L’accès insuffisant à des produits médicaux de qualité et d’un prix abordable en Afrique constitue un défi important pour la santé publique depuis des décennies dans une majorité des 55 États que compte ce continent.
Cette situation est en partie attribuable à la faiblesse des Autorités nationales de réglementation des médicaments (ANRM) – ou, dans les pays qui ne sont pas dotés d’une ANRM, de la Direction de la Pharmacie auprès du Ministère de la Santé.
En effet, l’ANRM est l’agence officielle de chaque Etat en charge des médicaments et des produits de santé ; cette responsabilité comprend 5 fonctions essentielles:
- l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament,
- la pharmacovigilance,
- la surveillance du marché du médicament,
- le contrôle de qualité,
- la surveillance des essais cliniques.
La totalité des pays africains, à l’exception de la République arabe Sahraouie démocratique, dispose d’une ANRM ou au moins d’une unité administrative exerçant une partie ou toutes les fonctions d’une ANRM. Selon l’OMS, 7% de ces ANRM ont une capacité faible et 90% ont une capacité minimale. Seul le Ghana et la Tanzanie ont un niveau dit de ‘maturité’ de 3 sur une échelle de 4. Quarante sur 46 ANRM analysées ont une législation sur les médicaments mais seulement 15% de ces ANRM ont un mandat légal pour exercer les 5 fonctions régulatrices essentielles.
La faiblesse des ANRM en Afrique est liée:
- à des politiques et des systèmes réglementaires faibles ou absents,
- à un manque de professionnels compétents en matière de réglementation et présents en nombre suffisant,
- au sous-financement[1]
- parfois, à la corruption,
- à l’inefficacité ou l’absence de collaboration régionales entre les ANRM.
En réponse aux défis réglementaires nationaux en Afrique, un certain nombre d’efforts d’harmonisation régionale ont été introduits par l’Initiative d’harmonisation de la réglementation des médicaments en Afrique (AMRH) en 2009.
Au départ le but de l’AMRH était
- d’aider les pays africains à mettre en place un système efficace d’enregistrement des médicaments grâce à l’harmonisation régionale et au renforcement des capacités ;
- et d’améliorer le système de réglementation fragmenté pour l’enregistrement des produits en Afrique en passant d’une approche centrée sur le pays à une approche collaborative régionale et simplifiée.
AEFJN en a parlé dans les ECHOS du 26 mars 2018 auxquels nous renvoyons le lecteur/la lectrice.
En 2016, la Loi type de l’UA sur la réglementation des produits médicaux a été adoptée par l’U.A. ; le but de cette loi est d’établir un système efficace et efficient de réglementation et de contrôle des produits médicaux et de veiller à ce que ces produits répondent aux normes requises de sécurité, d’efficacité et de qualité. C’est l’Initiative AMRH qui a été chargée de mettre cette loi en pratique, ce qui a élargi sa mission. A terme, il est proposé que l’initiative AMRH serve de base à la création de l’Agence africaine des médicaments (AMA).
Hélas, les objectifs de mise en œuvre de la Loi type de l’UA n’ont pas été entièrement atteints et le Traité de l’AMA n’a pas encore été ratifié par le nombre minimum de pays requis pour son établissement. Malgré ces défis, la Loi type de l’UA et l’AMA promettent de combler les lacunes et les incohérences des législations réglementaires nationales et d’assurer une réglementation efficace des médicaments en galvanisant le soutien technique, l’expertise réglementaire et les ressources au niveau continental.
Le 25/11/2020, la Commission européenne a communiqué au Parlement européen, au Conseil européen, au Comité économique et social et au Comité des Régions un document de 29 pages intitulé Stratégie pharmaceutique pour l’Europe
Voici ce que l’on peut lire en page 26 de ce document:
« Les marchés mondiaux sont une source essentielle de croissance, y compris pour les PME. Il s’agit notamment de garantir des conditions de concurrence équitables et un environnement réglementaire propice à l’innovation et à la compétitivité. Dans le cadre de relations bilatérales avec d’autres pays, la Commission défendra les intérêts de l’UE, y compris l’accès réciproque aux marché publics dans les pays tiers, mais identifiera également des domaines d’intérêt stratégique communs. En particulier, l’Afrique est un partenaire important avec lequel il convient d’étudier la possibilité d’une coopération en matière d’innovation, de production et de transfert de technologies… »
L’Afrique est donc considérée comme un partenaire important et l’UE veut étudier avec elle la possibilité d’une coopération.
Voilà un langage respectueux et des intentions louables.
On peut néanmoins regretter :
- le peu de place accordée à l’Afrique dans cette Stratégie alors que l’Afrique est qualifiée par elle de ‘partenaire important’ et que la santé des populations africaines a des conséquences sur celle des populations européennes. L’Afrique est plutôt vue dans la Stratégie comme un partenaire commercial potentiel.
- L’absence d’engagement pour agir au niveau de l’OMC en faveur d’un assouplissement de la très stricte politique des brevets (ADPIC ou Aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce) en vue de faciliter le transfert de technologie et de permettre, dans le moyen ou longue terme, la fabrication de vaccins et de médicaments d’intérêt public pour approvisionner les marchés régionaux .
AEFJN demande au Parlement européen, en plus de mesures prévues dans la Stratégie pharmaceutique européenne concernant l’Afrique, de s’engager à :
- dégager davantage de moyens pour soutenir les ANRM africaines en vue de renforcer leurs capacités dans le sens de l’Initiative AMRH et pour favoriser le développement de l’AMA.
- défendre au niveau de l’OMC une position qui permette de faire face à des urgences de santé publique incluant le recours à une suspension temporaire des ADPIC dans le cas de la pandémie de COVID19, comme demandé par l’Inde et l’Afrique du Sud. Nous en reparlerons dans un prochain article.
C. Roberti (AEFJN)
Avec la collaboration de R. Ravinetto et de P. Daveloose.
[1] L’ANRM belge qui s’appelle l’AFMPS (Agence Fédérale des Médicaments et Produits de santé) a déclaré un budget de plus de 84 millions d’euros en 2015.