Ce titre du livre de René Dumont fit scandale en 1962 et marqua tous les étudiants de l’époque. Qu’en est-il aujourd’hui ? Fin mai, la BAD (Banque Africaine du Développement) a publié un rapport selon lequel 18 pays sur 54 ont atteint des niveaux « moyens à élevés » en matière d’éducation, de santé et de niveaux de vie. Un rapport rédigé conjointement avec l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement économiques) et le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement). Parmi ces pays, l’Afrique du Nord montre les niveaux les plus élevés. Tout cela est réjouissant, n’est-ce pas, pour un continent qui recèle tant de ressources humaines motivées, créatives et enthousiastes ? Et des personnalités hors du commun. Et pourtant ! Malgré les avancées de ces dix dernières années, 544 millions d’Africains, sur une population totale de 1,2 milliard, vivent toujours dans la pauvreté, et la moitié des jeunes, « avenir » des sociétés, sont sans emploi, même s’ils ont des qualifications. C’est très grave. On peut tenter des explications, les causes sont nombreuses, mais essayons d’en cerner quelques-unes. Tout d’abord l’éducation. Alors que l’Afrique du Sud, le Ghana, le Maroc, le Mozambique, la Tunisie consacrent jusqu’à 6 % de leur PIB pour l’éducation, le Nigéria, pays très riche, atteint péniblement 1 %. Une autre cause importante : le manque d’électricité, d’énergie, dans ce continent inondé de soleil toute l’année, ce qui empêche de sortir de la pauvreté. En Afrique subsaharienne, mentionne le rapport, 645 millions de personnes sont privées d’accès à l’électricité… Il y a aussi le déficit en alimentation, surtout à l’Est. Enfin, facteur décisif, la corruption qui augmente de façon exponentielle, notamment depuis 20 ans, avec l’arrivée massive de Chinois et de leur politique du « win-win (gagnant-gagnant) », une période qui a aussi vu les disparitions catastrophiques des éléphants et des rhinocéros entre autres. Accélération de même du nombre de multinationales étrangères, certaines suisses ou domiciliées en Suisse, et de leur impact local sur l’environnement et les populations qui deviennent sources de conflits.

Le développement humain, celui des mentalités, n’a pas pu suivre le développement économique dans de nombreux pays où les informations n’arrivent pas. Il y a été négligé. Ainsi la majorité des sociétés africaines sont déstructurées, le lien social est distendu, il n’y a plus de garde-fous, plus de limites, les voyous ont les mains libres. Dans bien des cas, les classes moyennes supérieures et les cadres politiques, juste sortis de la pauvreté, se servent dans les richesses de leur pays comme au supermarché sans investir localement et mettent leur argent à l’extérieur. Ils suivent aussi l’exemple de l’ancienne classe politique française pour les privilèges, et récemment celui du clan Trump…

Le communisme s’était effondré surtout à cause de l’embourgeoisement de ses élites, il en va de même en Afrique. Il y règne un capitalisme dévoyé, ravageur, avec l’appui de certaines élites, ce qui a engendré Boko Haram et autres djihadistes. La mondialisation en Europe et aux Etats-Unis a fait monter le populisme, en Afrique elle a fait augmenter la corruption généralisée et seule une petite minorité en profite qui cherche à maximiser ses profits au lieu de créer des richesses. L’Afrique aurait aussi besoin d’un élan moralisateur comme ce qui se passe en France, mais cette heure n’a pas encore sonné, et l’esprit de Mandela a disparu. Alors que les Etats après les indépendances avaient repris des Eglises la gestion des écoles et des hôpitaux, il se passe aujourd’hui le phénomène inverse dans plusieurs pays. Ce sont de nouveau les Eglises, les ONG, l’humanitaire, des fondations privées, qui reprennent le flambeau de l’éducation. La honte ! L’argent destiné à la coopération au développement, est utilisé en partie pour l’urgence humanitaire. Le rapport de la BAD, qui veut sans doute susciter la confiance des investisseurs étrangers, explique que le continent africain est la deuxième région la plus dynamique du monde et que sa croissance de 2,2 % en 2016 devrait atteindre 4,3 % en 2018, « sous réserve du redressement des cours des matières premières », et d’ajouter « qu’il faut vraiment plus d’investissements dans le capital humain », dans l’éducation et que les classes moyennes, évaluées à 350 millions de personnes, sont un immense potentiel en terme de prospérité. On veut bien le croire, mais en 2016, 60 000 migrants africains ont traversé la Méditerranée, livrés à eux-mêmes, déboussolés, sans emploi chez eux.   Oui, l’Afrique noire est encore mal partie avec ce capitalisme débridé et immoral, destructeur de sa jeunesse. Quand les vautours planent dans le ciel, on les chasse, de même que les chacals et les hyènes.

Christine von Garnier, journaliste et sociologue, 10 juin 2017