Un défi mondial
Seule 2% de la population africaine a été vaccinée contre le Covid-19 à ce jour. Or, selon l’OMS, cette vaccination devrait avancer beaucoup plus vite dans les pays à revenu faible ou moyen et ailleurs dans le monde. Faute de quoi, nous assisterons à de nouvelles vagues d’infections à Covid-19 comme en Inde, à l’apparition de virus ‘variants ‘ plus contagieux et plus dangereux ; bref, la pandémie risque de se prolonger, avec ses conséquences en termes de souffrance humaine et de coût financier énormes.
Un des plus grands défis est de produire des vaccins de qualité et en quantité suffisante et qui soient accessibles à tou.te.s. Le défi est autant politique qu’économique et scientifique.
La production de vaccin demande du personnel hautement qualifié (savoir-faire), des investissements considérables dans la recherche et développement (R & D), des matières premières et des ingrédients de qualité, du matériel de laboratoire sophistiqué (bioréacteurs, centrifugeuses), une chaîne du froid rigoureuse (pour certains types de vaccins) et de grandes capacités de stockage.
La production s’est concentrée géographiquement grosso modo dans les pays de l’hémisphère nord qui se sont dès lors taillés la part du lion dans la livraison des vaccins pour couvrir leurs propres populations ; on peut comprendre qu’ils se soient servis les premiers mais pas qu’ils aient passé des commandes qui dépassent de loin leurs propres besoins et qu’ils aient refusé d’exporter leur production (comme le Royaume-Uni et les USA).
L’UE a exporté une partie de sa production vers l’hémisphère nord et, dans le cadre de l’Initiative Covax, vers l’hémisphère sud; elle a aussi soutenu financièrement cette initiative et s’est engagée à continuer à le faire. La Chine, l’Inde et la Russie ont aussi exporté une partie de leur production vers les pays du sud ; leurs vaccins ne sont néanmoins pas homologués par l’EMA (l’agence européenne du médicament).
Actuellement, la production de vaccin par l’industrie pharmaceutique plafonne et l’Inde a même dû arrêter ses exportations pour assurer prioritairement la couverture de sa propre population en détresse.
Une conclusion s’impose
Il faut augmenter considérablement et rapidement la production mondiale de vaccins. Mais le transfert de technologie est un processus à long terme du fait de sa complexité, notamment au niveau des intrants et du matériel nécessaires.
Des firmes pharmaceutiques se sont engagées dans plus de deux cents accords de transfert de technologie visant à augmenter la fourniture de vaccins contre le Covid-19 par des partenariats inédits, notamment en Afrique du Sud. Ce sont des avancées, néanmoins il faudrait absolument que de nouveaux producteurs voient le jour et c’est ici que le bât blesse.
La question de la suspension des brevets ou ADPIC (Accords sur les Droits de Propriété liés aux Commerce) : le pour et le contre.
Comme nous l’avons expliqué antérieurement dans ces colonnes, la suspension des brevets sur le vaccin contre le Covid-19 accompagnée d’un transfert de technologie pourrait permettre à de nouveaux producteurs de fabriquer du vaccin contre le Covid-19 et faire baisser les prix. Concrètement, les vaccins contre le Covid-19 seraient déclarés ‘bien commun de l’humanité’ et les firmes pharmaceutiques seraient invitées à en partager la technologie de fabrication avec des nouveaux producteurs, moyennant certaines conditions (notamment des indemnités) à négocier entre les différentes parties (firmes pharmaceutiques, États, OMS, OMC, grands bailleurs de fonds…)
Les arguments en faveur de cette suspension des brevets sont les suivants :
- l’industrie pharmaceutique a reçu des incitants financiers considérables des gouvernements pour développer la recherche et le développement de nouveaux vaccins (Les USA ont accordé 14 milliards de dollars à l’industrie pharmaceutique en 2020 !) et a donc des obligations,
- les firmes pharmaceutiques font des milliards de bénéfices en poussant le prix des vaccins à la hausse (sans la moindre transparence concernant les termes des marchés publics passés avec les États),
- la diversification des producteurs favorisera la concurrence et fera baisser les prix sur le long terme.
Certaines firmes pharmaceutiques ont spontanément suspendu l’introduction de brevets dans certains pays et ont transféré leur technologie sous certaines conditions à des industries locales (cf. supra )
Par la voix de leur président M. Joe Biden, les USA, culpabilisés par leur embargo sur les exportations, se sont soudainement déclarés partisans de la suspension des brevets sur les vaccins (et les produits pharmaceutiques actifs contre le Covid-19) sans toutefois permettre l’exportation des ingrédients nécessaires (spécialement l’antigène). Le parlement européen lui a emboîté le pas récemment, mais la Commission européenne s’est opposée en un premier temps à cette levée des brevets puis a nuancé ensuite sa position; en effet, elle doute de l’efficacité de cette mesure pour quelques-unes des raisons suivantes :
– cela ouvrirait une brèche dans le système des brevets et découragerait l’investissement privé dans la recherche (l’ingéniosité du privé),
– cela créerait une concurrence déloyale,
– cela risquerait de provoquer une pénurie des ingrédients nécessaires à la fabrication du vaccin,
– le problème résiderait plus dans une distribution inéquitable du vaccin (une question hautement politique), dans des barrières commerciales, dans des goulots d’étranglement des chaînes logistiques, dans la rareté des matières premières et des ingrédients et dans le manque d’acceptation par les populations (notamment en Afrique) que dans une capacité insuffisante de production,
– cela encouragerait la contrefaçon, un problème déjà bien présent actuellement.
Les firmes pharmaceutiques quant à elles préfèrent garder la haute main sur la production du vaccin et la fixation des prix. Elles demandent donc un renforcement de leur financement pour décupler et décentraliser leur production, piste que la Commission européenne privilégie jusqu’ici.
Le même président Biden a aussi dénoncé le système des tribunaux d’arbitrage pour traiter des plaintes introduites par les firmes pharmaceutiques contre des États qui violent des règles du commerce international en leur défaveur.
Les licences d’office :
Une autre façon de contourner la levée des brevets à l’OMS serait de déclarer des licences d’office ou licences obligatoires sur les vaccins au niveau des pays pour raison humanitaire. Cette clause est prévue dans les Accords de Doha au titre de la flexibilité des ADPIC. Concrètement, des États octroieraient à des acteurs locaux des licences sans que les détenteurs de ces brevets aient leur mot à dire. Ceci demanderait d’engager la procédure de la licence d’office après l’avoir réformée sensiblement, un processus long. Les arguments pour et contre pareille procédure sont les mêmes qu’avec la levée des brevets.
Le rôle d’AEFJN
En tant que réseau chrétien promouvant des relations économiques équitables entre l’Europe et l’Afrique, AEFJN demande à la Commission européenne :
- De soutenir à l’OMC la suspension de l’ADPIC sur les vaccins contre le Covid-19 en acceptant la requête introduite en ce sens en 2020 par l’Inde et l’Afrique du sud.
- De renforcer le soutien financier de l’UE à l’initiative Covax initiée par l’OMS.
- De soutenir financièrement et par son expertise l’initiative de l’Union Africaine de développer cinq centres d’expertise en Afrique pour développer sa propre industrie pharmaceutique.
- De pousser les firmes pharmaceutiques à renoncer volontairement aux brevets dans les pays les plus fragiles ou les plus touchés par la pandémie et à y transférer progressivement leur technologie.
- De proposer une révision du système des tribunaux d’arbitrage supranationaux.
Avez-vous signé l’initiative citoyenne européenne sur les vaccins ?
Christian Ro9berti
AEFJN