Le premier cas de Covid 19 a été diagnostiqué en Chine à Wuhan le premier décembre 2019. Dès le mois de janvier, l’épidémie s’est propagée à l’Asie du Sud-Est, à l’Amérique et à l’Europe et le 11 janvier, le directeur général de l’OMS, le Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus, a proclamé la pandémie de Covid 19. Le continent afriacin quant à lui fut touché le 14 février avec un premier cas confirmé en Egypte et au Nigeria.

A la date du 19 mai, donc trois mois plus tard, sur toute l’étendue du continent africain, il y n’y avait officiellement que 88.172 contaminations par le Covid-19 et 2.834 décès ; le nord et l’ouest du continent sont de loin les plus touchés mais, à ce stade, on est loin en dessous des chiffres de contamination et de décès rapportés par les autorités sanitaires d’Europe de l’ouest, des USA et d’URSS; on craignait en effet le pire  en Afrique vu la fragilité de ses systèmes de santé et de l’économie d’une majorité de ses Etats ; ces faibles chiffres surprennent donc heureusement.

Certes l’épidémie y a commencé plus tard et le pic n’est peut-être pas encore atteint ; il y a probablement aussi une sous-estimation du nombre de cas et des décès. De plus la démographie est globalement différente en Afrique, la population y étant plus jeune et moins dense qu’en Europe de l’ouest par exemple. Et surtout il n’y a pas, en Afrique, de maisons de repos pour les personnes âgées qui sont particulièrement vulnérables vis-à-vis du Covid-19 comme on le sait : les ainées et ainés africain.e.s ont encore le bonheur de vieillir dans le cocon familial.

Mais ces explications ne suffisent pas. Il faut chercher des éléments de réponse surtout dans le fait que l’Afrique est familière des épidémies – en Europe il y en a aussi mais on a vite fait de les oublier – et que plusieurs pays africains savaient que, dans la stratégie de lutte à adopter face à une épidémie, l’anticipation est un élément déterminant. Chaque État membre de l’Union Africaine (U.A.) a donc élaboré sa propre stratégie de préparation et de réponse à l’épidémie et l’a mise en œuvre précocement, au moment où les premiers cas d’infection étaient importés. Outre l’isolement des cas confirmés et des cas suspects et le traitement des cas confirmés, la stratégie principale reposa sur le confinement forcé et brusque de la population de la majorité des grandes villes[1] avec interdiction de voyages internes et fermeture des frontières ; des couvre-feux furent instaurés dans certains pays et les forces de l’ordre, y compris l’armée, veillèrent strictement au respect de toutes ces mesures, parfois d’une façon très brutale[2]. L’information concernant l’épidémie fut largement diffusée avec l’aide de chanteurs, de joueurs de football et d’autres célébrités.

Avec leurs maigres moyens, les Etats membres de l’U.A. ont accompagné ces mesures d’un volet social pour couvrir quelque peu les besoins élémentaires de populations majoritairement précarisées vivant de l’économie informelle et ne pouvant rester confinées à la maison sans risquer de mourir de faim.

Enfin, le traçage des cas et des contacts avec l’isolement des cas suspects ou positifs fut lentement mis en place selon les moyens (tests…) qui étaient disponibles.

La riposte à l’épidémie des Etats membres fut encadrée et soutenue par différents intervenants, parmi lesquels en Afrique:

  • le CDC Africa (Africa Centres for Disease control and Prevention) ; celui-ci est une jeune institution de l’U.A. créée en janvier 2016 pour soutenir les services de santé de ses 55 Etats membres dans leurs efforts pour détecter, prévenir et contrôler les menaces sanitaires. Son siège est à Addis-Abeba (Ethiopie) ; il dispose de 5 centres régionaux de collaboration couvrant tout le continent et est appuyé notamment par le CDC Atlanta des USA et le CDC de Chine.
  • le bureau régional de l’OMS pour l’Afrique à Brazzaville.
  • le WAHO (West African Health Organization), organisation connue depuis son intervention de 2013 à 2016 dans la gestion de l’épidémie régionale d’Ebola.

