AEFJN se distingue en tant qu’acteur principal de la plateforme Notre Terre est Notre Vie, qui encourage un plaidoyer collaboratif à plusieurs niveaux entre les acteurs confessionnels et non confessionnels en Afrique en faveur du traité des Nations Unies sur les sociétés transnationales (STN). Nous sommes convaincus que le fait de disposer d’un instrument contraignant pour réglementer les activités des sociétés multinationales à l’échelle mondiale est le moyen le plus viable de sauvegarder notre maison commune, de mettre fin au pillage des ressources naturelles de l’Afrique et de mettre un terme aux violations des droits de l’homme liées aux activités des sociétés transnationales sur le continent.
Le processus des traités est actuellement un carnet de chèques ouvert permettant à l’Afrique de réécrire certains des héritages de la colonisation. Pour atteindre le résultat espéré ce processus doit être abordé en collaboration étroite à des niveaux différents mais toujours liés entre eux. La plateforme a fait quelques progrès en matière de mobilisation au niveau international, régional et sous régional, mais il reste encore beaucoup de pain sur la planche aux niveaux national et communautaire en Afrique. Soit dit en passant, ces deux niveaux sont essentiels pour parvenir à un plaidoyer organique et communautaire en faveur du traité que la plateforme envisage pour l’Afrique.
La participation des acteurs étatiques africains au processus du traité a été catastrophique. Il est impératif maintenant de leur demander des comptes en raison de leur rôle principal en tant que leaders de première ligne. A ces deux niveaux (national et communautaire), les congrégations religieuses membres d’AEFJN sont aussi un atout stratégique pour cet aspect de la mission d’AEFJN. Comme certaines d’entre elles ont leurs communautés religieuses insérées dans les communautés locales affectées, elles ont une position avantageuse. Leur expérience de première main des luttes des communautés contre les activités débridées du TNC sont un avantage pour le processus de traité. En plus de transmettre l’expérience des communautés locales au Secrétariat international d’AEFJN, elles sont dans une position unique pour fournir un espace de discussion entre les groupes locaux de la société civile et les structures locales de l’Eglise institutionnelle (bureaux nationaux et diocésains de Caritas/JPIC) comme le Secrétariat international l’a fait à d’autres niveaux. Grâce aux congrégations religieuses affiliées à AEFJN, les violations des droits de l’homme et des droits des communautés ainsi que les destructions écologiques des STN sont répercutées à différents niveaux de gouvernance afin de fournir des « preuves » à l’appui d’un plaidoyer pour le traité.
Les structures de l’Eglise locale ont toujours été critiquées pour leur léthargie et leur indifférence à l’égard du plaidoyer, surtout lorsque cet engagement implique une collaboration avec des acteurs non ecclésiastiques. Il convient de noter que ces organismes ecclésiastiques ne sont peut-être pas toujours structurellement bien équipés pour ce type d’action. La formation du clergé diocésain ne le prépare généralement pas aux éléments essentiels d’une discipline missionnaire. Les analyses sociales et interculturelles, l’interculturalité et l’internationalité ainsi que leurs liens avec la justice et la paix sont des impératifs lorsque l’on envisage l’aspect missionnaire d’un problème. La formation du clergé diocésain met l’accent sur d’autres priorités. Pour certains responsables dans les diocèses, l’engagement avec des acteurs non ecclésiastiques dans un processus multipartite peut sembler être un terrain trop accidenté donc dangereux. Une mise en commun de l’expérience acquise par les missionnaires grâce à leur engagement dans des questions de grande envergure et la connaissance approfondie de la situation locale, que possède le clergé diocésain, améliorera considérablement le dialogue avec les acteurs non ecclésiastiques. Peut-être que le clergé local surmontera son inertie et agira différemment le jour où il écoutera enfin la clameur de ses propres communautés et réalisera que la société civile, plus experte dans ces domaines bien particuliers, est facilement disponible et prête à mettre la main à la pâte avec lui.
