En 2015, AEFJN a cofondé la plateforme « Our Land is Our Life » suite à la conférence continentale africaine sur la terre et la bonne gouvernance à Limuru au Kenya. Elle l’a coorganisée avec le SCEAM, l’AFJN CIDSE et plusieurs autres acteurs de l’Église avec la participation de plusieurs acteurs de la société civile. L’objectif de la plateforme était de rendre opérationnels les résultats de la conférence, et AEFJN a continué à co-faciliter ses activités. La plateforme a été une école d’expérience exceptionnelle pour les acteurs et a énormément enrichi le côté ecclésial avec l’expertise de la société civile.

Parallèlement, la conférence elle-même était un effort pour créer un espace de synergie entre l’Eglise et la société civile pour une campagne plus collaborative, à plusieurs niveaux et plus organique contre l’accaparement des terres et des ressources naturelles en Afrique. La plateforme s’est depuis élargie pour inclure des acteurs d’autres confessions et traditions chrétiennes. Il semble que l’Eglise en Afrique commence à s’éveiller à l’intuition scripturaire selon laquelle « les enfants de ce monde sont plus sages que les enfants de la lumière » Luc 16:8-9. Il ne fait aucun doute que le rassemblement de nos énergies est le véritable moyen de faire face au pouvoir des sociétés transnationales en Afrique.

La nouvelle plateforme a continué à s’inspirer du sage proverbe africain « quand les araignées unissent leurs toiles, elles ligotent un lion ».  En effet, ce proverbe contient des leçons instructives pour le travail de la plateforme. L’araignée est un organisme très diversifié qui compte environ 46 000 espèces différentes et produit un fil de soie tendre. En réalité, les araignées doivent tisser leurs toiles ensemble pour attacher le lion, connu pour sa force et son agilité. Cependant, gérer les diverses araignées, dont certaines ont des valeurs d’ombre et des intérêts qui leur sont très précieux, n’est pas une mince affaire. Mais quoi qu’il en soit, seuls deux aspects du défi seront mis en évidence ici ; les autres feront l’objet d’autres écrits en raison du manque d’espace.

Le premier défi de la plateforme est d’assurer en permanence une relation dynamique entre l’autonomie des acteurs et leur collaboration. Alors que les acteurs apprécient le travail collaboratif de la plateforme, tout ce qui semble reléguer l’identité d’un acteur et son organisation au second plan se heurte à une résistance tacite mais ferme. Le deuxième élément, plus crucial, est le défi du langage. Le langage peut aussi bien unir que diviser les gens dans une lutte commune. Même lorsque les gens utilisent le même langage pour dire la même chose sur une question, cela ne signifie pas automatiquement qu’ils sont sur la même longueur d’onde sur un sujet particulier. Cette torsion a fait surface à plusieurs reprises dans le travail de collaboration de la plateforme et a parfois constitué un facteur limitant dans le travail de collaboration.

Une expérience qui illustre le défi linguistique ressort des rapports de notre campagne « transitions vers l’agroécologie ». Les acteurs de l’Église ont trouvé le mot « agroécologie » technique. Leur difficulté avec ce terme les a rendus vulnérables aux permutations des lobbyistes agro-industriels. Par conséquent, ils ne peuvent pas explorer pleinement les opportunités qui s’offrent à eux au sein de leurs structures institutionnelles pour faciliter la transition de l’agroécologie vers un système alimentaire durable en Afrique. Cependant, dans certains espaces de plaidoyer où les militants ont présenté l’agroécologie comme une agriculture pro-vie ou même une agriculture qui donne la vie, elle a trouvé une grande résonance parmi les acteurs de l’Eglise. Elle les relie immédiatement à Laudato Si et aux documents similaires de l’Église. Compris de cette manière, les acteurs de l’Eglise apportent leur foi pour promouvoir les transitions vers l’agroécologie et la collaboration avec les autres acteurs de la plateforme sans difficulté.

Une autre illustration provient des récits de notre Caravane. La caravane vise à créer des synergies entre les communautés sur une vision partagée contre l’accaparement des ressources en Afrique de l’Ouest. Cependant, le mot caravane n’a pas eu beaucoup d’écho auprès des communautés religieuses locales. En revanche, présenter la caravane comme un pèlerinage de justice (un pèlerinage de solidarité avec les communautés locales exploitées) dont les moyens de subsistance ont souffert de l’accaparement des terres par les sociétés transnationales a eu beaucoup de sens pour les communautés religieuses. Il évoquait la lutte commune pour la liberté du peuple africain, et l’esprit d’Ubuntu prenait vie en eux.  De cette manière, les communautés chrétiennes locales se sont éveillées à leur responsabilité de foi pour ancrer la justice dans le monde.

Un lien constant et régulier entre la foi et les questions de justice pourrait être le chaînon manquant dans la mobilisation de l’Eglise en Afrique pour des actions de justice sociale. L’Eglise en Afrique a été critiquée à plusieurs reprises pour son implication dans les cérémonies rituelles sans se soucier de la justice sociale. Mais comment les communautés chrétiennes ordinaires et locales peuvent-elles entreprendre une action sociale sans comprendre comment cette activité est liée à leur foi de manière transparente et naturelle ? Les communautés chrétiennes locales ne peuvent pas s’engager dans le débat technique sur les traités contraignants de l’ONU sur les STN. Cependant, elles se lèvent immédiatement pour la justice et le pèlerinage de solidarité avec les communautés dont les moyens de subsistance et les droits ont été affectés par l’accaparement des terres par les STN. La construction d’une synergie par le biais d’un langage efficace n’est en aucun cas une tâche facile, mais elle apparaît comme une composante essentielle du ministère et de l’animation de JPIC.

Chika Onyejiuwa

AEFJN