Alors qu’AEFJN avance dans son nouveau plan de travail, la place de la Chine et des autres pays du BRICS devient un sujet de grande préoccupation dans ses stratégies de plaidoyer. En l’état actuel des choses, le peu d’espace économique gagné par l’Union européenne en faveur de l’Afrique grâce à des années de plaidoyer a rapidement été occupé par la Chine et ses alliés. Le futur plaidoyer en faveur de l’Afrique qui considère l’Europe comme le principal acteur économique en Afrique en raison de leurs liens traditionnels pourrait bien passer à côté d’un facteur clé. À notre avis, il est nécessaire de passer à un plaidoyer à l’initiative des Africains pour s’assurer que la menace émergente des nouvelles puissances économiques qui ont pris d’assaut le continent est effectivement questionnée et défiée.
La présence des pays du BRICS a radicalement changé l’équation de l’économie politique de l’Afrique et surpassé le bastion économique européen traditionnel en Afrique. La Chine est présente et active dans presque tous les pays d’Afrique. En 2015, la Chine a investi environ 35 milliards de dollars en Afrique et a ainsi dépassé l’Europe ou les Etats-Unis comme principal partenaire commercial de l’Afrique. Le Sommet Chine-Afrique de 2018 a démontré une fois de plus l’importance croissante de la Chine en Afrique. Au cours du Sommet, le Président Xi Jinping a proposé d’investir 60 milliards de dollars supplémentaires en Afrique au cours des trois prochaines années. Entre-temps, l’influence des anciennes puissances coloniales continue de s’estomper. Tout indique que la Chine est sur le point de chasser les anciennes puissances coloniales du marché africain, mais la manière dont l’Europe entend se sauver de la perte imminente de son marché africain est réservée à l’histoire.
Le fait que la Chine soit entrain de faire d’énormes investissements en Afrique et qu’elle soit devenue le plus grand partenaire commercial, a battu tous les records. Cependant, les autres stratégies utilisées par la Chine pour avoir plus d’influence sur les médias africains, l’armée et même pour contrôler les infrastructures stratégiques en Afrique sont moins connues ou plutôt moins controversées. La nouvelle route de la soie chinoise doit relier non seulement la Chine et l’Europe, mais aussi une vingtaine de pays africains. La Chine est censée construire une infrastructure impressionnante pour relier ces pays. Le dernier exemple en date est la liaison ferroviaire de 4 milliards d’euros entre Mombasa et Nairobi, qui devrait relier à long terme cinq autres pays de la région. La Chine dispose désormais de ses propres points de police, appelés » centres de coopération policière et communautaires sud-africaine-chinoise « . Elle a rejeté l’appellation de » Commissariats de police » pour ces centres. Le développement est encore nouveau ; seul le temps pourra dire ce qu’il en sera finalement.
Alors qu’il semble que l’Afrique bénéficiera d’une infrastructure chinoise améliorée, les prêts chinois contribuent à une crise de la dette pour de nombreux pays africains et créent une dépendance croissante envers la Chine. Certains projets ne sont pas économiquement viables et lorsqu’un pays n’est pas en mesure de rembourser sa dette, la Chine a tendance à s’autofinancer en prenant en charge ses ressources minérales, l’approvisionnement énergétique public ou les ports et aéroports maritimes. La Zambie est sur le point de perdre son aéroport national à cause des créanciers chinois. Certains pays comme la Sierra Leone ont vu le danger d’accepter de tels crédits et ont annulé des contrats pour la construction d’un nouvel aéroport national.
De toute évidence, l’objectif d’une implication militaire accrue de la Chine en Afrique est de sécuriser ses routes commerciales terrestres et maritimes. A Djibouti, la Chine a commencé la construction d’une immense base militaire juste à côté de la base américaine. Il est destiné à devenir le centre du nouveau projet de la route de la soie. La Chine devient également le plus important fournisseur d’armes et fournit des équipements militaires à quelques 22 pays africains. Les programmes de formation des officiers de police et de l’armée renforcent l’influence de la Chine dans le secteur de la sécurité. Ces dernières années, la Chine a également fourni un appui financier et militaire aux missions de maintien de la paix de l’ONU en République démocratique du Congo, au Mali, au Soudan et au Sud-Soudan. La dernière exportation attrayante vers l’Afrique pourrait être les systèmes de surveillance électronique très efficaces de la Chine qui sont capables d’identifier les visages des gens. Les régimes dictatoriaux en Afrique l’accepteraient volontiers.
