Face à l’échec évident des accords multilatéraux de libre-échange et d’investissement promus par l’Union européenne (APE, TTIP, MERCOSUR), l’Europe a développé sa stratégie commerciale à travers des accords économiques bilatéraux avec des pays tiers. Le dernier de ces accords bilatéraux a été celui de l’UE et de Singapour ajouté à une longue liste. Dans ce nouvel accord, comme dans tous les accords bilatéraux que l’UE a actuellement mis en route, l’Europe impose ses intérêts commerciaux aux pays qui acceptent n’importe quel type de conditions, en protégeant leurs sociétés d’investissement et en oubliant la dimension sociale du commerce qui favorise la solidarité, le développement humain et la promotion des droits humains.

Ces accords économiques bilatéraux offrent non seulement une sécurité juridique aux sociétés d’investissement, mais imposent également la clause controversée des accords multilatéraux pour la résolution des conflits, appelée le règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS). Grâce à ces mécanismes de règlement des différends, les sociétés d’investissement peuvent poursuivre les États sur le territoire desquels elles sont installées si le gouvernement modifie la législation au cours de leurs investissements et si ces modifications législatives affectent leurs bénéfices. C’est le monde à l’envers. Ainsi, une société n’effectuera des investissements que si son succès économique est garanti et que ses bénéfices futurs sont prometteurs. Imaginez que dans votre propre pays, une personne ou une firme décide d’ouvrir un restaurant ou une quelconque  industrie et que pour se faire elle exige des bénéfices certains et puisse attaquer en justice les autorités locales en cas où ses investissements  ne lui rapporteraient pas les profits espérés. Cela ne vous semble-t-il pas étrange ? [1]

Mais le scandale de ces systèmes de règlement des différends entre entreprises et Etats (ISDS) va au-delà de la question de savoir qui sont les personnes morales (entreprises) habilitées à poursuivre un Etat souverain. [2]  Ces accords stipulent que les entités qui doivent résoudre les litiges entre les gouvernements et les entreprises ne sont pas les tribunaux ordinaires de chaque pays rattachés à la législation nationale du pays dans lequel l’investissement est réalisé. Ces tribunaux privés ne sont pas non plus soumis à la législation du pays d’origine des sociétés d’investissement. De plus, ils ne sont pas soumis aux lois ou traités internationaux.

Ces pseudo-tribunaux de nature juridico-privée obéissent à des critères purement économiques et à l’évaluation des bénéfices des grandes entreprises. Il ne s’agit donc pas seulement d’une atteinte aux systèmes juridiques démocratiques ou à l’État de droit, mais d’une menace pour la souveraineté nationale des pays dans lesquels les investissements sont réalisés. Accepter ainsi un simple accord économique c’est bafouer les tribunaux  des pays concernés.

Ces mesures contestées de règlement des différends établies dans les accords bilatéraux de libre-échange à la demande des grands consortiums limitent la capacité des pays en développement de légiférer. En tant que société civile, AEFJN dénonce ces clauses abusives et l’injustice qu’elles impliquent pour les pays en développement, notamment en Afrique où au moins 20 % des litiges entre investisseurs et Etats concernent des pays africains. [3] Grâce à ces clauses, les grandes entreprises trouvent le moyen d’agir librement à leur gré, renforçant ainsi leur impunité et garantissant qu’aucune législation ne peut leur mettre des bâtons dans les roues, même si elle contribue à améliorer la vie des citoyens et des pays. Ces clauses rendent difficile l’élaboration de législations sur les questions environnementales ou la protection des droits sociaux et du travail tels que l’établissement de salaires minimums pour tous les travailleurs, la modification de la législation fiscale, l’amélioration de la sécurité sociale, des pensions, etc., car elles entraîneraient une modification des coûts de production des entreprises d’investissement et pourraient avoir des conséquences négatives sur leurs bénéfices.

Ces dernières années, l’Union européenne a fait un effort en faveur de la transparence des entreprises européennes qui contribuent à améliorer la dimension sociale et économique au service de la société. Toutefois, les efforts de l’UE pour maintenir des clauses telles que la SIPC provoquent la confusion en détruisant les valeurs de la démocratie et de l’État de droit. On se demande qui est à l’origine de ce genre de clauses, pourquoi sont-elles incluses dans les accords bilatéraux de libre-échange ? S’agit-il de décisions politiques ou gouvernementales ? Obéissent-elles à la politique commerciale de l’UE ? S’agit-il d’une compétence auto-attribuée de la Commission européenne ? Est-ce une initiative du délégué commercial ? Les fonctionnaires de la DG Commerce ne font-ils qu’obéir? Les institutions européennes sont au service de qui ? Des citoyens ou de l’économie ? Dans quel but fonctionnent-elles, le bienêtre des gens  ou ses propres  intérêts économiques ? Quel rôle les valeurs de solidarité et de justice de l’UE jouent-elles dans la pratique concrète d’un accord économique ? Où est le contrôle du Parlement européen et des États membres face à de tels abus ? Quelle est la position de la commission du commerce international du Parlement européen à cet égard ? Pourquoi détournent-ils tous la tête lorsqu’il s’agit d’approuver ces traités ? Peut-être certains intérêts de l’UE sont-ils cachés à la société (civile) ?

La responsabilité sociale des entreprises ne peut être laissée au libre arbitre de ces mêmes entreprises sans aucun contrôle législatif. Il y a une coresponsabilité de la part des institutions de l’UE et des gouvernements nationaux qui doivent garantir les valeurs démocratiques et de solidarité. Dans le cas contraire, l’accroissement économique de l’UE ne conduira qu’à l’appauvrissement d’autres régions.

José Luis Gutiérrez Aranda

AEFJN Policy Officer

 

 

[1] Among the most famous examples we find some cases like Petrolera Occidental in Ecuador, Philip Morris in Uruguay, Renco in Perú, Veolia in Egypt, Fraport in Filipinas, Burundi and Democratic Republic of Congo with Belgium companies, South Africa and Namibia.

[2] http://isds.bilaterals.org/?tribunales-privados-de-arbitraje

[3] https://isds.bilaterals.org/?-africa-263-