Contexte

Quiconque a visité une zone minière en Afrique est frappé par les impacts négatifs que les activités des entreprises extractives ont sur la région : terres dévastées, manque de sécurité autour des mines, situation  sanitaire déplorable, déplacement des populations… D’un seul coup d’œil, on constate que l’activité minière modifie le paysage. La circulation sur les routes des mines est chaotique. D’après les saisons ce ne sont que nuages de poussière ou mers de boue. Le va et vient des lourds camions miniers défoncent toutes les routes et labourent le moindre chemin. Des multitudes de personnes attirées par les rebuts que les compagnies minières laissent derrière elles affluent vers les centres miniers. Tous  ces aventuriers sont alléchés par les innombrables les  montagnes de déchets miniers où chacun espère trouver encore un petit quelque chose. Ces immenses tas de roches abandonnées par les compagnies minières en raison de leur faible rendement, font les choux gras du petit peuple ( y compris des enfants) en permettant aux pauvres de gagner un peu d’argent pour survivre.

Ces « glaneurs », ainsi que les mineurs artisanaux, trouvent toujours des marchés (irréguliers) ou vendre le produit de leur grappillage. Pour eux ces businesses à la sauvette  sont  un moyen comme un autre de faire du profit économique. Si leurs activités se déroulent dans des zones affectées par des conflits ou à haut risque les fruits de leurs labeurs clandestins finissent souvent dans les poches de groupes armés. Afin d’éviter que les bénéfices de l’achat et de la vente de minerais ne se retrouvent finalement entre les mains de groupes rebelles et armés, l’Union européenne a adopté le règlement européen sur les minéraux de conflit qui est entré en vigueur le 1er janvier 2017[1].  L’esprit initial de cette réglementation imposait aux entreprises importatrices de produits miniers de l’UE de pouvoir retracer ces mêmes produits tout au long de la chaîne d’approvisionnement de leurs fournisseurs. En outre, la directive européenne prévoyait de sanctionner les entreprises qui achètent des minerais à des entreprises (fonderies et raffineries) qui elles-mêmes se fournissent auprès de groupes armés.

Les limites de la directive

Comme pour d’autres dispositions légales, le lobby des entreprises n’a pas raté l’occasion d’atténuer le contenu du règlement sur les minéraux de conflit. Tout d’abord, les sociétés minières ont réussi à rendre la directive transitoire. En 2017 la mise en œuvre de la directive a commencé en tant que règlement facultatif laissé à la liberté de chacun pour par la suite en janvier 2021 entrer en vigueur en tant que règle obligatoire. La mise en œuvre de cette prescription sur les minéraux de conflit n’a pas amélioré la situation dans les endroits où les groupes rebelles contrôlent les zones minières. Ainsi, en 2020, 44 % des entreprises ayant fait l’objet d’une enquête n’ont pas été en mesure d’identifier formellement l’origine des minéraux de conflit. Le laxisme des entreprises dans leur mise en œuvre de la directive nécessite une plus grande attention de l’UE dans le contrôle de ses multinationales et il est nécessaire d’établir des mesures homogènes pour accompagner la mise en œuvre de la directive[2].

Deuxièmement, la directive sur les minéraux de conflit a été rédigée par l’UE de manière insuffisante et à contre cœur. Son champ d’application a été réduit à certains minéraux tels que l’étain, le tungstène, le tantale et l’or (3TG). D’autres minéraux tout aussi importants pour les nouvelles technologies, comme le cobalt et le nickel ont été exclus. En outre, ces dernières années, l’UE fait face à de nouveaux besoins en métaux rares qui sont nécessaires pour transformer la production d’énergies classiques en énergies renouvelables, comme le lithium, l’indium, le lanthane, l’yttrium et l’europium. Une révision de la directive est prévue en 2023. A cette occasion il faudrait inclure dans cette nouvelle mouture tous les minéraux et métaux rares essentiels au développement de la transition vers une économie verte[3].

