La Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des paysannes et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, a été adoptée fin 2018 par les Nations Unies (ONU) à une large majorité (121 votes pour, 54 abstentions, 8 votes contre). Cette Déclaration marque l’aboutissement d’un processus historique : elle est le résultat de près de 20 ans de mobilisation de la Via Campesina[1] et de ses alliés, et de 6 ans de négociation au Conseil des droits de l’homme de l’ONU.[2]

L’Équipe du Projet Objectifs du Millénaire sur la faim a montré que 80 % de la population qui souffre de la faim à travers le monde vit dans des zones rurales. Soixante-quinze pour cent (75%) du milliard de personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté aujourd’hui dans le monde, habitent et travaillent dans les zones rurales. Les crises alimentaires mondiales de 2008 et 2009 et le corona virus qui secoue le monde entier depuis fin 2019 ont aggravé la situation. La moitié des personnes qui souffrent de la faim sont des petits exploitants qui dépendent principalement ou partiellement de l’agriculture pour subsister. Quelque 20 % sont des familles sans terres qui survivent comme métayers ou comme ouvriers agricoles mal payés et qui doivent souvent passer d’un travail précaire et informel à l’autre ; 10 % vivent dans des communautés rurales de pêche de chasse et d’élevage traditionnels. Les femmes représentent non moins de 70 % de la population qui souffre de la faim dans le monde et la grande majorité d’entre elles travaillent dans le secteur de l’agriculture.[3]

Malgré l’existence de plusieurs instruments internationaux de protection des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des individus, les chiffres ci-haut indiquant le nombre de personnes touchées par la faim en milieu rural n’a cessé d’augmenter. Les discriminations envers cette catégorie de la population se perpétuent. Les études sur les violations de droits humains commises envers les populations rurales démontrent que les instruments de droits humains existants ne suffisent pas à les protéger et que certains aspects spécifiques de la condition de paysannes ou de paysans ne sont pas suffisamment pris en compte. Le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies s’est rendu compte de la nécessité très importante d’un instrument juridique spécifique visant à renforcer de manière explicite les droits des personnes vivant et travaillant en milieu rural. Le résultat en est la « Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des paysannes et des autres personnes travaillant dans les zones rurales ».

En 2010, le Conseil des droits de l’homme a chargé le Comité consultatif d’entreprendre une étude préliminaire sur les moyens de promouvoir davantage les droits des personnes travaillant dans les zones rurales, et notamment les femmes, en particulier les petits exploitants engagés dans la production de denrées alimentaires et/ou d’autres produits agricoles.[4] En 2011 et 2012, le Comité consultatif a présenté cette étude identifiant cinq causes principales de la faim qui touche particulièrement les paysans et paysannes et les autres personnes qui travaillent en milieu rural: Expropriations, expulsions et déplacements forcés ; Discrimination à l’égard des femmes ; Absence de réforme agraire et de politiques de développement rural, y compris en matière d’irrigation et de semences ; Répression et incrimination des mouvements de protection des droits des personnes travaillant dans les zones rurales ; Absence de salaire minimum et de protection sociale. Le récent phénomène mondial d’appropriation des terres (accaparement de terres) est venu ajouter une nouvelle dimension à ces sujets de préoccupation alors que gouvernements et sociétés privées tentent d’acheter et de louer de grandes étendues de terres productives dans d’autres pays, pour y produire des aliments en vue de les exporter dans leur propre pays ou pour cultiver des biocarburants destinés à remplir les réservoirs à essence du monde du Nord.[5] Les supermarchés achètent leurs produits prioritairement aux grands producteurs, capables de fournir de plus grandes quantités. De par leur pouvoir de marché, les supermarchés dictent souvent les prix au rabais. Ces prix bas engendrent à leur tour des salaires de misère et un manque de protection des travailleurs agricoles.

L’aboutissement de cette déclaration constitue une avancée majeure pour les droits des paysans et paysannes et d’autres personnes travaillant en milieu rural. Les droits qui y sont stipulés constituent des conditions à la réalisation du droit à l’alimentation des groupes cibles, et notamment : le droit à la terre ; le droit aux semences ; le droit à des moyens de production comme l’eau, des crédits et des outils ; le droit à la souveraineté alimentaire. La plupart de ces droits sont nouveaux et n’apparaissent dans aucun autre  instrument de droits humains. C’est le cas par exemple du droit à la terre, aux semences et aux moyens de production.

 

Les Etats ont une grande responsabilité de veiller à ce que les paysans et autres personnes travaillant en milieu rural jouissent pleinement de leurs droits. Dans le contexte de la déclaration, les Etats ont entre autres l’obligation de respecter et de protéger : ils ne doivent pas interférer dans la réalisation des droits des paysans et paysannes ; ils doivent s’abstenir d’expulser des paysannes et des paysans en les privant des ressources dont ils ont besoin pour mener une vie digne ; s’abstenir d’adopter des lois qui permettent à des acteurs privés d’abuser des droits des paysans et paysannes ; éviter de délivrer des permis environnementaux en sachant que l’activité autorisée va polluer la terre et l’eau et affecter le droit à l’eau ou à l’alimentation et à la nutrition. La déclaration oblige le Etats d’adopter toutes les mesures nécessaires afin d’éviter que les personnes privées, comme les propriétaires terriens ou les entreprises transnationales et nationales ne portent atteinte à la réalisation de ces droits.[6]

 

[1] Composée de 182 organisations et présente dans 81 pays, la Via Campesina est un mouvement international qui rassemble des millions de paysannes et de paysans, de petits et de moyens producteurs, de sans terre, de femmes et de jeunes du monde rural, d’indigènes, de migrants et de travailleurs agricoles…Fortement enracinée dans un esprit d’unité et de solidarité entre ces groupes, elle défend l’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire comme moyen pour promouvoir la justice sociale et la dignité. Elle s’oppose clairement à l’agriculture industrielle et aux entreprises multinationales qui détruisent les relations sociales et l’environnement.

[2] https://www.fian.be/+-Droits-des-paysans-+?lang=fr

[3] https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G11/110/49/PDF/G1111049.pdf?OpenElement

[4] https://www.ohchr.org/FR/HRBodies/HRC/RuralAreas/Pages/WGRuralAreasIndex.aspx

[5] https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G11/110/49/PDF/G1111049.pdf?OpenElement

[6] http://www.fian.be/La-Declaration-sur-les-droits-des-paysans?lang=fr