Au cours de ses premières années d’existence, le Processus de Kimberley (PK) pouvait être considéré comme un processus multipartites ambitieux et précurseur. Au fil des ans toutefois, ses mérites se sont amoindris : les nombreuses menaces émergeantes ont progressivement révélés les vulnérabilités de la gouvernance du secteur diamantaire. Le PK doit aujourd’hui être mis à niveau, en conformité avec les normes internationales en matière de gouvernance des ressources, en particulier avec les lignes directrices de l’OCDE sur la diligence raisonnable.
Ces Lignes directrices de l’OCDE définissent les conflits de façon large, en recouvrant différents types de violence et d’acteurs qui peuvent être associés à l’exploitation des ressources naturelles. Cela contraste avec la définition étroite que le PK donne d’un « diamant de la guerre ». L’OCDE identifie également davantage de risques en matière de droits humains que les critères du PK et se conforme ainsi aux obligations des États, tenus par différents accords internationaux. Enfin, le cadre proposé par l’OCDE comprend des mesures d’atténuation des risques pour lutter contre le blanchiment d’argent, auquel le commerce mondial des diamants est également très vulnérable. Ces lignes directrices de l’OCDE, non-contraignantes, dote donc les parties prenantes d’un éventail plus large d’instruments pour faire face aux risques liés aux droits de l’homme dans le commerce des minéraux.
Le processus de réforme actuellement en cours offre donc une occasion énorme de revigorer le PK, d’améliorer son efficacité et de l’aider à atteindre ses objectifs initiaux. La société civile a travaillé sans relâche pour promouvoir une gouvernance efficace des diamants et répondre aux défis contemporains : lutte contre la contrebande, sous-évaluation et les flux financiers illicites… sont autant de pratiques négatives liées au commerce des diamants. Si certains prétendent que cela dépasse le cadre du Processus Kimberley, il est certains ces pratiques nuisent énormément à l’efficacité du système en place.
« Seulement 0,2 % de la production mondiale de diamants poserait problème »[1], selon les défenseurs du statu quo au sein du processus Kimberley. Cette affirmation revient à fermer les yeux sur les nombreux problèmes persistants, liés au commerce diamantaire. Les opportunités de fraude existent à de nombreux stades de la chaine d’approvisionnement et se concrétisent sous forme de vol, de contrebande, de mélange entre pierres non-certifiées et certifiées, de sous-évaluation (de valeur et de quantités exportées). Tous ces facteurs compromettent la transparence et la traçabilité des transactions internationales de diamants, ainsi que la certification même des diamants.
Le PK n’est pas « étanche » pour le moment. Selon différents rapports, des diamants de la guerre de la République centrafricaine, partiellement sous embargo, auraient pénétré dans les chaînes d’approvisionnement mondiales par des routes de contrebande et des centres commerciaux internationaux opaques. Il est fort probable que la contrebande se produise dans des pays aux contextes instables, caractérisés par des frontières poreuses et une gouvernance faible. Récemment, des diamants en provenance de la République centrafricaine (RCA) ont étés l’objet d’exportation illégales via le Cameroun, la République démocratique du Congo, le Soudan ou le Tchad. La contrebande a évidemment un impact négatif sur les recettes publiques, l’économie locale et les moyens de subsistance des communautés locales.
Une fois arrivée dans ces plaques tournantes que constituent les centres commerciaux, et surtout à Dubaï, l’origine des diamants peut être obscurcie encore davantage. La pratique consistant à mélanger des diamants provenant de différents pays dans le processus de triage rajoute en effet beaucoup de flou sur la filiation réelle des pierres précieuses. Un envoi peut donc être exporté avec un certificat du Processus de Kimberley qui classifie l’origine comme « mixte », sans que celui-ci précise spécifiquement le lieu de départ de chacune des pierres contenues dans l’envoi. Ce procédé accroit sensiblement les défis en termes de traçabilité et de robustesse de la certification PK, autant pour les acheteurs que les consommateurs.
L’une des tactiques les plus efficaces pour contourner la certification du Processus Kimberley consiste à sous-évaluer les diamants bruts, ce qui engendre des flux financiers illicites. Le maillon faible semble être Dubaï, qui, avec son statut économique particulier, offre un régime fiscal souple et une régulation particulièrement faible en la matière. Afin de maximiser les profits, plusieurs sociétés diamantaires internationales ont ainsi établi des filiales à Dubaï. Le secret juridique et financier étendu qui y règne permet également de faciliter des évasions fiscales structurelles, notamment par la sous-facturation de diamants en provenance d’Afrique. Cela peut être illustré par les fortes variations de prix entre l’importation et l’exportation de diamants bruts à Dubaï, qui tournent autour de 40 %. Par la suite, les produits de la vente peuvent aisément être exportés vers des comptes à travers le monde, en toute discrétion. Cette situation demeure particulièrement problématique pour les pays en développement, car la sous-évaluation des diamants que ceux-ci exportent entraîne une perte de profits et de recettes fiscales substantiels.
Malgré des engagements visant à renforcer les contrôles internes au sein du Processus Kimberley, le Financial Action Task Force et le Groupe Egmont affirment que les centres de négoce comme Dubaï et Anvers restent très vulnérables au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme, Dubaï représentant un risque nettement plus élevé en raison de son statut de zone franche et de la pratique généralisée d’instrumentalisation des prix. Il n’y a donc pas que dans les pays producteurs qu’il y a un risque de financer des activités violentes. Avec cette opacité régnante tout au long de la chaîne d’approvisionnement, le commerce des diamants reste très menaçant, à de nombreuses étapes du commerce international.
En s’attaquant réellement à ces problèmes et en renforçant la gouvernance dans le secteur des ressources naturelles, les pays en développement producteurs de diamants pourraient récolter les dividendes du développement des pierres, ce qui en ferait un catalyseur pour les pays en développement. Dans l’optique d’atteindre les Objectifs du Développement Durable, il sera crucial pour les décideurs politiques de re-crédibiliser le Processus Kimberley et le doter d’instrument fort pour mettre fin aux côtés obscurs du commerce international des diamants.
Communiqués de presse (français & néerlandais)
171215_CP_Processus Kimberley 171215 CP-NDL
[1] De Tijd, « Waar zijn al die Bloeddiamanten ? », 23 janvier 2014, https://www.tijd.be/opinie/analyse/Waar-zijn-al-die-bloeddiamanten/9455002