Les médias nous montrent le drame de la migration forcée au bout de son parcours avec des images de tragédies telles que les migrants à la frontière de la Pologne et de la Biélorussie, les personnes touchées par des catastrophes environnementales comme celles du delta du Niger, les caravanes de migrants traversant des déserts vers nulle part, les personnes mortes tentant de traverser la mer Méditerranée ou la surpopulation des migrants dans les centres de détention. Cependant, ces médias oublient que les causes de la migration forcée commencent sur les bureaux des décideurs politiques, économiques et financiers. Cet article vise à visualiser le contexte international du continent africain, qui permet des investissements en faveur d’un supposé développement mais qui se soldent par l’expulsion de millions de personnes de leurs foyers et de leurs communautés.
Il existe un certain nombre de faits pertinents qui ont fait de l’Afrique l’objet de la cupidité des pays riches. Tout d’abord, le continent africain possède un tiers des réserves minérales du monde. Selon le fonds d’investissement FIDELITY, seuls 10 % des 400 millions d’hectares de terres arables entre le Sénégal et l’Afrique du Sud seraient exploités et possède au moins la moitié des terres arables du monde.
En termes de population, nous avons un continent jeune avec plus de 1,2 milliard d’habitants, et selon certaines estimations, d’ici 2050 il y aura près de 2 milliards d’habitants, dont la moitié aura moins de 25 ans, ce qui fait de l’Afrique un continent avec un potentiel de consommation qui permet l’expansion assurée des grandes économies de la planète.
Face à ces chiffres très généraux, la logique capitaliste veut s’imposer en Afrique et propose des solutions depuis les bureaux des investisseurs et des STN pour améliorer la production et réduire la pauvreté, mais sans tenir compte des populations et sans respecter les droits des communautés locales. Pour la logique capitaliste, les seuls objectifs sont de supprimer l’agriculture de subsistance et familiale, de créer des infrastructures et d’intégrer l’Afrique aux grandes économies de marché.
L’Organisation internationale pour les migrations définit la migration forcée comme des mouvements migratoires provoqués par une série de circonstances non volontaires, telles que la fuite devant des persécutions, des conflits, la répression, des catastrophes naturelles ou causées par l’homme. Et la revue FORCED MIGRATION REVIEW classe les migrations forcées en trois catégories : celles causées par les conflits, celles causées par le développement économique et celles causées par les catastrophes naturelles.
Ce deuxième type de migrations forcées, ironiquement causées au nom du développement économique, tente de nous faire oublier que ces réalités sont souvent causées par la détérioration produite par les grandes entreprises, ainsi que par les décisions consenties par les dirigeants politiques et administratifs des pays touchés.
Les migrations forcées causées par les entreprises ne sont pas seulement dues aux mégaprojets d’infrastructure, mais aussi à l’implantation de certaines entreprises, d’entreprises d’extraction minière ou pétrolière, ou d’entreprises agricoles sur le site occupé par une population ou une communauté. Ces entreprises finissent par détériorer le changement des conditions de vie de la population qui s’est produit depuis l’arrivée de ces entreprises sur leurs territoires et provoquent le départ forcé en raison de la destruction des infrastructures économiques et sociales nécessaires à la survie.
Mais comment les activités des STN peuvent-elles provoquer de tels déplacements forcés de populations si, en principe, ce que les investisseurs et les grandes entreprises apportent, ce sont des promesses d’un avenir de meilleures conditions de vie pour la population ?
L’Afrique est traversée par une multitude d’accords multilatéraux politiques et économiques. Ces accords internationaux sont établis aux niveaux régional, continental et intercontinental et favorisent l’implantation de STN en Afrique. Les accords politiques facilitent les investissements des pays riches investisseurs en offrant aux entreprises des conditions économiques avantageuses, ainsi que la possibilité d’opérer dans le pays sans avoir à rendre des comptes, avec des avantages fiscaux, et avec une transparence douteuse des bénéfices reçus et une impunité dans l’exécution des projets.
Lorsque ces traités se concentrent sur l’aspect commercial, les droits des personnes sont oubliés et entraînent une diminution des recettes fiscales par le biais des tarifs douaniers, une concurrence déloyale des entreprises des pays plus riches, la destruction des moyens de subsistance traditionnels, une détérioration des services publics tels que l’éducation et la santé, et une porte ouverte à la privatisation des entreprises publiques. Ces accords politiques incluent dans leur négociation le renforcement de la démocratie dans les pays africains, cependant il existe d’autres accords bilatéraux qui sont simplement poursuivis à des fins économiques et la détérioration qu’ils causent à la population est irrémédiable. Parfois, même l’aide au développement devient un objet d’échange économique.
Ces données, lues dans leur ensemble, expliquent pourquoi les grandes entreprises du monde entier veulent se positionner en Afrique. Les grandes entreprises transnationales s’implantent en Afrique depuis des décennies et sont responsables du pillage continu que la population africaine continue de subir. Nous sommes donc confrontés à un nouveau colonialisme exercé par les STN et protégé par les traités commerciaux, les politiques d’expansion économique des grandes institutions financières et les plans d’investissement des banques.
Pour mettre fin aux migrations forcées, il est nécessaire d’inclure sur la scène mondiale des accords et des traités contraignants qui visent fermement à protéger les droits humains des peuples, les cultures ancestrales, les modes de vie traditionnels et, surtout, à protéger les personnes. En outre, tant que les problèmes structurels de corruption dans les pays où se produisent les violations des droits de l’homme ne seront pas résolus et que l’impunité des STN sera maintenue, on ne peut que s’attendre à une aggravation de la situation.
L’Afrique a le potentiel et la capacité de se développer par elle-même et ne devrait pas être dépendante d’arrangements politiques et économiques qui limitent sa liberté. Ces problèmes nécessitent une cohérence législative interne aux pays africains, ainsi qu’une limitation des accords politiques internationaux qui servent d’alibi et de cadre juridique permissif à l’activité économique des grandes entreprises.
La migration forcée continuera à causer des dommages irréparables aux pays africains eux-mêmes s’ils ne protègent pas leurs populations et ne laissent pas partir les personnes qualifiées possédant un capital culturel et humain.
Enfin, je pense que les mécanismes juridiques existants qui pourraient contribuer à contrôler le comportement des grandes entreprises et le respect des droits de l’homme sont insuffisants. Les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ainsi que les principes directeurs généraux de l’OCDE à l’intention des entreprises sont de nature volontaire. Il faut donc des obligations directes de la part des entreprises et une reconnaissance juridique expresse qui permette l’extraterritorialité du droit international pour poursuivre les comportements qui violent les droits de l’homme et provoquent des migrations forcées. Seul un engagement de solidarité qui place les personnes et les communautés au centre des accords politiques peut véritablement atténuer la pauvreté et réparer les dommages causés.
José Luis Gutiérrez Aranda
AEFJN Advocacy Officer