Le Parlement Européen a adopté une proposition sur la transparence des paiements fiscaux faits par les multinationales dans différents pays. Une large majorité de députés européens [1] a introduit un « reporting » public pays par pays (RPPP), obligeant les entreprises qui ont un revenu de 750 millions d’euro à divulguer l’information sur leurs profits, chiffre d’affaires, taxes, nombre d’employés, et autres informations financières pertinentes dans tous les pays où elles opèrent. Cependant, un “amendement-échappatoire” a été introduit ; il exempterait les entreprises de RPPP s’il y existe l’inquiétude de révéler “des informations sensibles”…

 

Le problème

La clameur publique après la diffusion de Luxleaks, Swissleaks, Bahama Leaks et des « Panama Papers » a mis fermement le problème de la fraude fiscale et de l’évasion fiscale à l’ordre du jour politique, et à juste titre. Les états membres européens perdent 50 à 70 milliards d’euros de revenus fiscaux en conséquence de déplacements de revenus par de grandes entreprises multinationales. Beaucoup de ces entreprises s’étendent à travers les continents, et l’Europe n’est pas le seul continent à souffrir des conséquences des planifications fiscales aussi agressives.

Les pays africains demeurent principalement des fournisseurs de ressources dans les chaînes mondiales d’approvisionnement pour un grand nombre d’industries : matières premières, pétrole, forêt, pêche et produits agricoles. Les états africains pourraient également bénéficier d’une transparence accrue de la part des multinationales: les pays africains sont privés annuellement de 50 à 80 millions de dollars en conséquence de flux financiers illicites (FFI)[2]. Ces FFI incluent l’évitement fiscal et l’évasion fiscale agressive, l’utilisation abusive des prix de transfert, la fausse facturation, et les contrats injustes entre autres. Les principaux coupables identifiés par l’UNECA sont les grandes sociétés multinationales.[3]

Dans ce contexte, la décision du Parlement Européen de proposer une directive à portée mondiale est positive. Les entreprises seront donc requises de faire rapport sur leurs activités au-delà des frontières de l’UE, ce qui en principe pourrait contribuer à un meilleur accès à l’information pour les administrations fiscales du tiers-monde ; ceci augmente le potentiel d’amélioration des bases fiscales dans les pays en développement qui souffrent beaucoup de l’érosion fiscale dont l’effet sur le développement est négatif. C’est un pas en avant par rapport à la proposition de la Commission qui se limitait aux 28 états membres et à une liste de paradis fiscaux à convenir. Cependant, le texte du Parlement va probablement rencontrer de l’opposition de la part des états membres européens, dont plusieurs sont favorables à des exigences de transparence plus faibles.

Un autre point positif dans le texte voté par le Parlement Européen concerne le caractère public du RPPP plutôt qu’un échange de données entre différentes administrations fiscales. Après les scandales susmentionnés, les citoyens exigent plus d’accès à l’information et un examen du public. Actuellement le texte stipule que les entreprises doivent rendre cette information disponible sur leurs sites web, ce qui donnerait aux citoyens l’opportunité d’examiner les données fiscales.[4]

 

Maintenir l’échappatoire

Cependant, une échappatoire a été créée dans le texte, elle permettrait aux entreprises d’être exemptées de la publication de données si elles concerneraient des informations « commercialement sensibles ». Mais le texte ne fournit aucune définition claire de ce que serait une information sensible du point de vue commercial. Il stipule bien que les autorités des états membres seraient chargées d’accorder de telles exemptions. Aussi, la manière dont différents états membres définiront des informations « commercialement sensibles » sera cruciale, de même que le type d’exemptions accordées et les bénéficiaires.[5] Ceci crée le risque de pratiques non harmonisées entre les états membres et d’un nivellement par le bas en termes de règles de transparence, avec des entreprises favorisant les états membres qui ont une définition plus large d’information « commercialement sensible ». La Commission est requise de publier annuellement un aperçu des firmes qui ont reçu de telles exemptions avec le bien-fondé de leur octroi.

Les limites proposées à cette exemption semblent insuffisantes. L’exemption est limitée en temps et doit être renouvelée annuellement ; cependant, une entreprise peut le faire indéfiniment. De plus, à la fin de la période de non divulgation, les entreprises devraient publier l’information de manière rétroactive, mais seulement par une moyenne sur plusieurs années, ce qui obscurcit les données financières, parce que celles-ci ne peuvent pas être attribuées à une année fiscale spécifique.[6] Le manque de définition claire et les faibles sauvegardes qui entourent l’exemption créent un risque d’abus de l’exemption par les multinationales pour qu’elles continuent à cacher les profits dans les paradis fiscaux, ou à ne pas payer leur juste part de taxes, ce qui minerait l’entière configuration de la directive.

 

Conclusion

L’adoption d’une directive qui demande aux multinationales qui opèrent en Europe et au-delà de publier leurs données pays par pays est certainement une étape positive. Des règles de transparence accrue existent déjà pour le secteur bancaire, et partiellement pour les industries extractives et forestières. La directive étend bien de telles obligations à davantage d’entreprises. La déclaration de profits ou pertes, pays par pays, permettrait aux autorités fiscales de déterminer si l’entreprise en question utilise une planification fiscale agressive pour déplacer les profits vers des pays ayant un faible taux d’imposition. Cependant, l’échappatoire créée dans le texte mine l’objectif principal de toute la législation. Seul l’avenir dira dans quelle mesure l’échappatoire est exploitée, car les états membres seront obligés de rapporter les exemptions à la Commission Européenne qui en établira une liste publique. Les discussions vont passer maintenant au Conseil des Ministres, où le texte probablement fera face une résistance considérable de certains états membres.

Gino Brunswijck

[1] Résultat du vote: 534 voix pour to 98 voix contre, avec 62 abstentions. Parlement européen, Communiqué de Presse Release : “Les multinationales devraient publier les informations fiscales dans chaque pays dans lequel elles opèrent”, 29 juin 2017, à consulter: http://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20170629IPR78639/les-multinationales-devraient-publier-les-impots-qu-elles-paient-pays-par-pays

[2] Nations Unies, Commission économique pour l’Afrique (UNECA), Report of the High Level Panel on Illicit Financial Flows from Africa, 2015, “Illicit Financial Flows”, à consulter: http://www.uneca.org/sites/default/files/PublicationFiles/iff_main_report_26feb_en.pdf

Global Financial Integrity, 2016 , à consulter, http://www.gfintegrity.org/press-release/mbeki-high-level-panel-on-illicit-flows-from-africa-conclude-successful-us-visit-mobilizing-support/

[3] Uneca, ibid.

[4] Parlement européen, loc.cit.

[5] Euractiv, « Reporting pays par pays : une victoire contre l’optimisation fiscale », Juillet 4 2017, à consulter, https://www.euractiv.fr/section/economie/news/reporting-pays-par-pays-une-victoire-contre-loptimisation-fiscale/

[6] Parlement européen, loc. cit. / CNCD, “Transparence Fiscale des multinationales : le Parlement européen adopte un texte passoire”, à consulter  http://www.cncd.be/Transparence-fiscale-des-5718