Sous l’impulsion de CDC Africa, la capacité diagnostique de 50 laboratoires nationaux a été mise à niveau en moins d’un mois ; le célèbre Institut Pasteur de Dakar fut sollicité comme un des lieux de formation. En outre, des dizaines d’officiers sanitaires provenant des différents Etats membres de l’U.A. furent formés dans la communication sur le risque en santé publique, la surveillance renforcée, la prévention et le contrôle de l’infection. Une taskforce appelée AFTCOR (Africa Taskforce for the Novel Coronavirus) fut mise sur pied pour coordonner la préparation et la réponse des Etats membres et organiser une plateforme de rencontre des ministres de la santé de tout le continent pour développer et accompagner une Stratégie continentale Covid-19.

Des centaines de milliers de kits de tests de laboratoire furent répartis dans toute l’Afrique par le CDC Africa, l’OMS, le CDC USA, le gouvernement chinois et les fondations Jack Ma, Bill & Melinda Gates et Alibaba, pour ne citer que quelques gros bailleurs. En outre le CDC Africa mit des guides à la disposition des Etats membres, dont un guide sur le traçage des cas. L’Union Européenne contribua à ces différentes réactions avec son Team Europe qui regroupe la Commission européenne, le Conseil européen, la Banque européenne d’Investissement et la Banque européenne pour la Reconstruction et le Développement ; 3,25 milliards d’euros furent alloués à l’Afrique, dont 2,06 milliards d’euros pour l’Afrique subsaharienne et 1,19 milliards d’euros pour les pays du voisinage (Afrique du Nord) particulièrement frappés.

Que peut-on dire actuellement au sujet du traitement du Covid-19 en Afrique?

Une évidence mérite d’abord d’être rappelée: à ce stade il n’existe aucun traitement qui ait prouvé son efficacité contre le Covid-19 ni à titre curatif ni à titre préventif.

Le président malgache, M. Andry Rajoelina, a fait la promotion du CVO (Covid-19 Organics), une décoction à base de plantes dont l’Artemisia, plante dont on extrait l’artémisinine, molécule utilisée depuis plus de vingt ans dans le traitement de la malaria ; une forme injectable du CVO est aussi en préparation. Le docteur Jérôme Munyangi, jeune chercheur congolais travaillant à Anta, a été chargé par le président congolais Félix Tshisekedi de conduire un essai clinique sur le CVO en RDC. Ni la CDEAO ni l’O.M.S. ne le recommandent à ce stade ; de plus, il faut redouter d’augmenter la résistance du parasite de la malaria à l’artémisinine . Néanmoins, le CVO figure déjà dans les protocoles de traitement de plusieurs Etats membres de l’Union Africaine (U.A.)

Les essais cliniques concernant d’autres traitements vont bon train et une coalition internationale d’instituts médicaux de recherche s’est constituée sous l’égide de l’OMS pour mener deux vastes essais cliniques intitulés ‘SOLIDARITY’ et ‘DISCOVERY’ sur six molécules potentiellement actives ; l’Institut Pasteur de Dakar fait partie de cette coalition dont on attend à présent les résultats.

Parmi ces six molécules, il y a des médicaments déjà connus comme des antirétroviraux utilisés contre Ebola et comme la chloroquine et l’hydroxychloroquine qui sont des médicaments antimalariens et antirhumatismaux. De nombreux pays africains et européens ont développé des schémas thérapeutiques incluant la chloroquine et l’hydroxychloroquine à haute dose mais des effets toxiques graves sont survenus, notamment cardiaques surtout en association avec l’azithromycine, rénaux, hépatiques, neurologiques… Dès lors, le CDC Africa, le CDC USA, l’OMS et de l’EMA (European Medicines Agency) ont préconisé d’attendre les résultats des deux grands essais cliniques en cours et de n’utiliser la chloroquine ou l’hydroxychloroquine qu’à titre exceptionnel, dans des unités de réanimation bien équipées pouvant réagir rapidement en ces de complication grave. Il faut dire que les plus de 80 essais cliniques utilisés pour recommander la prescription de la  chloroquine et l’hydroxychloroquine dans les cas d’infection au Covid 19 n’ont pas été menés avec une rigoureuse méthodologie (essais in vitro, essais animaux, pas de groupe contrôle, petit nombre de patients, pas de définition du stade auquel le médicament est administré, pas de revue par pairs…) Mais les grandes attentes et les critères de conscience ne s’accommodent pas facilement des délais qu’imposent un essai clinique de qualité ; les  enjeux économiques pèsent aussi dans la balance.