Une anecdote qui a eu lieu à Abidjan en 2017 est un bon exemple. En ce temps-là la plateforme avait facilité une conférence sur l’accaparement des terres pour les pays francophones. Ce symposium avait rassemblé neuf évêques catholiques ainsi que d’autres acteurs de l’Église et la Société civile. Ce colloque a suivi une méthodologie très simple consistant à amener les communautés dont les moyens de subsistance ont été dévastés par les accaparements de terres des STN à raconter leur histoire. Les évêques sont restés collés à leur chaise pendant trois jours, assis au premier rang face à la société civile écoutant attentivement les histoires et les plaintes des communautés. La réaction des évêques, après coup, n’a surpris personne, car lorsque l’Église ose écouter, elle change. Les évêques se sont portés volontaires avec la société civile pour rédiger la déclaration qui en a résulté et se sont engagés avec elle dans la lutte. L’Église et la société civile ont régulièrement besoin de ce type d’opportunité d’échange pour s’entendre à différents niveaux, voir à travers les divers récits sociaux et stéréotypes religieux les uns contre les autres et construire des synergies. En outre, de tels espaces donnent aux communautés l’occasion d’être des acteurs plutôt que des bénéficiaires passifs face à ce que l’Église et la société civile font pour elles. Ce n’est pas de la haute sagesse que de faire pour les communautés ce qu’elles peuvent faire pour elles-mêmes.
La tâche principale des communautés religieuses missionnaires est d’amener l’Eglise locale et les groupes de la société civile dans cet lieu sacré de la transformation mutuelle et de la collaboration chacun selon ses possibilités. D’habitude l’Eglise se tient à l’écart des gouvernements et de la société civile qu’elle criminalise souvent. La société civile de son côté accuse l’Eglise d’être dominatrice en raison de son apparente insensibilité. Le fait que les deux parties se rencontrent pour s’écouter l’une l’autre est de bon aloi et très enrichissant. En se rencontrant ainsi les acteurs tant civils que religieux réalisent soudain que le vrai problème se trouve dans la criminalisation de l’autre et l’indifférence. Ces deux maux sont comme un éléphant dans une cuisine.
Le fait est que les acteurs étatiques africains ont habilement relégué l’Église à la périphérie des processus nationaux de décision. Leur grand slogan a toujours été la séparation de la religion et de la politique. Politique et religion sont pourtant inséparables ! L’Église a plusieurs rôles cruciaux à jouer dans la politique, notamment celui de faire avancer le cours des choses pour les masses et de dire la vérité au pouvoir au nom de Dieu. La politique, comprise comme une manière d’organiser et de gérer la communauté pour le bien commun, place immédiatement les véritables leaders religieux en première ligne de la politique nationale et des processus décisionnels.
Alors, pourquoi AEFJN considère-t-elle, via cette plateforme, que le Traité est si crucial pour les acteurs de l’Eglise ? AEFJN est persuadée que ce traité est d’une importance capitale pour l’Afrique. Nous voyons dans le Traité une fenêtre permettant de tenir les STN responsables, d’en finir avec l’impunité dont elles jouissent en Afrique et d’arrêter leur exploitation des institutions démocratiques faibles et corrompues du continent. La condamnation de Shell Nigeria aux Pays-Bas pour ses méfaits restés impunis au Nigeria renforce l’espoir qu’un bon traité sera un outil d’engagement avec les acteurs étatiques sur de nombreuses questions de justice. Le traité est un moyen pratique d’institutionnaliser les valeurs de justice éthique et sociale dans les entreprises et nos modèles économiques actuels, en faisant en sorte que ces mêmes entreprises servent la vie au lieu d’être des instruments de mort.
Une préoccupation équitable de la part de différents acteurs de l’Eglise de travailler de concert avec la société civile est une avancée dans le processus du traité. L’Eglise peut compter sur ses pouvoirs institutionnels du fait de sa présence dans les communautés affectées, de la crédibilité dont elle jouit auprès des acteurs étatiques en Afrique, et de la confiance construite au fil des ans avec les communautés locales, même dans les pays à dominante musulmane. Cependant, il faut bien comprendre qu’elle n’est pas la seule dépositaire du savoir et qu’elle a beaucoup à gagner en puisant dans les ressources de la société civile pour mieux comprendre certaines des questions techniques liées au traité. Il s’agit de réunir les avantages comparatifs de chacun en suivant l’exemple du Vatican.
Comme le dit le sage dicton, « nous sommes plus forts lorsque nous unissons nos énergies ». Comme il s’agit de la survie de notre humanité partagée et de notre maison commune, notre combat doit donc être collectif. C’est pourquoi la plate-forme continue de s’inspirer d’un proverbe africain : « Quand les araignées unissent leurs toiles, elles arrivent à ligoter un lion. » L’ensemble des parties prenantes doivent voir au-delà de leurs différences institutionnelles et de leurs préjugés et relever le défi du traité d’une seule voix dans l’intérêt du continent africain et de l’humanité.
Chika Onyejiuwa
AEFJN