Je vis à Kinshasa, la capitale de la RD Congo, où je travaille pour le magazine Afriquespoir, édité par les missionnaires comboniens. J’ai visité l’Est du pays en décembre et janvier. J’étais déterminé à parcourir 500 km par la route, de Goma à Bunia (Ituri), pour prendre conscience de la réalité de cette zone où l’insécurité est récurrente. Ce fut le cas, mais par étapes. De Butembo, où se trouve ma famille, je me suis rendu à Beni, l’épicentre de l’insécurité dans l’Est du pays. J’y suis resté une semaine, à observer la réalité, à parler aux gens dans la rue, à écouter les radios locales. En outre, j’ai eu l’occasion de couvrir la visite d’un comité d’évêques membres de l’Association des Conférences Episcopales d’Afrique Centrale -ACEAC-, qui est allé écouter les témoignages des gens et transmettre un message de solidarité et de réconfort à la population. A cette occasion, j’ai entendu les témoignages des chefs traditionnels et des représentants de la Société civile sur les massacres survenus à Beni depuis octobre 2014.
L’insécurité dans cette zone est marquée par des enlèvements et des meurtres sauvages, attribués au groupe rebelle ADF (Allied Democratic Forces). Celui-ci est considéré comme l’un des groupes actifs les plus violents de la RD Congo. Leur incursion en RDC a commencé en 2011 avec l’enlèvement de trois prêtres assomptionnistes et de quelques civils, qui ont jusqu’à présent disparu. C’est en 2014 que l’insécurité a pris une vitesse très inquiétante. Les rebelles opèrent jour et nuit. Et, partout où ils trouvent des gens, que ce soit chez eux ou dans les champs, ils les massacrent en utilisant principalement des couteaux de brousse, des haches et des armes légères, qu’il s’agisse de femmes, d’enfants ou de personnes âgées, et en brûlant les maisons. Ainsi, ils exterminent des familles entières et des villages entiers. En janvier 2021, l’évêque de Butembo-Beni parlait de 6 000 morts depuis 2013 à Beni et de plus d’un million de déplacés dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Selon le baromètre de sécurité 2020 du Kivu, 122 groupes armés sont actifs dans l’est de la RD Congo.
En parcourant la route qui va de Beni à Bunia, j’ai eu beaucoup de peine à voir les maisons abandonnées et les villages vides parce que les gens se sont déplacés et que la peur s’est installée dans tous les villages environnants. À Beni, qui était une ville incroyablement calme et pleine d’ambiance, la diminution des activités commerciales et agricoles (cette dernière étant la principale activité de la région) est très perceptible : les gens ont peur d’aller à la campagne. Cela entraîne des prix alimentaires élevés et la pauvreté dans les villes autour de Beni et dans d’autres villes telles que Butembo, Bunia, Goma, …
Lorsqu’on cherche à comprendre les objectifs des ADF, l’hypothèse de l’islamisation circule peu dans la rue, dans les débats politiques et dans les médias. Les hypothèses qui circulent le plus sont celles de l’occupation territoriale par les Rwandais, la balkanisation du pays, l’exploitation illégale des ressources naturelles, notamment le cacao et le coltan. Mais, lors de la réunion que nous avons eue avec les représentants de la société civile, une femme a dit : « Aujourd’hui, les ADF prennent la figure de l’islamiste car, dans certaines villes, ils obligent la population à collaborer avec eux, à rejoindre le groupe armé et à être musulmans ». Elle a appelé le président congolais Felix Tshisekedi à prendre cette affaire au sérieux.
Le 27 avril dernier à Paris, le même président, dans son discours à la presse, a reconnu qu’il existe dans l’Est du pays des groupes aux « tendances islamistes », aux « discours islamistes » et aux « méthodes islamistes » qui sèment la terreur dans la population. Dans l’après-midi du samedi 1er avril 2021, Ali Amin, imam de la principale mosquée de Beni, a été tué par un groupe de personnes alors qu’il était en pleine prière dans la mosquée. Les auteurs de ce crime sont toujours en fuite. Cela s’est produit quelques semaines après que les services de renseignements l’aient interrogé pour lui demander des explications parce qu’ils le soupçonnaient de collaborer avec les ADF. En juin de l’année dernière, un média local a déclaré que les ADF étaient les représentants de l’État islamique autoproclamé en RD Congo, dirigé par un certain Musa Baluku, un rebelle ougandais.
L’infiltration des soldats rwandais, ougandais et tanzaniens dans l’armée congolaise, la complicité entre les groupes armés déjà existants et les ADF, la complicité de certains officiers de l’armée congolaise, qui se livrent au commerce du cacao et des matières premières, ont été largement dénoncées. De plus, il faut ajouter le manque de motivation des militaires, qui sont mal payés (donc facilement corruptibles par les rebelles), la complicité de la MONUSCO (Mission de l’ONU en RD Congo, qui est dans la région depuis plus de 20 ans, avec une logistique et un matériel d’armement sophistiqués, mais qui ne protège même pas la population qui se trouve à 20 mètres de sa base), l’absence de l’État, qui fait que la population des provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri se sent abandonnée à sa propre chance, etc.
Si on savait précisément où se trouve cet ennemi, qui le finance, qui l’approvisionne en nourriture, en armes, etc. il serait plus facile d’opérer contre lui. Mais les ADF sont encore entourés de mystère et leur mode de fonctionnement n’est pas adapté à celui de l’armée congolaise qui, pour l’instant, n’a pas réussi à les démanteler. Je crois qu’il y a encore beaucoup d’inconnues et que toutes les hypothèses devront être explorées.
Le président Tshisekedi, qui s’est dit « sensible au cri d’angoisse » du peuple, a décrété le 30 avril 2021 l’état de siège pour les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri pendant trente jours « pour rétablir la paix ». Ainsi, les gouverneurs et vice-gouverneurs de ces provinces sont suspendus et remplacés par des gouverneurs et vice-gouverneurs militaires issus des rangs de la police. La société civile de la région en proie à l’insécurité espère que cette stratégie politique et militaire contribuera à rétablir la sécurité et que les militaires, qui ont généralement mauvaise presse, n’aggraveront pas la situation.
Texte et photos : Lwanga Kakule, journaliste