Mon rôle en tant que personne ressource lors de la récente session plénière de la Réunion des Provinces Episcopales d’Afrique de l’Ouest (RECOWA) a été lucide et enrichissant. En plus d’être une opportunité de témoigner des gains dans le plaidoyer collaboratif entre RECOWA, AEFJN, et d’autres acteurs sur la plate-forme de NOTRE TERRE EST NOTRE VIE, l’occasion a fourni une vision partagée et des potentiels pour une collaboration future entre l’Eglise, d’autres traditions de foi et la société civile régulière qui partagent nos valeurs. La promotion de la collaboration entre les acteurs religieux et non religieux en Afrique a été un axe important du travail d’AEFJN ces dernières années. L’opportunité de parler de ces potentiels dans l’espace d’une Conférence Episcopale Régionale, où elle a été bien accueillie, signifiait l’institutionnalisation et l’intégration de celle-ci comme une stratégie de plaidoyer crédible dans l’Eglise.

Mon expérience de travail avec l’équipe du secrétariat de RECOWA et les évêques en plénière, en commissions et en marge de la conférence a montré que RECOWA est une Eglise à l’écoute. Au fil des années, nous avons travaillé avec différentes régions épiscopales en Afrique, mais aucune n’a été aussi progressiste que RECOWA. En effet, RECOWA a commencé à vivre la synodalité avant sa proclamation par l’Eglise. L’essence d’une Eglise d’écoute s’exprime dans l’ouverture à accueillir de nouvelles idées, de nouvelles alliances et stratégies tout en gardant ses valeurs constantes. Cet élément permet à une Église d’écoute de rester vivante et de dégager l’image d’une Église progressiste.

En revanche, une Église qui n’écoute pas reste figée dans ses idées et ses stratégies et meurt d’une mort naturelle. Dans cette veine, l’écoute dans l’esprit de la synodalité qui ouvre l’Église à une nouvelle façon de travailler en collaboration avec les acteurs d’autres traditions religieuses et la société civile peut être le chaînon manquant pour le rajeunissement de l’Église en Afrique en faveur de la justice sociale. En effet, le plus difficile est d’écouter sans parti pris et sans respect, sans répondre ou critiquer immédiatement. Mais c’est la seule façon authentique d’entendre l’autre différemment et de créer une atmosphère de confiance qui nous amène à dépasser nos positions et rend possible les décisions de travail en collaboration. La déclaration, les résolutions et le message pastoral de la plénière de RECOWA témoignent de cette perspective progressiste. Cependant, nous attendons de voir comment cette perspective progressiste se traduira en action dans les semaines et les années à venir.

Un intérêt unique pour AEFJN est la décision des évêques de RECOWA dans leur résolution de s’engager dans les campagnes UN COP et Business & Human Rights à leurs niveaux nationaux et locaux. Cela a renforcé les stratégies de campagne d’AEFJN contre l’impunité des entreprises dans l’accaparement des terres et des ressources. Ces dernières décennies, l’Afrique est devenue le théâtre d’un intense accaparement de terres et de ressources grâce à une alliance entre les grandes sociétés transnationales (STN) et les élites politiques du continent. Avec l’aide d’institutions financières mondiales telles que la Banque mondiale, le FMI et d’autres, les STN ont façonné les marchés, les gouvernements, les communications et la législation en fonction de leurs intérêts. Par conséquent, pour défier le pouvoir des entreprises, il faut une alliance de collaboration.

Discuter du pouvoir et de l’impunité des grandes entreprises et s’organiser pour les contenir à différents niveaux est particulièrement important pour AEFJN en raison de plusieurs facteurs.

Premièrement, l’accaparement (ou plutôt la recolonisation) de nos gouvernements par les grandes sociétés transnationales du Nord menace la souveraineté des nations africaines. Il est donc essentiel de comprendre comment les STN interfèrent et sapent l’agenda politique des pays africains pour comprendre la pauvreté en Afrique et comment la combattre. Deuxièmement, les contextes historique, social, culturel et économique de l’Afrique rendent l’impact du pouvoir des entreprises sur le continent particulièrement grave. Sur un continent où la grande majorité de la population est rurale (environ 70 %) et où les petits exploitants agricoles produisent jusqu’à 80 % de la nourriture, l’accaparement des terres et des ressources par les STN menace notre souveraineté alimentaire, nos connaissances et nos coutumes traditionnelles et millénaires. Il s’agit d’une grave atteinte à la dignité humaine de millions de personnes déjà en situation de vulnérabilité. Les populations rurales traditionnelles d’Afrique sont mutuellement dépendantes et protectrices de la nature.

Troisièmement, les crises climatiques nous rappellent que nous devons nous attaquer aux causes structurelles et systémiques de ces crises pour résoudre les défis les plus importants. Le pape François a souligné ces problèmes systémiques dans Laudato SI. Cependant, la plus grande injustice de ces crises réside dans le fait que les peuples du Sud (les moins contributeurs) sont les premiers à en subir les impacts et les plus durement touchés. Quatrièmement, il est urgent de déconstruire le récit selon lequel l’Afrique est un continent pauvre qui a besoin d’aide. Cette prémisse dangereuse, répétée depuis longtemps et communément acceptée tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du continent, ouvre la voie aux « solutions de marché » car les entreprises sont d’importants promoteurs du progrès et du développement. L’Afrique n’est pas pauvre ; c’est un continent riche dont la richesse a été historiquement assaillie par des puissances impérialistes et colonialistes égoïstes, siècle après siècle.

Néanmoins, la question cruciale demeure : que peut faire l’Eglise en Afrique de l’Ouest face à ces problèmes existentiels ? Il existe une campagne mondiale pour démanteler le pouvoir des entreprises, dont AEFJN est un membre actif. Elle envisage de prendre une part active à la rédaction d’un traité international visant à réglementer les activités des sociétés transnationales et à les tenir pour responsables de leurs violations des droits de l’homme et de la destruction de l’environnement. Ce processus s’est déroulé aux Nations unies (ONU), mais la participation des gouvernements nationaux africains est faible et peu impressionnante. Dans cette optique, l’Eglise RECOWA pourrait utiliser sa voix morale pour inciter les différents gouvernements fédéraux à participer à ce processus. AEFJN compte sur RECOWA pour relever le défi. En attendant, nous espérons avec impatience les résultats de la réunion d’août. Comme le dit succinctement le légendaire romancier Chinua Achebe, le goût de la nourriture est dans le fait de la manger.

Chika Onyejiuwa, CSSp