Le système économique imposé par la mondialisation a graduellement ignoré les préoccupations et les besoins réels des citoyens. Dans l’Union européenne, les gouvernements des États membres ont intégré dans leurs politiques économiques des réductions des droits du travail, la privatisation du système de soins de santé, des réductions de salaires et la promotion de régimes de retraite privés, en suivant les conseils de l’économie de marché. Au lieu de concevoir des politiques d’ajustement fiscal appliquées à ceux qui génèrent le plus de profits, les gouvernements ont gommé dans les acquis sociaux. De manière subtile, les multinationales ont fait pression sur les gouvernements pour qu’ils procèdent à des ajustements sociaux, du travail, de la santé et de la culture en prétendant que le problème se trouvait surtout dans les dépenses publiques.[1]
La crise du COVID-19 met en évidence les lacunes d’un système économique qui devra nécessairement changer à l’avenir. Pendant près de deux mois, la majeure partie de la population mondiale a été mise en quarantaine, une initiative sans précédent dans l’histoire humaine récente. Dans la foulée de ce confinement, les ateliers se sont fermés, les usines sont à l’arrêt, les transports sont paralysés, les frontières sont fermées. Toutes ces personnes confinées, qui avant la crise sanitaire, vivaient à un rythme effréné avides de transformer le monde sont maintenant obligées de rester à la maison. De par le monde maintenant des multitudes entières sont assises à ne rien faire. Elles n’ont d’autres soucis que d’écouter les heures qui passent aux coups de la pendule familiale. Leur seul espoir est qu’à l’horizon cette pandémie un jour prendra fin.
Dans la crise du COVID-19, nombreux sont ceux qui appellent à un retour urgent à l’activité économique. D’une part, les autorités publiques sont harcelées par les citoyens qui doivent retrouver leur emploi, leurs revenus économiques et leur liberté de circulation. D’autre part, ces mêmes autorités publiques sont également sous la pression des grandes entreprises qui ont été contraintes de réduire leur production, de fermer leurs usines et, par conséquent, de réduire drastiquement leurs profits.
Face à l’impatience de montrer des résultats économiques positifs à leurs investisseurs, ce sont les grandes entreprises qui font le plus pression sur les gouvernements en les alertant sur les pertes économiques, les licenciements massifs, les chutes des marchés boursiers et les conséquences négatives sur la reprise économique. Les gouvernements sont contraints de minimiser les risques sanitaires afin de revenir à ce que le monde globalisé considère comme normal, c’est-à-dire un monde de croissance économique illimitée au détriment de toute autre valeur, y compris la santé.
En Afrique, malgré le fait que le nombre de personnes infectées et de victimes soit inférieur à celui des autres continents, la crise du COVID-19 met en danger la vie des plus vulnérables. La crise sanitaire provoquée par la pandémie pourrait devenir un grave problème social et économique pour l’Afrique. Les caractéristiques économiques du continent africain le rendent dépendant des pays riches. La plupart des pays d’Afrique dépendent des revenus économiques provenant de l’exportation de leurs ressources naturelles telles que le pétrole, le minerai de fer et le cuivre. La demande de ces matières premières a chuté de façon spectaculaire dans les pays développés. [2]
Dans le cas du pétrole, la demande des raffineries internationales a chuté et les prix ont baissé comme jamais auparavant. Le prix du pétrole est devenu négatif en raison de l’incapacité à stocker l’excédent de production dans les raffineries. D’autres produits et marchandises agricoles souffrent d’une baisse de la production ou sont stockés en raison d’une diminution des nouvelles demandes ou sont bloqués dans les ports maritimes en raison du manque de transport international et des restrictions douanières dans les pays importateurs.
La propagation de la pandémie, que ce soit en termes de lieu ou de temps, a un impact économique sur l’Afrique et touche principalement les plus vulnérables par le biais des décisions des politiciens. Par conséquent, compte tenu de ces réalités, les décisions politiques en période de COVID 19 doivent avoir pour seule préoccupation la santé et la sécurité alimentaire de la population, en garantissant les droits sociaux et du travail des populations laborieuses.
