Le Mozambique est revenu dans l’actualité des médias internationaux en raison de la catastrophe humanitaire qui ravage le nord du pays. Depuis le début du conflit en 2017, les combats dans la région ont provoqué une crise humanitaire avec près de 700 000 personnes déplacées et plus de  2.000 morts, selon les agences de l’ONU. [1] L’escalade de la violence ces dernières semaines dans la ville de Palma par le groupe terroriste islamique Al Shabaab, est survenue alors que plus de 1,3 million de personnes avaient déjà besoin d’aide et de protection humanitaire à Cabo Delgado et dans les provinces voisines de Niassa et Nampula.

Ces derniers mois, les attaques contre des civils, des bâtiments gouvernementaux stratégiques et des entreprises étrangères par des groupes islamistes sont plus fréquentes. Selon Amnesty international, en réponse à ces raids islamistes, l’armée mozambicaine et les mercenaires d’une société de sécurité sud-africaine n’y vont pas de main morte, comme il fallait s’y attendre. Des crimes de guerre sont commis et avec pareil scénario le chaos et la violence sont inévitables.[2] Ces groupes terroristes qui se sont infiltrés dans la population n’ont pas de lien direct avec les djihadistes qui opèrent dans d’autres régions d’Afrique comme la Somalie, le Mali ou la RDC, mais ils font partie du même réseau islamiste.

Tous les endroits d’Afrique où apparaissent ces bandes violentes ont un dénominateur commun : la lutte pour le contrôle des ressources naturelles de la région. Des ressources naturelles qui sont contrôlées par des entreprises de puissances économiques étrangères et qui laissent peu de bénéfices économiques à la population. Dans le cas de la région de Cabo Delgado, au nord du Mozambique, cette flambée de violence est due à des circonstances religieuses, politiques et économiques. Les taux élevés de pauvreté généralisée de la population, la corruption institutionnalisée et la discrimination par l’État de certains groupes ethniques (Mwani) ont provoqué le mécontentement de certaines communautés religieuses et ont conduit à l’apparition de factions radicalisées. Ces groupes profitent du mécontentement de la population pour promouvoir le contrôle des richesses naturelles de la région, en imposant la violence et la peur à la population.

En 2011, la société italienne ENI a découvert l’une des plus grandes réserves de pétrole et de gaz au monde sur la côte nord du Mozambique (bassin de Rovuma). Les entreprises d’extraction pétrolière connaissent la chanson. Elles n’ont pas trainé à proposer leur projet à la population comme une opportunité d’emploi et de croissance économique pour le pays. Il n’a pas non plus été bien difficile de convaincre le gouvernement du Mozambique de délivrer les permis nécessaires pour permettre à ces mêmes firmes d’extraire les ressources pétrolières de la région. Dans ce contexte, des compagnies pétrolières et gazières du monde entier, telles que la française TOTAL, l’allemande Anadarko, l’américaine Exxon Mobil, la chinoise CNPC, la portugaise Galp ou la coréenne Kogas, ont manifesté leur intérêt pour l’exploitation des réserves pétrolières. Dans leur sillage, les éternelles entreprises prestataires de services se sont installées dans la région.[3]

Toutefois, c’est la société française TOTAL qui est restée la plus active dans la région, en développant à coup de millions un projet d’extraction de pétrole et de gaz.[4] Malheureusement, les attentes générées par cette activité commerciale n’ont pas tardé à se dissiper, car la population locale n’a toujours pas trouvé de bénéfice économique direct ou indirect dans ces opérations minières. Les promesses de compensations directes à la population, telles que la construction d’écoles, la distribution d’eau potable ou la création d’emplois,  sont rapidement tombées dans les oubliettes de ces firmes étrangères. De plus, il apparait que le projet entraînera un déplacement de la population afin que des compagnies de services puissent s’installer dans la région à leur place.

