La cinquième session du Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur les sociétés transnationales et autres entreprises dans le domaine des droits de l’homme[i] (OEIGWG) s’est réunie à Genève du 14 au 18 octobre pour travailler sur le projet révisé du traité des Nations Unies sur les droits de l’homme et les entreprises[ii].  Le Groupe de travail a amélioré le document et s’est concentré sur un texte sur lequel les pays impliqués dans l’élaboration du traité peuvent négocier à l’avenir. Le projet révisé repose sur les principes directeurs de l’Organisation des Nations Unies (UNGP) concernant les entreprises et les droits de l’homme.  Parmi les nouveautés du nouveau texte figure la portée du traité qui veut inclure toutes les sociétés et institutions financières qui effectuent des transactions internationales et pas seulement les sociétés transnationales[iii].

L’objectif principal de ce traité est d’assurer la défense et la protection des droits de l’homme contre toute forme d’intérêt économique des grandes entreprises. Les violations des droits de l’homme et les abus de pouvoir des sociétés transnationales se produisent dans tous les pays. Toutefois, la protection des droits de l’homme est plus efficace dans les pays dotés d’institutions démocratiques plus fortes. Les pays en développement sont ceux qui subissent le plus grand nombre de violations des droits de l’homme et, dans la plupart des cas, ces violations restent non résolues et sans conséquences pour leurs auteurs.

Les travaux de la Commission intergouvernementale (OEIGWG) se sont concentrés sur la responsabilité juridique des entreprises qui violent les droits de l’homme, la mise en œuvre du traité et son articulation avec d’autres traités internationaux (notamment les traités commerciaux comme les accords de partenariat économique entre l’Union européenne et les pays africains). En réalité, plus le texte du traité international progresse, plus il est difficile d’en faire un traité contraignant et universel. Les difficultés telles que le règlement des différends, l’accès à la justice pour les personnes et les communautés concernées, la protection des plaignants et la réparation des dommages causés par les entreprises, quel que soit leur lieu d’activité, sont utilisées par l’UE pour justifier son engagement envers le traité et le respect effectif des droits de l’homme. C’est pourquoi il est essentiel d’avoir un traité international contraignant qui fixe des engagements minimaux en matière de droits de l’homme, qui soit accepté par tous les États et qui répare autant que possible les dommages causés aux personnes, aux communautés et à l’environnement.

Premièrement, nous notons la prééminence des droits de la personne sur les intérêts des entreprises. Aucune action de la part des entreprises ne peut être protégée par une quelconque impunité[iv]. A l’heure actuelle, il existe d’innombrables cas d’entreprises qui agissent en toute impunité contre les populations autochtones sous la protection de droits économiques ou de concessions gouvernementales qui ignorent le sort de la population. C’est le cas des opérations minières et des investissements agro-industriels couverts par des concessions administratives qui obligent les populations locales à se déplacer sans compensation économique, qui commencent leurs activités sans études d’impact sur la population et l’environnement, sans respecter les accords internationaux en matière d’environnement et avec un manque de transparence dans leurs activités.

Deuxièmement, le traité des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme doit renforcer son caractère contraignant en tant que mécanisme complémentaire aux autres traités internationaux. Le traité ne peut fonctionner indépendamment des autres accords internationaux et doit être articulé avec d’autres traités internationaux, en particulier les traités commerciaux tels que les accords de partenariat économique. La référence aux droits de l’homme dans les traités commerciaux internationaux ne peut se réduire à une mention dans le préambule des traités. Les traités internationaux doivent faire référence aux droits de l’homme dans leurs articles et doivent être obligatoires, y compris explicitement le devoir des sociétés transnationales de respecter les droits sociaux, économiques et environnementaux dans toutes leurs activités dans le monde[v].