Un engagement réel des entreprises
Toute décision politique qui donne la priorité à l’économie sur la santé entraînera davantage de problèmes pour les plus vulnérables, en particulier dans les pays en développement, et prolongera les conséquences de la pandémie ; elle aggravera en outre la crise sanitaire et creusera les inégalités économiques. C’est pourquoi les décisions doivent être approuvées par tous les acteurs politiques, sociaux et économiques. Plus que jamais, les gouvernements doivent se concentrer sur l’intérêt public et respecter les espaces démocratiques dans la prise de décision.
La course pour trouver un vaccin contre le COVID-19 doit être une stratégie internationale coordonnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le vaccin ne peut être un privilège pour les pays riches ni un avantage pour les entreprises pharmaceutiques ou les pays qui le découvrent. Plus que jamais, l’industrie pharmaceutique et sanitaire doit être au service de l’ensemble de la population mondiale et du bien commun de l’humanité.
Les entreprises doivent s’engager à lutter contre la pandémie. Les différentes capacités de production et leurs canaux de distribution doivent être orientés vers le service des citoyens dans tout ce que les pouvoirs publics peuvent exiger d’eux. De même, les entreprises doivent respecter toutes les normes sanitaires dans la prévention de la pandémie et garantir la santé de leurs travailleurs. Les entreprises qui fournissent des services publics essentiels tels que la santé, l’eau, l’électricité ou la téléphonie doivent s’adapter aux besoins de la population et à leur situation économique.
Les entreprises multinationales ont le devoir de soutenir les communautés locales dans lesquelles elles opéraient avant la pandémie, en soutenant par des programmes nationaux toutes les initiatives qui contribuent à atténuer les ravages économiques qu’elle peut causer. À cet égard, les Nations unies ont lancé un appel international au secteur privé pour qu’il mobilise toutes ses ressources économiques au service des personnes les plus touchées. [3]
La responsabilité des entreprises ne peut se limiter à des dons économiques. Elles doivent développer toutes leurs capacités pour que les travailleurs ne perdent pas leur emploi, en soutenant le secteur de l’éducation par des initiatives éducatives solidaires et en aidant les familles ayant moins de ressources économiques. Les banques et les institutions financières doivent appliquer des moratoires sur les paiements ainsi qu’une réduction des intérêts dans les cas où la pandémie les a laissées sans ressources économiques.
La lutte contre les effets du COVID-19 dépend des efforts de chacun en fonction de ses capacités. Plus que jamais, les entreprises doivent montrer leur fonction sociale en tant que source de richesse, mais aussi leur responsabilité et leur engagement en matière de santé et de droits des travailleurs. Dans le monde entier les gouvernements et les entreprises doivent travailler ensemble pour bâtir une économie humaine centrée avant tout sur la société. Plutôt que d’alimenter une quête sans fin de profits, il faut maintenant investir à fond dans les systèmes de soins nationaux pour remédier aux dommages causés par le COVID 19. Tout ceci doit aller de pair avec l’introduction d’une fiscalité progressive, notamment en taxant la richesse et en légiférant en faveur des travailleurs.
José Luis Gutiérrez Aranda
AEFJN Policy Officer
[1] Time to care Unpaid and underpaid care work and the global inequality crisis , OXFAM, 2020 https://oxfamibis.dk/sites/default/files/media/pdf_global/denmark_pdf/rapport_time-to-care-inequality-200120-embargo-en.pdf
[2] The Economic Impact of COVID-19 in Africa, https://www.cgdev.org/blog/economic-impact-covid-19-africa-weeks-latest-analysis
[3] https://www.unglobalcompact.org/take-action/20th-anniversary-campaign/uniting-business-to-tackle-covid-19