Soixante-dix ans après l’adoption de la Déclaration Universelle des Droits Humains (DUDH), il y a lieu de se demander si les droits qu’elle énonce ont eu un impact visible dans l’économie africaine. Adoptée en 1948 après les deux guerres mondiales, la DUDH a servi de base à une multitude d’autres instruments internationaux relatifs aux droits humains. Les droits économiques seront détaillés par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ce pacte, avec celui des droits civils et politiques et la DUDH elle-même formeront ce qui a été appelé la Charte International des Droits Humains.
Au moment de l’adoption de la DUDH, la terreur et la misère étaient les tristes réalités que vivait le continent africain sous l’emprise de la colonisation. Beaucoup de pays africains ont obtenu leur indépendance dans les années soixante et quelques-uns ont accédé à la leur un peu plus tôt ou plus tard. Cependant, ce changement juridique ne signifiait pas automatiquement la fin de la colonisation. En d’autres termes, l’exploitation économique et la soumission à une autre culture[1] continuaient sans relâche. On ne peut pas dire qu’un peuple qui ne peut pas disposer librement de ses richesses et de ses ressources naturelles jouit pleinement de ses droits et de sa dignité. L’Afrique reste confrontée à l’ombre de sa dépendance à l’égard de ses anciennes métropoles mais également des bailleurs de fonds actuels. Le capital, la technologie et l’équipement des nouveaux Etats sont entièrement d’origine étrangère.[2] Les structures économiques limitent l’Afrique à l’offre d’une main-d’œuvre bon marché et généralement inefficace. Il n’est donc pas surprenant que l’activité économique de l’Afrique soit dominée par l’agriculture de subsistance et l’extraction de ressources naturelles, orientées vers la satisfaction des intérêts du marché international plutôt que vers les besoins des populations locales. Cette économie tournée vers l’extérieur profite d’abord et avant tout aux multinationales, et presque rien ne se répercute sur la population locale.
Une telle configuration économique et de développement qui ne répond pas aux besoins de la génération actuelle et ne pense pas non plus à la génération future et à la préservation de l’intégrité de la création ne peut en aucun cas être durable. En effet, pour être durable, le développement doit concilier trois éléments majeurs : équité sociale, préservation de l’environnement et efficacité économique.[3]
Pour atteindre ce développement, l’Afrique a encore un long chemin à faire. Les blessures de divisions qu’a laissées la colonisation, associées au manque d’engagement de la plupart des dirigeants africains à l’égard du développement national, ont continué à se multiplier et à alimenter les conflits internes en Afrique. L’absence de politiques durables visant à préparer les Africains à assumer la responsabilité de la gestion socio-économique de leurs États a créé un déséquilibre qu’il est encore difficile de corriger. Cela explique le fait qu’environ soixante ans d’indépendance de nombreux États africains, le développement économique et social en est encore à un stade embryonnaire. Une des preuves en est que l’aide extérieure occupe toujours plus de la moitié de leurs budgets annuels.
Comment alors pouvons-nous parler d’une réalisation effective des droits énoncés dans la DUDH où les gens n’ont même pas le minimum vital ? Il est vrai que de nombreuses entreprises européennes prospèrent en Afrique, mais il faut voir si elles sont là pour contribuer aux économies locales ou si elles sont là pour l’exploitation même aux dépens des droits des communautés dans lesquelles elles opèrent. Ces communautés s’appauvrissent davantage à mesure que leurs terres sont exploitées sous prétexte de développement économique et d’amélioration des conditions de vie. Si certains travaillent dans les activités de ces entreprises, les conditions de travail sont loin de respecter la dignité des travailleurs et de satisfaire leurs besoins fondamentaux ainsi que ceux de leurs familles.
Tant que le statu quo économique en Afrique subsistera, les sociétés occidentales, les soi-disant pays donateurs ainsi que les riches et corrompues élites africaines sont des gladiateurs de l’économie africaine. Mais bon gré mal gré, c’est une réminiscence de la politique de l’autruche qui refuse de voir la véritable situation de sa vie et, ce faisant, l’Europe est sans savoir qu’elle a choisi de s’asseoir sur une poudre à canon dangereuse.
Odile Ntakirutimana
AEFJN Policy Officer
[1] https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/august-2010/bilan-d%E2%80%99un-demi-si%C3%A8cle-d%E2%80%99ind%C3%A9pendance
[2] https://www.lemonde.fr/idees/article/2010/07/15/quel-developpement-pour-l-afrique-50-ans-apres-les-independances_1387959_3232.html
[3]Loi relative à la Coopération belge au Développement du 19 mars 2013 : http://www.acodev.be/system/files/ressources/loicoopdev2013-coordonnees-dec2013-b.pdf