Troisièmement, le lobby commercial des importateurs de minéraux a influencé le processus de création de la directive pour la limiter à certaines zones géographiques et a obtenu de l’UE qu’elle établisse des listes d’entreprises « fiables » afin que les entreprises importatrices déposent la responsabilité civile de leurs importations auprès d’entreprises tierces (par le biais d’audits externes) qui devraient garantir la traçabilité des minéraux.

Le manque de transparence de la part des Etats membres pour rendre publiques les listes d’entreprises qui doivent être soumises à la directive, et le fait que les entreprises se dégagent de leur responsabilité dans les audits réalisés par des tiers, rendent la directive doublement inefficace. Ainsi, la société civile n’a pas accès au contrôle des rapports obligatoires qui pourraient indiquer des risques et ne peut agir en coordination avec les autorités compétentes de chaque pays pour surveiller la mise en œuvre de la directive.

Mesures d’accompagnement

Il faut que la directive soit pourvue de mesures d’accompagnement pour faire respecter l’interdiction d’importer des minéraux qui financent des groupes armés dans des zones touchées par des conflits ou à haut risque. Les États membres ne s’accordent pas sur ces mesures pour mettre en œuvre la directive et proposent une foule de solutions variées et peu exigeantes en cas d’infraction à la directive. La révision de la directive devrait inclure des mécanismes de sanction par les États membres afin de garantir l’unité d’une action coordonnée et d’empêcher les États de réduire l’efficacité de la directive.

La directive laisse aux États membres la possibilité de choisir des mesures de sanction en cas d’infraction des entreprises. Ainsi, alors que la plupart des pays de l’UE considèrent que les entreprises qui importent des minerais provenant de zones de conflit et qui ne respectent pas la directive devraient être soumises à une pénalité financière, des pays comme la Finlande et la France soutiennent l’idée d’interdire les importations de ces entreprises pendant une certaine période, allant d’un mois à un an. D’autres pays, comme les Pays-Bas, la Suède ou la République tchèque, choisissent de rendre public le nom des entreprises qui enfreignent la directive comme mesure coercitive pour encourager les entreprises à se conformer à la loi[4].

Il n’y a pas d’unanimité de la part des États membres pour infliger des amendes aux entreprises qui enfreignent la directive, et les pays qui optent pour une sanction pécuniaire ne sont pas non plus d’accord sur le montant de la sanction, qui va de la somme ridicule de 726 euros en Autriche à 100. 000 euros au Luxembourg. Dans certains cas, ces sanctions peuvent même être conditionnées à l’engagement des sociétés minières à rectifier leurs erreurs.

La variété des mesures correctives pour les violations de la Directive par les Etats membres et le manque de sévérité des sanctions pour les actes graves de financement de groupes armés mettent en évidence le manque de contrôle politique de l’UE. La solidarité si souvent vantée par l’UE dans ses négociations pour l’extension de l’accord post-Cotonou devrait commencer par quelque chose d’aussi élémentaire que le soutien aux États africains dans leur lutte contre le terrorisme des groupes rebelles armés et la prévention de toute violation des droits de l’homme.

Le passage d’une directive non contraignante à une directive obligatoire est un facteur positif dans la lutte contre l’impunité des grandes entreprises opérant en Afrique, mais cette évolution est clairement insuffisante. Les transpositions de la directive par les Etats membres ne prévoient même pas de sanctions pour les entreprises qui importent de manière répétée des minerais provenant de zones de conflit sans aucun justificatif de leur traçabilité. Il suffit d’affirmer que les importations ont été effectuées par des intermédiaires qualifiés (la fameuse liste blanche) pour s’exonérer de toute responsabilité civile.

José Luis Gutiérrez Arnada

AEFJN Advocacy Officer

[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=OJ:L:2017:130:FULL&from=EN

[2] https://www.gao.gov/products/gao-21-531 

[3] Critical Raw Materials Resilience: Charting a Path towards greater Security and Sustainability, https://www.politico.eu/wp-content/uploads/2020/09/Communication-Critical-Raw-Materials-Resilience.pdf

[4] The EU Conflict Minerals Regulation Implementation at the EU Member State level

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