Troisièmement, un traité contraignant des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme devrait inclure la responsabilité extraterritoriale des entreprises, quel que soit le lieu de leurs activités. En fait, il y a un paradoxe entre le traité de l’ONU qui devrait protéger les droits humains et le règlement des différends entre les États en matière d’investissement (ISDS). D’une part, les entreprises étrangères peuvent poursuivre les États devant les tribunaux d’arbitrage internationaux dans l’éventualité où les États modifient leurs lois et que cela entraîne moins de profits pour les entreprises. D’autre part, il n’existe aucun mécanisme par lequel ni les États ni les particuliers ne peuvent poursuivre les sociétés transnationales qui violent les droits de l’homme si elles opèrent à l’étranger. AEFJN appelle à mettre fin à ce paradoxe en demandant la fin de la SIPC dans les traités internationaux et l’inclusion dans les traités de la possibilité de poursuivre les violations des droits humains partout où elles se produisent[vi].

Quatrièmement, le traité doit garantir la sécurité juridique des personnes touchées par des violations des droits de l’homme en garantissant l’accès à la justice pour les personnes et les communautés touchées, en protégeant les plaignants de violations des droits de l’homme, en garantissant la réparation des dommages causés aux victimes et en exigeant la restauration de l’environnement lorsque des dommages environnementaux existent.

Conclusions

Les grandes entreprises déploient souvent tous les moyens à leur disposition pour échapper à leurs responsabilités et rester impunies pour les abus qu’elles commettent. Dans certains cas, ils limitent leurs responsabilités par l’intermédiaire de groupes de sociétés avec des sociétés mères et des filiales qui ont leur siège social dans différents pays et rendent difficile l’engagement de poursuites civiles et pénales. Une autre pratique courante dans les grandes entreprises est de changer de nom et d’effacer tout lien juridique avec des situations d’injustice qui se sont produites dans le passé et qui ont été dénoncées. Les entreprises doivent assumer leur responsabilité tout au long de la chaîne de production pour les biens et services qu’elles offrent, et leur responsabilité ne peut se limiter à l’espace géographique.

AEFJN plaide pour des mécanismes juridiques contraignants qui obligent l’Union européenne à surveiller le comportement des entreprises des Etats membres afin de respecter les droits de l’homme et les accords internationaux qui protègent l’environnement. Le traité de l’ONU est une occasion nécessaire d’instaurer la justice, mais il s’agit avant tout d’une responsabilité pour l’avenir.

L’Union européenne et ses États membres doivent changer leur attitude à l’égard du traité de l’ONU et travailler ensemble pour faire de ce traité une réalité effective. Au cours de la réunion d’octobre, les demandes formulées par l’UE ont été prises en compte (sans autre objectif que de ralentir et d’entraver un accord plus efficace).  Nous espérons que l’inclusion de leurs revendications dans le nouveau document suffira pour que l’UE devienne un membre actif de l’OEIGW et n’agisse pas comme un simple observateur ou un fauteur de troubles du traité[vii].

José Luis Gutiérrez Aranda

AEFJN Policy Officer

[i] The draft report of the fifth session https://www.ohchr.org/en/hrbodies/hrc/wgtranscorp/pages/igwgontnc.aspx

[ii]  Revised Draft of the Binding Treaty on Business and Human Rights https://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/WGTransCorp/OEIGWG_RevisedDraft_LBI.pdf

[iii] https://www.ohchr.org/documents/publications/GuidingprinciplesBusinesshr_eN.pdf

[iv] The EU and the Corporate Impunity Nexus https://www.tni.org/files/publication-downloads/the_eu_and_corporate_impunity_nexus.pdf

[v] A Practical Guide to Effective State Engagement with International Human Rights Mechanisms https://www.ohchr.org/Documents/Publications/HR_PUB_16_1_NMRF_PracticalGuide.pdf

[vi] Par le biais de l’ ISDS, les États africains ont été touchés par un total de 109 demandes d’arbitrage enregistrées en vertu de traités d’investissement entre 2013 et 2019. Cela représente 11 % de tous les conflits connus entre investisseurs et gouvernements dans le monde. https://unctad.org/en/PublicationsLibrary/wir2018_en.pdf

[vii] La réunion s’est terminée le 18 octobre. Les nouvelles propositions devraient pouvoir être incluses d’ici février 2020 et le nouveau projet devrait être présenté d’ici juin 2020. https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/WGTransCorp/Session5/Pages/Session5.aspx