoir d’eau pour prendre un bain parfois, faisant la file pour utiliser les toilettes et ainsi de suite avec les gens. Cette rencontre a démystifié le prêtre que je suis et a fait de moi un être humain comme les autres. Le résultat a été la prière d’introduction dans le programme d’activités de la Caravane dominée par les musulmans. C’est devenu une source d’inquiétude pour moi d’assumer la responsabilité d’un aumônier pour la Caravane, mais après un dialogue avec les organisateurs sur les implications négatives possibles, ce point de l’ordre du jour a été alterné entre moi et un musulman.
Que nous voulions l’accepter ou non, nous nous sommes forgé des images de l’autre et seules des rencontres honnêtes peuvent transformer ces préjugés fondés sur des différences socio-économiques, de couleur et de religion en amour et en solidarité humaine. L’édition actuelle de la caravane est pour le moins une expérience rafraichissante pour moi. Certains de ceux qui n’étaient pas dans l’édition 2018 de la Caravane m’ont approché pour demander si j’étais le Père Chika. Il n’était pas nécessaire d’interroger leur mission puisque ce sont certainement des questions de curiosité.
Un autre signe significatif du changement transformateur progressif en cours est apparu lors de notre visite programmée au Président de la Guinée. Il était prévu que la délégation de chaque pays soit représentée par un homme et une femme. Trois femmes se sont approchées de moi, chacune me demandant de la prendre comme compagne puisque j’étais le seul du Nigeria. Il s’agissait de femmes musulmanes portant le hijab de la tête aux pieds. Cependant, ce qui reste indélébile dans mon esprit est ce qui s’est passé par la suite. La femme choisie est devenue « la femme du Père Chika dans la caravane », au grand plaisir de tous. En discutant avec elle pendant que nous attendions le Président de la Guinée au palais présidentiel, nous avons découvert qu’elle était une femme solide qui se battait pour faire la différence dans le monde. En effet, le terrorisme islamique a donné une image négative des musulmans et nous a empêchés de voir leur humanité. Les terroristes sont simplement des personnes qui ont perdu le contact avec leur humanité et non parce qu’ils sont musulmans.
Bien que je ne fasse pas partie de l’équipe de coordination de la CGLTE, j’ai été appelé à l’écart pendant cette édition de la Caravane chaque fois qu’une question m’a été soumise pour demander mon avis et certaines de mes suggestions ont été présentées comme la décision de l’équipe de coordination. C’est peut-être le genre de rôle que l’Eglise pourrait jouer pour la société civile si elle s’ouvre à travailler avec cette dernière, mais l’Eglise devra démontrer qu’elle est prête à être une mère.
Il semble y avoir un cheminement similaire de la part de l’Eglise institutionnelle en Afrique de l’Ouest (CERAO = Conférence Episcopale Régionale d’Afrique de l’Ouest). Lors de l’édition 2018 de la Caravane, une seule Caritas nationale a été impliquée dans la préparation et les activités au niveau du pays. Le directeur de la Caritas de ce pays n’a cessé de raconter l’expérience et la perspective de changement de vie qu’il a apportées à la Caritas. On constate même une participation impressionnante et progressive de l’Eglise dans la Caravane actuelle. Sur les cinq pays traversés, trois Caritas nationales ont participé aux activités au niveau national à des degrés divers. La participation exceptionnelle d’une communauté paroissiale locale dans l’un des pays, qui a donné les locaux de son école pour accueillir les participants, a aidé à les accueillir et la participation physique de l’évêque d’un diocèse dans un autre pays est remarquable. La CGLTE est plus ouverte à la collaboration avec l’Eglise.
Le mythe selon lequel l’Eglise est une institution riche et inaccessible s’estompe rapidement. Grâce à leur travail de collaboration avec ces Caritas nationales, ils ont pu constater que l’Eglise n’est pas un dépôt de fonds qui attendent d’être dépensés. C’est à partir de sa pauvreté qu’elle fait ses interventions sociales et les deux sont sur la même route pour la justice sociale.
Ce sont quelques-uns des signes du nouvel esprit qui se développe dans l’Eglise de la CERAO et que la CERAO ne laissera jamais sans suite. La CERAO pourrait envisager de prendre des mesures pour organiser un bilan avec ces ambassadeurs de l’Eglise, pour apprendre d’eux et définir les prochaines étapes de ses stratégies avec les conférences nationales. En particulier, leurs expériences constitueront un aspect important de l’ensemble des messages du pèlerinage de la Justice en ligne qui pourraient être apportés à la plénière des évêques de la CERAO pour de nouvelles réflexions et actions. L’Eglise qui écoute change et reste vivante, mais l’Eglise qui n’écoute pas reste stérile et meurt. Il est évident qu’il n’y aura de véritable changement institutionnel que lorsque l’Eglise écoutera librement les expériences ses enfants. C’est peut-être pour cela que le Pape François a rendu le prochain synode participatif et que la CERAO fera bien d’emprunter une feuille au Pontife.
Chika Onyejiuwa CSSp
AEFJN, Bruxelles.