La Direction générale du commerce de l’Union européenne (DG TRADE) dans son document « Commerce Pour Tous/ Trade for all » publié en 2015 a établi les lignes générales de la Commission Européenne dans le domaine du commerce. Ce document fait d’une part appel à la responsabilité de toutes les parties prenantes à l’intérieur de l’UE qui font du commerce avec des pays tiers et d’autre part  vise à ce que les nouvelles politiques d’investissement public privé encouragent l’engagement du secteur privé dans ces pays en vue de promouvoir le développement économique pour tous les peuples.

Dans l’introduction du document la commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström s’adresse aussi bien à ceux qui croient que le commerce devrait être le moteur économique de l’UE et à ceux qui, des décennies après la création de l’Organisation mondiale du commerce, continuent  à remettre en question le libéralisme économique comme un modèle de croissance économique et d’aide au développement. Il semblerait que l’expérience de la commissaire Malmström en tant que Commissaire Européen aux affaires intérieures pour la période 2010-2014 lui aurait fait  comprendre que la dignité des personnes devrait être au centre de toute politique. Dans ce texte la commissaire s’exprime sans ambages sur les droits de l’homme, le développement durable, l’environnement et les services publics comme si ces principes faisaient partie intégrante de leur manière d’agir. En outre, le document souligne que le commerce  n’est pas seulement une question d’intérêt mais aussi une question de valeurs. Il semble être un texte inspiré par la solidarité entre les peuples et engagé en faveur du développement.

Quatre ans plus tard, la stratégie commerciale de l’UE pour créer de nouveaux accords commerciaux demeure infructueuse à bien des égards. Ainsi, les négociations du « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement » (TTPI)  entre l’UE et les États ont été bloquées ; les accords de libre-échange entre les pays de l’UE et d’Afrique ainsi que ceux  d’Amérique latine n’ont guère avancé ces dernières années. L’attitude de la nouvelle administration des États-Unis est une menace de guerre commerciale sans précédent pour la Chine. Au sein de l’UE la même menace de guerre commerciale plane au-dessus des têtes des alliés traditionnels des USA. De plus les mesures annoncées pour un commerce plus responsable n’ont pas été matérialisées dans des règles commerciales spécifiques qui puissent permettre aux objectifs de développement durable d’être atteints d’ici 2030 comme prévu.

Depuis l’approbation du document « Commerce pour tous » aucun des « Accords de partenariat économique » (APE) entre les pays de l’UE et les pays africains n’ont inclus, modifié ou mis en œuvre des chapitres concernant  le commerce durable, les droits de l’homme, la transparence, l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, la participation de la société civile ni même les dispositions prises au cours de l’accord de Paris en 2015. Le mandat de la commissaire Malmström est sur le point de se terminer sans  aucune règle obligatoire nous permettant de continuer à croire en la volonté de la Commission de faire du commerce un instrument de changement dans les pays en développement, particulièrement en Afrique.

Malgré cela, le DG du Commerce avance lentement, presque en silence et ne renonce pas à des accords commerciaux avec l’Afrique, où l’UE veut continuer à renforcer son hégémonie et surtout assurer son accès aux matières premières en concurrence avec des pays comme la Chine ou le Brésil. Au sujet des APE il y a du progrès en ce qui concerne  la mise en œuvre des accords. Il s’agit principalement de quelques pays d’Afrique australe, principalement des pays du SADC. Il y a bien eu aussi quelques tentatives bien vite avortées, de passer d’autres accords de commerce. Ces essais se sont cognés à des pays résistants tels que le Nigeria dans la CEDEAO et la Tanzanie, en Afrique de l’est. Pays qui ont rejetés ces accords pour eux-mêmes et leur région et ont refusé la ratification et la mise en œuvre de nouveaux APE.

Cet été, comme dans les 30 dernières années, beaucoup de bateaux et d’embarcations à moteur chargés de personnes originaires d’Afrique ont atteint les côtes européennes, sans compter ceux qui sont morts pendant le voyage ou se sont noyés dans la mer Méditerranée. Les migrants sont des gens qui risquent leur vie en traversant la Méditerranée. Ils font ce périple parce qu’ils manquent d’opportunités économiques et n’ont pas de travail dans leur pays. C’est souvent aussi  en raison de l’incapacité de leurs gouvernements à gérer leurs ressources économiques qu’ils entreprennent cette aventure. Parfois aussi ce sont les politiques macroéconomiques imposées aux pays en développement qui les poussent à suivre cet itinéraire maritime dangereux.

Ces politiques rendent les pays africains économiquement dépendants des puissances économiques comme l’Union Européenne ou l’Amérique du Nord. Celles-ci imposent leurs conditions et règles provoquant ainsi la perte d’emplois et la réduction des possibilités économiques des pays concernés. Finalement les gens sont poussés à émigrer. C’est dans ce contexte de crise humanitaire que, en juin dernier, les dirigeants de l’UE ont élaboré des stratégies communes pour aborder le problème de l’immigration illégale. Ces mesures atroces surnommées « aide au développement » prennent vie sous la forme de camps de réception qui n’ont d’autre but que de parquer les migrants tant en Europe qu’en en Afrique.

Mais ce ne sont pas seulement les politiques commerciales qui sont un échec pendant le mandat de Junker en tant que chef de la Commission européenne. Les politiques d’investissement du « Plan d’investissement extérieur de l’UE » (PIE) en Afrique sont devenues comme une stratégie visant à encourager l’investissement privé dans les pays en développement .En même temps que d’être bénéfique pour les pays concernés. Cette stratégie servirait aussi à donner une sécurité juridique aux investisseurs européens. Le PIE a mis en lumière l’objectif de la croissance économique en créant de l’emploi et du développement durable en vue de s’attaquer aux causes de la migration illégale. Une fois de plus, l’UE s’en réfère aux valeurs et principes de la solidarité chers à l’Union européenne afin d’exercer des activités économiques qui finalement ne cherchent que les intérêts économiques de ses entreprises tout en leur assurant une sécurité stratégique. Ainsi on voit surtout le PIE favoriser l’investissement quand il s’agit de sources rentables d’énergie, d’industries agro-alimentaires qui fournissent des produits agricoles aux pays européens. Idem pour ce qui est d’investir dans la numérisation du marché qui facilite principalement les transactions commerciales des grandes entreprises entre l’Afrique et L’Europe.

Certes, l’UE est l’un des principaux investisseurs en Afrique et de l’aide au développement. Près de 60 % de l’aide globale est financée par les partenaires européens. Mais l’UE oublie souvent de rendre compte des bénéfices obtenus grâce à ses relations commerciales avec l’Afrique et ses investissements dans ce continent. Quel est le nombre d’entreprises européennes fonctionnant actuellement sur le continent africain. Quels sont leurs profits? Combien de taxes paient-elles dans leurs pays d’origine. Il est évident que les grosses firmes sont avares de données. Ceci étant dû soit au manque de transparence ou bien parce qu’il n’y a pas de règles qui les oblige à faire ainsi. Par conséquent, si l’UE veut renouveler son engagement envers l’Afrique dans l’accord « Post- Cotonou » à partir de 2020, elle devrait intégrer ses principes et ses valeurs de manière plus efficace dans les accords commerciaux par le biais de dispositions qui garantissent la responsabilité de ses grandes entreprises en ce qui concerne les droits de l’homme, l’environnement et le développement durable.

José Luis Gutiérrez Aranda

Trade Policy Officer