AEFJN a commencé la mise en œuvre de son nouveau plan d’action pour la période 2019-2022. Les accords commerciaux entre l’Union européenne (UE) et l’Afrique ont centralisé le travail du réseau au cours de la dernière décennie. Le travail de la société civile a ralenti les accords et a sensibilisé la population au danger de ces accords qui menacent la croissance économique et le bien-être de la population en Afrique. Face à la stagnation des accords économiques et à la crise du multilatéralisme commercial, AEFJN concentre son intérêt sur le comportement des entreprises européennes opérant hors de ses frontières et notamment en Afrique.
L’UE et ses États membres, par le biais des accords bilatéraux d’investissement (ABI) et des accords de partenariat économique (APE), ont établi un ensemble de traités avec des pays et régions de l’Afrique qui offrent une sécurité juridique aux entreprises européennes lorsqu’elles opèrent sur le continent africain. L’UE exige des entreprises qui opèrent sur son territoire un comportement strict en matière sociale, fiscale et lois du travail, qu’il s’agisse d’entreprises dont la société mère est située dans un Etat membre de l’UE ou dans un pays tiers. Toutefois, ces mêmes exigences deviennent optionnelles lorsque ce sont les entreprises de l’UE qui opèrent en Afrique.
La responsabilité sociale des entreprises est un vaste dossier qui couvre différents aspects de l’activité des entreprises et qui débute avant même que ces entreprises ne commencent à opérer dans un pays spécifique. Tous les types d’entreprises doivent être soumis à de telles responsabilités : industries minières, agro-industries ainsi que toute activité économique qui tente de s’installer dans un pays en développement. Les raisons pour lesquelles une entreprise privée investit dans un pays étranger sont dues à des intérêts économiques différents. Parfois, ces entreprises investissent dans les pays en développement en réponse aux politiques et stratégies nationales et supranationales (UE), comme c’est le cas des entreprises minières qui cherchent à s’approprier des rares ressources naturelles indispensables à leur développement technologique. D’autres fois, des entreprises (privées mais à capitaux publics) investissent à l’étranger pour assurer l’alimentation de leur population ou l’approvisionnement de certains produits agricoles qui ne sont pas cultivables sur leur territoire comme les fruits ou autres produits tropicaux. En outre, après la crise financière mondiale (2008), les entreprises européennes ont augmenté leurs exportations pour assurer le rythme de la croissance économique et conquérir d’autres marchés.
Indépendamment des intérêts de chaque entreprise, celles-ci ont souvent profité des pays qui les accueillent et de la population qu’elles prétendent servir. Faible coût du travail, normes de qualité moins strictes, absence de protection sociale et professionnelle des travailleurs, réglementation environnementale moins contrôlée et pression fiscale moins lourde favorisent le profit dans ces pays où la possibilité de fraude fiscale (déguisement de la corruption) est « négociable » . Dans ces cas, les entreprises opèrent à l’étranger avec pour seule mission de réduire les coûts de production et de rapporter davantage de revenus aux sociétés d’investissement.
Par conséquent, la responsabilité des entreprises commence non seulement par l’activité commerciale en tant que telle, mais aussi par une réflexion qui prend en compte tous les acteurs de cette même activité commerciale : le pays où l’entreprise va développer son activité, l’emplacement concret, l’activité qu’elle va exercer, le respect de la législation du pays hôte, la consultation des autorités et des populations locales, le paiement équitable des impôts, le respect des droits de l’homme, les mécanismes de défense des personnes qui peuvent être violées dans leurs droits fondamentaux et le respect des normes environnementales nationales et internationales.
La responsabilité sociale des entreprises dans l’Union européenne comprend différentes directives qui visent la transparence tant au niveau économique que financier. Les entreprises de l’UE doivent décrire leur attitude en matière d’initiatives sociales et de protection des droits fondamentaux. Par ailleurs, les entreprises opérant en Europe sont sous le coup d’une réglementation fiscale et sont soumises à un contrôle scrupuleux de conformité obligatoire afin de prévenir le blanchiment d’argent, les activités illicites et l’évasion fiscale. Il en va de même pour les mesures environnementales que certains pays avaient déjà introduites dans leur législation nationale avant même l’Accord de Paris (COP 21).
Alors que ces réglementations sont de plus en plus exigeantes pour les entreprises européennes et étrangères opérant dans l’UE, je me demande pourquoi l’UE n’est pas aussi exigeante avec ses propres entreprises quand elles opèrent à l’étranger. Pourquoi laisse-t-on à la discrétion et au bon vouloir des entreprises de l’UE le soin de se conformer aux lois internationales lorsqu’elles opèrent en Afrique ? Pourquoi y a-t-il une telle double façon de mesurer en fonction de l’endroit où ces entreprises opèrent ? Pourquoi l’UE ne rend-elle pas juridiquement contraignante sa propre législation pour ses entreprises lorsqu’elles opèrent en dehors de ses frontières, comme le simple respect des traités internationaux sur la responsabilité sociale et professionnelle (OIT) ?
D’une part, les entreprises tentent d’éviter ces responsabilités en arguant du coût administratif élevé de ces exercices de transparence. D’autre part, l’UE s’excuse en soulignant la compétence exclusive des gouvernements africains pour mettre en œuvre de telles mesures dans leurs pays. De plus, tant les entreprises que les gouvernements revendiquent des problèmes de compétitivité avec d’autres puissances étrangères, comme la Chine en Afrique. Pour quelque raison que ce soit, l’UE ne peut se fonder sur des critères différents et doit être cohérente dans toutes ses politiques. Ce manque de cohérence nuit en premier lieu aux populations africaines qui font l’objet d’une exploitation sans scrupules de leurs ressources naturelles. Mais à moyen terme, c’est l’UE elle-même (et ses citoyens) qui sera lésée par cette double éthique.
Il est difficile de comprendre comment l’UE peut ainsi protéger la libre mise en œuvre des mesures de transparence à l’étranger lorsque l’on sait que ces transactions se passent souvent dans la nébulosité des responsabilités fiscales. Ou peut-être est-il vrai qu’il existe des accords secrets et des portes dissimulées entre les entreprises et les décideurs politiques européens que les citoyens et la société civile ignorent ?
José Luis Gutiérrez Aranda
AEFJN Policy Officer