AEFJN a participé à un colloque sur la migration organisé par le Service Jésuite des Réfugiés (JRS) à l’occasion des élections européennes et a clarifié sa position sur cette question. Peut-être qu’en dehors du débat sur le changement climatique, aucun sujet n’a suscité autant de commentaires et d’attention que les migrations en Europe. Ceci est d’autant plus significatif qu’à ce moment les campagnes électorales font rage de tout côté. La plupart des débats se sont concentrés sur le secteur en aval, soulignant les conséquences sociales des migrations sur l’Europe au cours des dernières décennies et comment elles affecteraient l’Europe à l’avenir. On s’est aussi beaucoup focalisé sur ce que l’UE a fait de bien ou de mal à ce sujet et sur le désaccord entre les Etats membres découlant de leurs positions respectives et d’autres préoccupations similaires. De même, l’Union européenne (UE) a, par le passé, eu des réunions avec des dirigeants africains dans le but de réduire ou plutôt d’arrêter l’afflux de migrants d’Afrique vers l’Europe à travers la Méditerranée. L’alternative, à peine voilée, en ce qui concerne la migration de l’Afrique vers l’Europe semblerait être l’option déplorable de Donald Trump. Espérons qu’on n’en arrivera pas là !
D’après les conversations et les échanges c’était clair et évident. Les acteurs devaient aussi et surtout contempler le secteur amont du phénomène. Pourtant il semble que beaucoup préféreraient porter leur regard dans l’autre direction. Rappelons ici le proverbe : la saleté balayée sous le tapis aujourd’hui n’attend que demain pour polluer toute la maison. On a traité avec légèreté la question plus profonde de savoir pourquoi les gens se déplacent. Déménagent-ils par choix ou sont-ils contraints de quitter à cause des circonstances de la vie ? Ce qui est certain, c’est que si les gens choisissent de se déplacer, la question est beaucoup plus simple et ces migrations ne constituent pas un problème majeur pour une nation, car des dispositions adéquates peuvent être prises à l’égard de ces mouvements à leur point de départ. N’oublions pas : ces migrations ont beaucoup de valeur et sont connues pour être de grands acteurs de développement dans les pays de destination. Après tout, la majorité des lauréats américains du prix Nobel ne sont-ils pas des migrants ou descendants de migrants?
Tout en reconnaissant que les migrations faites par choix sont un phénomène naturel qui est de grand bénéfice pour les pays de destination, nous soutenons que l’histoire est différente lorsque les gens sont forcés d’émigrer. La migration forcée s’accompagne de nombreux défis tant pour les migrants que pour les pays de destination. Mais la question reste sans réponse : pourquoi les gens sont-ils contraints de fuir leur pays ? Pourquoi les jeunes Africains se déplacent-ils en grand nombre, même à travers la mer Méditerranée ? Nous citons deux exemples concrets dans l’histoire pour nous aider à rechercher la vérité et à bien déduire. Premièrement, pendant la période de la grande dépression, beaucoup d’Européens ont émigré en Amérique et dans d’autres parties du monde à la recherche de pâturages plus verts. Bien évidemment, ils ont été contraints d’émigrer parce que les conditions socio-économiques de l’Europe à cette époque-là ne pouvaient leur garantir une vie digne. Deuxièmement, et bien avant l’expérience de l’Europe, les Juifs ont émigré dans différentes parties du monde après la destruction du temple de Jérusalem. De toute évidence, le climat socioculturel de leur environnement menaçait leur existence même, et ils ont migré vers d’autres endroits où ils pouvaient trouver plus de sécurité.
De ces deux exemples nous pouvons facilement déduire que vivre une vie humaine digne dans un climat de paix est un BESOIN humain authentique et universel. Chaque fois que le bien-être économique et la sécurité d’un peuple sont menacés, cela déclenche la migration. La pauvreté et l’insécurité ont toujours été considérées comme les deux principaux moteurs de la migration. Elle s’aggrave lorsque les deux sont présents en même temps. Malheureusement, la pauvreté et l’insécurité (conflits) se nourrissent et se renforcent l’une l’autre. La façon dont ces deux moteurs clés des migrations sont traités par les acteurs mondiaux dans la diplomatie internationale vis-à-vis de l’Afrique laisse planer bien d’incertitude sur la question des résultats attendus.
Nous devons également, à ce stade, souligner que toutes les migrations forcées n’ont pas été provoquées par ce que l’on appelle la pauvreté et l’insécurité. Rappelons que des dizaines de millions d’Africains ont été envoyés de force sur d’autres continents dans le cadre de la traite transatlantique et arabe des esclaves. Ces migrations contraintes n’étaient nullement motivées par la pauvreté et les conflits sur les terres des victimes.
