Nous continuons dans cet article notre étude de la qualité des médicaments en suivant la chaîne qui va du producteur de médicament au consommateur.
Les médicaments, en tant que produits manufacturés, industrialisés, commercialisés et consommés par tou.tes, nécessitent une chaîne de nombreux intervenants successifs.
On distingue deux étapes :
- L’étape de fabrication : matières actives par l’industrie chimique ; matières inactives et matériaux de conditionnement par d’autres fabricants ; produits finis par les laboratoires pharmaceutiques.
- L’étape de distribution : grossistes importateurs, distributeurs, pharmaciens, services de santé (hôpitaux, centres de santé) /etc. jusqu’au/à la patient.e.
Les substances actives et les produits finis circulent d’un pays à l’autre en import/export car dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres aujourd’hui, presqu’aucun pays ne réalise toutes les étapes sur son sol national.
Le marché international est caractérisé par des pays producteurs/exportateurs de substances actives (Chine et Inde essentiellement) et de produits finis (Inde, Chine, Corée, Philippines, Russie, etc.). Ces pays fabriquent pour leur propre marché intérieur et exportent notamment en Afrique.
Des circuits souvent complexes entre ces acteurs rendent difficile la traçabilité des produits et de ce fait, les responsabilités ne sont pas toujours identifiables. La « zone internationale » (entre pays exportateur et pays importateur) échappe par définition aux réglementations nationales. La situation s’est sérieusement compliquée avec l’explosion de la vente de médicaments sur Internet.
Sur les marchés nationaux africains, les médicaments qui peuvent être utilisés, c’est-à-dire qui disposent d’une Autorisation de Mise sur le Marché nationale, ne sont officiellement disponibles qu’auprès des structures légalement autorisées :
- les grossistes pharmaceutiques (centrales d’achat, agents des laboratoires, répartiteurs, etc.), qui achètent des médicaments produits localement et/ou importés en gros pour les revendre aux pharmacies.
- les pharmacies (officines privées ou pharmacies des hôpitaux, des dispensaires, des maternités), qui sont chargées de la distribution individuelle au/à la patient.e (dispensation).
Les ‘circuits’ légaux et illégaux :
La réalité est cependant tout autre car dans tous les pays, des circuits illégaux coexistent avec le circuit légal.
- Dans les pays industrialisés, les circuits illégaux sont rares et globalement circonscrits au développement de la vente illicite par Internet.
- Dans les pays africains à bas ou moyen revenu, de nombreux circuits illégaux se sont établis en parallèle au circuit légal, jusqu’à devenir le principal circuit/canal de distribution.
- Entre ces deux extrêmes, toutes les situations existent.
- Les ventes de produits sur Internet ont ouvert la porte tous azimuts à la commercialisation illégale de médicaments falsifiés ou sous-standards qui échappe à tout contrôle jusqu’ici. La littérature foisonne d’exemples de médicaments de ce type vendus illégalement sur Internet qui ont provoqué des graves accidents chez les client.es crédules ou peu prudents.
Les circuits légaux et illégaux coexistent et le circuit illégal est tellement banalisé qu’il prend souvent le nom anodin de circuit « informel ». Toutes sortes de médicaments, de toutes origines et de toute dangerosité sont en vente sur les marchés et par des colporteurs qui se rendent de village en village. Les deux circuits sont loin d’être étanches et, dans certains pays, le circuit légal (grossistes, pharmacies) n’offre guère plus de garanties que le circuit illégal.
Les contrefaçons circulent principalement, mais pas exclusivement, au sein des marchés illégaux. Ce sont surtout des copies qui imitent les produits des grands laboratoires internationaux ou des produits génériques.
Ces falsifications concernent tous les types de médicaments. Elles ne se limitent pas aux médicaments de confort mais concernent aussi les médicaments vitaux, pour des maladies aiguës ou chroniques, tels que les antipaludéens, les vaccins ou les anti-cancéreux.
