Importance du problème

Le nombre de cas de cancers[1] dans les pays africains à revenu faible et intermédiaire ne cesse d’augmenter avec le vieillissement relatif de la population ; en 2018, on estime à 811 000 le nombre de nouveaux cas de cancer et à 534 000 le nombre de décès dû au cancer en Afrique sub-sahélienne. Contracter le cancer lorsqu’on habite ces pays entraîne souvent des dépenses catastrophiques surtout pour les familles pauvres, ce qui entraîne une inégalité grandissante dans la population.

Or, l’Afrique importe environ 90% de ses médicaments dont au minimum 10 % sont soit des médicaments sous-standards (c’est-à-dire qu’ils ne rencontrent pas tous les critères de qualité sans qu’il y ait une intention frauduleuse du fabriquant), soit des médicaments falsifiés (c’est-à-dire intentionnellement manipulés quant à leur identité, leur composition ou leur origine). Certains auteurs avancent même des chiffres de 20 à 48% de ce genre de produits mis en circulation en Afrique.

Quand un malade est traité à son insu avec des médicaments sous-standards ou falsifiés, sa situation et celle de sa famille peut devenir intenable. Un traitement insuffisant ou un non-traitement avec ces médicaments aggravent sa souffrance personnelle et sociale, sans parler de son pronostic vital qui s’assombrit. La confiance dans les services de santé diminue et certains malades en arrivent même à interrompre leur traitement par découragement ou simplement par crainte d’être à charge de leur famille.

Pour une approche globale du problème

La première approche est préventive : le dépistage actif du cancer du sein, la vaccination contre le virus de l’herpès vaginal pour prévenir le cancer du col de l’utérus, la vaccination contre le virus de l’hépatite B et C pour prévenir le cancer du foie, la lutte contre le tabagisme, …sont à mettre en œuvre.

Une fois le cancer diagnostiqué et le traitement médicamenteux prescrit, les autorités sanitaires doivent mettre à la disposition des malades des centres de traitement avec de moyens appropriés de diagnostic et des médicaments anticancéreux de qualité selon la liste des médicaments essentiels de l’OMS ; or, les budgets généralement consacrés à ces différentes actions sont loin d’être suffisants par rapport à la demande croissante. La mise en place d’une couverture universelle des soins et de mutuelles de santé obligatoires couvrant les traitements anticancéreux est au programme de certains pays africains comme le Botswana, le Kenya et le Rwanda.

Ensuite, les autorités régulatrices doivent détecter les médicaments sous-standards et falsifiés avant leur mise sur le marché ou les retirer immédiatement du marché s’ils y ont déjà pénétré. Or ces autorités ont des moyens insuffisants pour assumer correctement leur responsabilité et les médicaments sous-standards et falsifiés, la corruption aidant, pénètrent assez librement dans ces pays par les voies légales ou détournées.

Une autre raison de trouver des médicaments sous-standards dans les hôpitaux est la détérioration de médicaments de bonne qualité à cause de mauvaises conditions de conservation. A fortiori pour les médicaments vendus en masse au marché. Donc, la conservation des médicaments anticancéreux, surtout au niveau des hôpitaux où sont traités les malades, doit faire l’objet d’une vigilance renforcée.

Pour une approche africaine du problème :

En février 2019, un traité portant création de l’Agence africaine du médicament (AMA) a été signé sous l’égide de l’Union africaine; mais pour qu’il entre en vigueur, il doit être ratifié par au moins quinze pays. À ce stade, huit pays signataires l’ont déjà ratifié.

En janvier 2020, six chefs d’État africains ont signé L’initiative de Lomé sous l’égide de l’OMS pour se donner un cadre législatif et pénal criminalisant les auteurs de contrefaçon des médicaments.

Les objectifs de la future AMA et de l’Initiative de Lomé sont en partie similaires : permettre aux populations des 54 pays du continent africain d’accéder sans risque à des produits médicaux de qualité en harmonisant les réglementations et en criminalisant les auteurs de falsifications. Le secrétaire général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, s’active pour faire converger les deux initiatives.

Le Covid-19 est venu rappeler de manière criante la nécessité d’une solidarité continentale, alors que les pays africains se sentent délaissés dans la course au vaccin et qu’ils dépendent largement du dispositif Covax. Dans ce sens, l’AMA pourrait servir d’outil de commande de médicaments anticancéreux et de vaccins.

A long terme, l’Afrique devra aussi développer ses propres pôles de recherche et sa propre industrie pharmaceutique.

Les partenariats publics-privés internationaux

L’American Cancer Society (ACS) et la Clinton Health Access Initiative (CHAI) ont annoncé en juin 2020 des accords avec les sociétés pharmaceutiques Pfizer, Novartis et Mylan pour élargir l’accès à 20 traitements anticancéreux vitaux dans 26 pays d’Afrique Subsaharienne et d’Asie. Les patients devraient économiser en moyenne 59 % sur les médicaments achetés dans le cadre de ces accords.

La responsabilité des États membres de l’Union européenne

L’UE a le devoir moral de favoriser
– Les licences obligatoires sur les anticancéreux essentiels et les vaccins au niveau de l’O.M.C., c’est-à-dire des exceptions aux ADPIC – Aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce – pour des raisons d’intérêt public,
– le partage des connaissances et du savoir-faire technologique des entreprises pharmaceutiques avec les universités et les centres de recherche africains.

Pour AEFJN il s’agit là d’une question d’éthique et d’équité, sans oublier que la santé des citoyen.ne.s européen.e.s dépend aussi de la santé des citoyen.ne.s africain.e.s.

« Tout est lié dans notre Maison commune» dirait le pape François !

Christian Roberti

AEFJN

[1] Les cancers les plus fréquents sont ceux du sein, du col de l’utérus et de la prostate.