Par ailleurs, la qualité des infrastructures que les Chinois construisent pour les gouvernements africains est d’un aspect inquiétant. Au Nigeria, le chemin de fer d’Abuja-Kaduna, mis en service en 2016, a déjà fait l’objet « d’applaudissements très élogieux », avec des histoires de pannes de trains à n’en pas finir. Le développement des infrastructures chinoises en Afrique est conçu pour lui permettre de garder le contrôle de ces infrastructures. Que peut-il y avoir d’autres comme explications ? Dans tous ces domaines, l’absence de pouvoir de négociation de l’Afrique l’a rendue très vulnérable tant pour l’Europe que pour la Chine. Tout en gardant relativement son standard, l’Europe utilise ici des liens traditionnels pour faire un passage en force de ses vœux en Afrique. Cependant, la Chine utilise une stratégie peu orthodoxe » comme vous le voulez » qui a laissé les nations africaines avec des infrastructures et un fardeau de la dette supérieure aux normes.
De plus, dans le passé, la Chine avait l’habitude de faire venir temporairement des travailleurs chinois pour réaliser de grands projets, comme la ligne ferroviaire TANZAM de Lusaka à Dar-es-Salaam. De nos jours, ces travailleurs ont tendance à rester dans le pays et à créer des entreprises ou à travailler comme artisans et même comme vendeurs ambulants. Avec leurs importations chinoises bon marché, ils entrent en concurrence directe avec les petits commerçants locaux, ce qui peut créer des tensions. Mais entre-temps, les hommes d’affaires africains ont appris à opérer dans le monde entier et à importer leurs propres marchandises directement de Chine. Il n’existe pas de statistiques fiables sur le nombre de Chinois vivant en Afrique, mais les estimations varient entre un et deux millions. De l’autre côté, quelque 200 000 Africains vivent en Chine, dont 80 000 étudiants.
En outre, la Chine investit depuis de nombreuses années des sommes importantes pour acheter des actions dans d’importantes sociétés de médias afin d’influencer les politiques de communication, de diffuser la propagande prochinoise et de réduire au silence les voix critiques. Les sociétés de médias chinoises, comme le groupe StarTimes, diffusent des programmes TV dans 30 pays et sont un instrument efficace pour propager les intérêts de la Chine et sa culture. Il y a une cinquantaine d’années, les murs des maisons des régions reculées d’Afrique étaient couverts d’images colorées du magazine « China Today ». Ces dernières années, la Chine a intensifié ses efforts pour projeter une image positive du pays, de son idéologie politique, de sa culture et de sa langue. A l’instar des pays occidentaux, la Chine gère 48 centres culturels en Afrique et occupe la deuxième place après la France qui compte 180 centres. Ces « Instituts Confucius », souvent liés à des universités nationales, proposent des programmes culturels et des cours de langue en mandarin, qui attirent un nombre croissant d’étudiants.
Cette tendance devient toutefois préoccupante pour des raisons évidentes. L’intérêt de la Chine semble ne porter que sur les gains économiques. L’Europe a manifesté un tel intérêt dans le passé, même si la religion était utilisée pour émousser ses bords tranchants. Maintenant, nous le savons mieux que jamais ! La Chine ne semble faire face à aucun pays économiquement assez puissant pour freiner son assaut. Ce monopole laisse les pays africains historiquement affaiblis dans une situation très précaire. Ainsi, dans certains pays, les journalistes et la société civile commencent à remettre en question de manière plus effrontée les objectifs à long terme de la Chine sur le continent. Ils critiquent l’exploitation et la discrimination raciale des travailleurs africains dans les entreprises chinoises. Même si les voix qui s’élèvent ne sont pas encore coordonnées et ne forment pas de synergie, les préoccupations sont réelles et les craintes ont des antécédents historiques dans l’exploitation européenne sur le continent africain. Ce qui est peut-être nouveau, c’est l’approche bienveillante » gagnant-gagnant » que la Chine présente de manière tentante aux dirigeants africains. Les indices émergents montrent que les pays africains doivent se lasser des appâts lancés par la Chine. C’est pour assurer un interrogatoire coordonné et efficace du partenariat Chine-Afrique en cours qu’AEFJN milite en faveur d’un plaidoyer mené par l’Afrique elle-même afin de discerner les intérêts économiques de la Chine en Afrique : est-ce un boom ou une calamité voilée ?
Wolfgang Schonecke
Chika Onyejiuwa