Les sous-standards sont légion dans les pays africains à faible et moyen revenu, faiblement réglementés et donc très démunis dans le cadre de relations commerciales internationales. Beaucoup de médicaments à très bas prix y sont importés. Ils ont souvent été fabriqués spécifiquement pour les pays en développement qui n’ont souvent pas les ressources suffisantes pour évaluer ces médicaments et pour garantir que l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) délivrée soit un gage de qualité. Certaines firmes pharmaceutiques fabriquent en effet la même sorte de médicaments mais avec un double standard : un haut standard pour le marché pays à haut revenu et un standard moins élevé pour le marché des pays à faible ou moyen revenu. On peut s’interroger sur la légalité de telles pratiques qui s’apparente à de la falsification.
Les sous-standards touchent aussi bien les circuits illégaux que les marchés légaux, tant dans le secteur public que dans le secteur privé.
Dans le secteur public (où la « mise sur le marché » se fait via les centrales nationales d’achat), la pression imposée par les acheteurs, notamment à travers le système d’appels d’offres, néglige souvent la partie qualitative pour privilégier les prix bas avant tout. Cette focalisation sur les prix, conjuguée à l’évolution des circuits de production et de commercialisation des médicaments, a contribué à rendre le marché international du médicament de plus en plus risqué, en particulier pour les pays africains, en raison de la présence constante de médicaments sous- standards liée à cette concurrence excessive qui, au final, bénéficie aux firmes les moins sérieuses mais les plus habiles à comprendre le fonctionnement de ce système.
Dans le secteur privé, la cause de l’existence de médicaments sous-standards (qu’ils soient importés par les grossistes ou produits localement) réside aussi partiellement dans une course aux prix bas et dans les faibles ressources des autorités de réglementation.
La lutte contre les produits falsifiés et sous-standards
En Belgique, c’est l’AFMPS, l’Agence Fédérale des Médicaments et Produits de Santé, qui délivre les autorisations d’exportation des médicaments produits en Belgique. Depuis plus de 10 ans, aucun cas d’exportation de médicament sous-standard n’a été mis en évidence, mais il convient de rester vigilant.
La vente en ligne de médicaments et dispositifs médicaux est réglée par un arrêté royal de 2009. Selon cet arrêté, les officines pharmaceutiques autorisées et ouvertes au public peuvent vendre des médicaments et certains dispositifs médicaux en ligne et les envoyer via un service de courrier. Il est interdit de vendre en ligne des médicaments pour lesquels une prescription médicale est nécessaire.
Existe-t-il des fabricants de médicaments falsifiés sur le territoire belge ? C’est possible mais ils passent sous les radars jusqu’ici. Par contre, il est très probable que des malfaiteurs opèrent à partir de l’UE pour vendre par Internet des médicaments falsifiés partout dans le monde, spécialement à une clientèle africaine.
Il est certain que des médicaments falsifiés et sous-standards provenant de l’Extrême-Orient transitent par les grands ports européens ; les douanes jouent un rôle important dans le contrôle des importations mais elles n’ont pas pour rôle de contrôler les marchandises en transit. Elles disent que c’est aux autorités de régulation des pays de destination de faire ce travail. Est-ce bien honnête ?
De plus, l’UE a publié une directive en 2011 et une autre en 2019 pour lutter contre la criminalité liée aux médicaments. La directive de 2019 exigera des entreprises pharmaceutiques opérant dans l’UE qu’elles mettent en place, à leurs frais, un système de vérification des médicaments qu’elles produisent.
A l’initiative du Conseil de l’Europe, la Convention MEDICRIME est entrée en vigueur le premier janvier 2016. Elle établit un cadre favorisant l’instauration d’une coopération nationale et internationale entre les autorités sanitaires, policières et douanières compétentes tant au niveau national qu’international, l’adoption de mesures destinées à prévenir la criminalité auxquelles est associé le secteur privé ainsi que la poursuite effective des délinquants en justice et la protection des victimes et des témoins.
Christian Roberti
(à suivre)