SIAT (Société d’Investissement pour l’Agriculture Tropicale) est un groupe belge de sociétés agro-industrielles spécialisées dans la création et la gestion de plantations de palmier à huile et de caoutchouc, ainsi que dans les industries de transformation connexes et en aval. Fondée et contrôlée par l’homme d’affaires belge Pierre Vandebeeck, SIAT a été constituée en droit belge en 1991.
En Belgique, SIAT détient une participation de 81% dans Deroose Plants. En Afrique de l’Ouest, elle est présente au Nigeria, au Gabon, au Ghana et en Côte d’Ivoire. Cet article a pour but de placer SIAT dans le domaine du tribunal public afin de déterminer si sa présence est un vecteur de développement pour les communautés hôtes ou un instrument d’appauvrissement.
En Côte d’Ivoire comme dans d’autres pays africains, la problématique foncière est loin d’être anodine. Il suffit de connaître le poids de l’agriculture dans l’activité économique pour comprendre l’enjeu que le foncier représente pour les populations locales. Le foncier est, non seulement, l’accès à la ressource financière, mais aussi l’accès à la ressource alimentaire et à l’habitation, trois éléments fondamentaux pour la survie de l’individu. Il n’est ni plus ni moins que « la terre des ancêtres » c’est-à-dire un critère d’identité dont la légitimité semble, dans cette société encore fortement ancrée dans les traditions. Prendre la terre à un africain signifie prendre sa vie au sens large du terme. Ceci explique l’origine du conflit foncier dans le département de Prikro au Centre-Est de la Cote d’Ivoire depuis l’arrivée de SIAT en Côte d’Ivoire en 2011.
Connue comme CHP (Compagnie Hévéicole de Prikro) SIAT a un projet d’établir des plantations industrielles d’hévéa et avec l’accord du gouvernement ivoirien, il établit ces plantations sur des terres jadis exploitées par une société sucrière (SODESUCRE) mise en place par l’Etat de Côte d’Ivoire en 1979. Il faut savoir que les populations n’ont jamais signé de contrat avec l’Etat sur ces terres lui accordées pendant cette période. C’était une simple permission accordée à l’Etat et non une cession au sens juridique du terme impliquant une acquisition immédiate ou différée. C’est par ailleurs la raison pour laquelle, à la cessation des activités de la SODESUCRE, l’Etat avait remis ces terres à la disposition des communautés depuis 1982 qui les utilisaient paisiblement pour leurs cultures vivrières et de rente.
La procédure de conclusion de cet accord foncier entre SIAT et le gouvernement ivoirien va donc marquer le début d’inquiétudes, de tensions au sein de la population de 3 villages du département de Prikro : Famienkro, Koffessou-Groumania et Timbo. Représentées par leur roi, ces populations vont entamer de multiples démarches auprès des préfets et sous-préfets de Prikro, du Directeur du département de l’agriculture de Prikro, du ministère de l’agriculture, de la délégation interministérielle à Famienkro, du Président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, du Directeur de la CHP, de la Représentante spéciale du Secrétaire Général des Nations Unies en Côte d’Ivoire, du Président de la République de Côte d’Ivoire,… Mais tous ces efforts seront jetés à l’eau et rien n’a changé.
Les populations se plaignent de n’avoir pas été associées au projet pour donner leur consentement. En 2015 elles ont décidé de manifester publiquement leur opposition. Vite les forces de l’ordre (Gendarmerie nationale) répondront par une intervention musclée dégénérant en affrontement. Le bilan a été lourd : deux morts, de nombreux blessés, des habitations incendiées et des emprisonnements massifs incluant même le roi de Famienkro.
C’est honteux et choquant de voir toute une série de manœuvres mises en place par l’Etat et SIAT pour piétiner les droits des communautés pour acquérir leurs terres sans leur consentement. D’abord la SODESUCRE occupait 5.500 hectares mais quand SIAT arrive, L’Etat va lui donner le double, soit 11.000 hectares. Si l’Etat ne pouvait pas prouver sa propriété sur les 5500 ha qu’il exploitait du temps de la SODESUCRE, il serait absurde de revendiquer la propriété d’une double portion de la terre de la communauté. Le gouvernement a donné à la CHP un accord de principe en 2011 et c’est seulement en septembre 2013 qu’il lui a cédé officiellement ces terres litigieuses par un accord cadre signé avec la CHP. Ceci veut dire que jusque-là la CHP exploitait les terres mais sans titre de propriété car la procédure d’immatriculation au nom de l’Etat n’a été introduite qu’en avril 2014 comme le montrent les documents. [1] Comment peut-on alors signer un accord sur quelque chose dont on n’a pas le droit de propriété ? Comment la CHP a pu exploiter des terres qu’elle voyait bien en litige et sans document officiel prouvant que réellement elles appartenaient à l’Etat ? Pour tranquilliser sa conscience et convaincre l’opinion qu’elle est en ordre, la CHP dira que les autorités compétentes soutiennent le projet, que ces terrains font partie du domaine de l’Etat qui en dispose depuis 1979.[2]
En outre, SIAT a entrepris ses activités avant de faire une l’étude d’impact environnemental et social qui est une obligation légale en Côte d’Ivoire. En effet, cette loi exige que tout projet important susceptible d’avoir un impact sur l’environnement doit faire l’objet d’une étude d’impact préalable.[3] Cette étude permet de clarifier la situation foncière et d’identifier le véritable propriétaire des terres mais également d’identifier les difficultés notamment les oppositions ou les dommages graves à l’environnement et de proposer des solutions pour les contourner ou les réduire.
Où allons-nous d’ici? SIAT et l’État de Côte d’Ivoire doivent être assez humbles pour reconnaître et admettre que le processus menant à l’acquisition de ces terres est entaché de fraudes, de violations des droits des communautés et prendre les mesures nécessaires pour rendre les restitutions nécessaires. Cela va à l’encontre de tout instrument international ou national d’acquisition frauduleuse de terres en Afrique. Mais plus important encore, la présence de SIAT dans les communautés est devenue le symbole de conflits sans fin. L’État de Côte d’Ivoire n’a aucun intérêt à bénéficier d’un projet de développement qui a mis les communautés hôtes en conflit perpétuel; c’est pourquoi il doit maintenant se tenir avec ses citoyens et les soutenir.
Odile Ntakirutimana
[1] D’après les extraits des minutes du Greffe de l’Audience publique du jeudi 24 novembre 2016
[2] Droit de réponse concernant les allégations portées à l’encontre du groupe Siat et de sa filiale CHP, sis à Famienkro, préfecture de Prikro et Republique de Cote d’Ivoire : http://www.siat-group.com/siatGroup/assets/File/R%C3%A9ponses%20aux%20reportage%20sur%20PRIKRO%2020180925%20-%20Copie.pdf
[3] Art. 39 Loi n° 96-766 du 3 octobre 1996 portant Code de l’Environnement