Après l’émergence du conflit armé pour le contrôle des ressources naturelles du bassin de la Rovuma, qui a causé la mort, la destruction et le chaos dans cette partie du pays, les autorités mozambicaines ont fait appel à l’aide internationale d’urgence pour rétablir la sécurité dans la zone et aider des milliers de personnes déplacées. L’Union européenne et les Nations unies ont répondu aux appels à l’aide. Malheureusement c’est encore une fois le même lamentable scénario : un pays du Sud, riche en ressources naturelles, est exploité par des entreprises de pays nantis. Les activités de ces nations riches basées sur le bénéfice pur génèrent un sentiment de mécontentement au sein des populations locales et cela tourne à l’affrontement. Nous devons donc nous demander si ce type d’aide humanitaire est le genre d’assistance dont l’Afrique a besoin ? Est-ce là le nouveau mode de relation que nous voulons entre le Sud et les pays riches ? Ces dynamiques d’exploitation des ressources naturelles – conflits armés – aide internationale, ne feraient-elles pas partie de ce que l’on appelle la nouvelle colonisation ?

En Afrique, les ressources naturelles sont souvent à l’origine des nombreux conflits armés qui malmènent le continent. Les mécanismes de prévention pour éviter ces hostilités sont quasi inexistants et la législation internationale qui pourrait aider à les prévenir est toujours sur base volontaire, non-contraignante.[5] L’Union européenne a une grande responsabilité dans ces conflits, car dans de nombreux cas, les entreprises arrivent en Afrique encouragées par des législations européennes qui favorisent l’accès aux ressources naturelles pour assurer l’approvisionnement du vieux continent en matières premières et en minéraux.[6] De même, les entreprises européennes arrivent en Afrique soutenues par des accords bilatéraux d’investissement (BIT) qui protègent les entreprises et leurs investissements.[7] C’est le cas des entreprises qui, depuis 2011, ont réalisé des investissements dans l’exploitation du pétrole et du gaz au large des côtes du Mozambique et qui continuent à opérer en toute impunité tant dans ce pays que dans d’autres régions d’Afrique.

Le traité contraignant des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme, en cours de négociation, serait un mécanisme utile de prévention des conflits. Le respect des droits de l’homme ne commence pas avec l’exploitation des ressources naturelles mais à partir de l’approche des politiques de développement durable qui intègrent la volonté des populations locales, réalisent des évaluations d’impact social, garantissent la durabilité des ressources naturelles et protègent l’environnement. Actuellement, malgré les objectifs de durabilité des Nations unies, malgré les plans de transition énergétique de l’UE, malgré les plans de diligence raisonnable des entreprises et les plans relatifs aux droits de l’homme et à l’environnement, malgré les législations nationales de responsabilité directe des entreprises… la violation des droits de l’homme et de l’environnement continue de provoquer des conflits comme celui du Mozambique.

La bonne gestion des ressources naturelles en Afrique relève principalement de la responsabilité des entreprises multinationales mais nécessite aussi l’engagement de tous les Etats à continuer à lutter pour le bien-être des populations locales qui sont les propriétaires légitimes des ressources naturelles. De plus cet engagement doit veiller à assurer le respect des législations nationales et internationales ainsi qu’à continuer à lutter contre toutes les formes de corruption. Seul un engagement de la part des Etats qui prend en compte les populations locales et leurs besoins et qui valorise les impacts sociaux et environnementaux de l’exploitation des ressources naturelles peut garantir le véritable développement intégral des populations.

José Luis Gutiérrez Aranda

AEFJN Policy Officer

 

[1] Humanitarian catastrophe in northern Mozambique, https://news.un.org/en/story/2021/04/1089362

[2] https://reliefweb.int/report/mozambique/mozambique-attacks-palma-district-flash-update-no1-last-updated-29-mar-2021

[3] https://www.exxonmobillng.com/e5a02cda-a964-4797-8fbc-44e501fe15a5 

[4] About the project, https://www.mzlng.total.com/en/about-mozambique-liquefied-natural-gas-project

[5] United Nation Guiding Principles on Business and human Rights  https://www.ohchr.org/documents/publications/guidingprinciplesbusinesshr_en.pdf or

OECD Guidelines for Multinational Enterprises http://mneguidelines.oecd.org/mneguidelines/

[6] EU Raw Materials Initiative https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2008:0699:FIN:en:PDF

[7] Bilateral Investment Treaties https://investmentpolicy.unctad.org/international-investment-agreements/countries/12/austria