Par conséquent, il est impératif de regarder au-delà de la pauvreté et de l’insécurité dans notre quête pour comprendre la racine de la vague actuelle de migration. S’aventurer dans cette dimension de la recherche est très troublant parce qu’il s’agit d’un parcours éthique qui touche à ce qu’il y a de plus fondamental et de plus vrai en nous en tant qu’êtres humains. C’est un voyage que nous préférerions ne pas entreprendre parce qu’il remet en cause le fondement même de notre civilisation actuelle et toutes ses valeurs.
D’un point de vue critique, l’esprit humain contient un fort élément de dysfonctionnement qui cherche constamment à dominer, à profiter des autres et à faire de la souffrance des autres un monument à soi-même. Invariablement, l’homme ne cherche que le pouvoir et le contrôle, même au nom de la justice et de Dieu. C’est à la fois une affaire communautaire et personnelle. C’est cet état d’esprit qui est à l’origine de l’esclavage et de la colonisation de l’Afrique. C’est aussi cet état d’esprit qui a créé et soutient nos systèmes dits démocratiques et économiques ceux-là mêmes qui justifient et renforcent les systèmes de pauvreté et de conflits en Afrique. Le sommet de ce problème c’est le statut des sociétés transnationales en tant qu’entités juridiques. Ce sont ces sociétés qui sont à la source de la dégradation des mentalités. Ce sont elles qui provoquent la terreur parmi les communautés africaines afin de s’emparer de leurs terres, d’épuiser leurs ressources naturelles et de détruire leur écosystème sans jamais avoir à répondre de leurs actions. C’est encore ce même esprit que l’on retrouve derrière « Le pacte pour la continuation de l’esclavage » par lequel la France a justifié son pillage continuel des ressources de l’Afrique pour se tourner ensuite vers cette même Afrique pour la qualifier de continent pauvre qu’elle s’évertue à aider. D’où le silence sinistre de la communauté internationale face au génocide en cours au Cameroun. C’est cette même mentalité qui pousse les néocolonialistes à faire des vagues en Afrique, alors pourquoi lèveraient-ils le petit doigt contre la France ? C’est ce même mode de pensée qui anime le terrorisme par le biais des institutions religieuses. La science et la technologie n’ont fait qu’amplifier la tendance destructrice que ce trouble des consciences a apporté à la planète, aux autres formes de vie et aux autres êtres humains. La pauvreté et les conflits ne sont que les sous-produits de cette logique défectueuse. Lorsqu’un individu se réveille de son trouble personnel, il se voit rapidement impuissant dans les structures déjà créées par la mentalité collective. Il faudra une communauté d’individus éveillés pour rompre avec le système et introniser une pédagogie différente avec une nouvelle conscience qui sert la vie.
A l’opposé de cette mentalité génératrice de problèmes on trouve un noyau humain plus profond qui veut toujours vivre dans la liberté et la dignité, même si cela signifie passer par le creuset du feu pour y parvenir. C’est toute la question des gènes primaires et des moteurs de migration. La bonne nouvelle, c’est que chaque être humain a la capacité de choisir entre ces différentes dimensions de son être et comment il peut vivre et entrer en relation avec les autres. C’est finalement le choix entre deux chemins de vie. Le premier conduit au service de l’ego et ne crée que des structures de domination, de contrôle, de pauvreté et de conflits tandis que le second conduit à la compassion et crée une structure de solidarité, de paix et d’harmonie. Tout travail de libération en vue de l’éradication des migrations forcées doit viser à démanteler l’état d’esprit, la conscience malade , qui a créé les systèmes qui forcent les gens à fuir. Comme Albert Einstein l’a souligné avec justesse, « on ne peut pas résoudre un problème avec la même conscience qui l’a créé ».
Malheureusement, le périple des migrants africains vers l’Europe est un voyage de la pauvreté vers la misère. C’est ce même état d’esprit qui a créé le système économique de la pauvreté et des conflits en Afrique qui a également engendré un régime économique d’exclusion en Europe. Ce système rend impossible l’intégration des migrants en Europe et deviendra, à long terme, une dangereuse poudre aux yeux de l’Europe et des pays dits développés. On ne pourra pas résister très longtemps à la pression si l’on n’utilise pas de véritables canaux pour s’attaquer aux moteurs de la migration. Aussi triste que cela puisse paraître, toute solution qui ne reconnaît pas l’état d’esprit souffrant qui déclenche la migration d’origine humaine n’est qu’un problème dissimulé. Tout effort réel pour améliorer la situation devra tenir compte des réalités qui se cachent derrière le phénomène actuel. La perspective doit être élargie : il ne s’agit pas de l’Europe ou de l’Afrique, ni même d’une nation ou d’un continent en particulier. Il faut le voir pour ce qu’il est. Même si l’Afrique semble être en ligne de mire, la responsable de tous les maux , la migration concerne le destin de notre humanité collective.