Par ailleurs, l’épidémie a des effets collatéraux néfastes en termes de qualité et de disponibilité des médicaments, de tests diagnostic et de matériel médical ; ces problèmes sont susceptibles de provoquer une morbidité et une mortalité importantes sans être directement imputables au Covid-19 (« Covid 19 collateral damage »). Citons-en quelques-uns :

  • les coupures dans l’approvisionnement en médicaments de première nécessité non liés à l’épidémie de Covid-19 à cause du ralentissement du transport international et d’une réorientation des chaînes de production;
  • les problèmes liés aux licences d’exportation pour certains équipements ; comme on l’a vu avec les masques, des exportateurs peu scrupuleux réussissent à passer entre les mailles du filet.
  • la mise sur le marché en Afrique sub-saharienne de médicaments falsifiés et/ou sous-standards suite à une demande irrationnelle du public et du personnel de santé et à la focalisation des autorités régulatrices sur la lutte contre la pandémie aux dépens du contrôle de qualité; de la chloroquine falsifiée a été mise sur le marché récemment en RDC et au Cameroun ; l’OMS publie régulièrement des alertes concernant la criminalité liée aux produits médicaux falsifiés mis sur le marché.
  • la diminution de l’accessibilité des structures de santé à cause du confinement à domicile et de la peur d’y contracter le Covid-19 (de la part des malades et du personnel).

Ce qui concerne les médicaments vaut aussi pour la délicate question des tests de diagnostic. Il y a pléthore de tests de différentes sortes et de différentes qualité ; les tests falsifiés et sous-standards circulent aussi sur le marché. Pour certains tests, la chaîne du froid doit être garantie, ce qui n’est pas évident sous certaines latitudes.

Tout ceci plaide évidemment pour le renforcement des mécanismes de contrôle en Afrique même à l’échelle nationale et régionale, et pour le développement d’une production africaine de médicaments, de petit matériel médical et de laboratoire ; certes le processus est lancé mais il nécessitera à l’avenir de gros moyens et une collaboration internationale.

Conclusion :

Le mot de la fin revient à une centaine d’intellectuels africains qui viennent de lancer un appel prophétique aux dirigeants africains:  « l’Afrique a une longueur d’avance dans la gestion des crises sanitaires de grande ampleur…nous devons nous efforcer de repenser les bases de notre destin commun à partir de notre contexte historique et social spécifique et des ressources dont nous disposons…Nous devons…être saisis par la véritable urgence, qui est de réformer les politiques publiques, de les faire fonctionner en faveur des populations africaines et en fonction des priorités africaines…Le meilleur moyen d’y parvenir est de s’appuyer sur des idées adaptées aux réalités du continent. La réalisation de la deuxième vague de notre indépendance politique dépendra de notre créativité politique ainsi que de notre capacité à prendre en charge notre destin commun…Le panafricanisme a également besoin d’un nouveau souffle. Il doit être réconcilié avec son inspiration originelle après des décennies d’insuffisances. Si les progrès en matière d’intégration continentale ont été lents, c’est en grande partie à cause d’une orientation inspirée par l’orthodoxie du libéralisme de marché… Le défi pour l’Afrique n’est rien moins que la restauration de sa liberté intellectuelle et de sa capacité à créer – sans laquelle aucune souveraineté n’est concevable. Il s’agit de rompre avec l’externalisation de nos prérogatives souveraines, de renouer avec les configurations locales, de rompre avec l’imitation stérile, d’adapter la science, la technologie et la recherche à notre contexte, d’élaborer des institutions sur la base de nos spécificités et de nos ressources, d’adopter un cadre de gouvernance inclusif et un développement endogène, de créer de la valeur en Afrique afin de réduire notre dépendance systémique. »

AEFJN[3] ne peut qu’applaudir à cet appel pathétique et espérer un contrôle progressif de l’épidémie en Afrique grâce au savoir-faire local, à la solidarité active entre Etats membres de l’U.A et entre tous les pays de la planète confrontés au même défi mortel. AEFJN s’aligne sur les positions du CDC Africa et suivra la situation de près.

Christian Roberti

AEFJN

 

 

[1] A Kinshasa, seul le quartier de la Gombe au centre fut confiné officiellement, pas les quartiers populaires où la population s’est spontanément confinée comme elle le pouvait.

[2] Certains régimes autoritaires en ont profité pour augmenter la répression et limiter plus encore les libertés.

[3] Africa Europe Faith and Justice Network