« C’est le sang innocent que vous versez. C’est sans cause que vous me tuez…
Mon Dieu, je vous en supplie ; entendez ma dernière volonté, que ce sol ne soit plus jamais foulé par les Allemands ».
Dernières paroles du roi de Douala, Manga Bell,
qui fut exécuté par les Allemands en 1914.
L’ancienne colonie allemande du Cameroun est depuis sept ans impliquée à un conflit violent dans ses provinces anglophones. Quelles en sont les causes ?
L’histoire bref du Cameroun
Au 19e siècle, la côte ouest de l’Afrique était sous l’influence de la Grande-Bretagne. L’Empire allemand nouvellement créé avait l’ambition de devenir une nouvelle puissance mondiale aux côtés de la Grande-Bretagne et de la France. Le point de départ fut la conférence de Berlin de 1884/85, lorsque l’Afrique fut partagée entre les puissances coloniales. Le Cameroun a été attribué à l’Allemagne.
En 1884, Bismarck nomma l’africaniste allemand Gustav Nachtigal commissaire impérial pour l’Afrique occidentale allemande et le chargea de transformer les territoires et les bases commerciales récemment acquis par des commerçants hanséatiques en colonies allemandes. Le 14 juillet, il plaça le Cameroun « sous protection allemande ». Dans les années qui suivirent, une économie de plantation fut mise en place et la population locale fut souvent brutalement utilisée comme main-d’œuvre forcée.
Pendant la Première Guerre mondiale, les troupes allemandes furent chassées du Cameroun. La Grande-Bretagne prit en charge deux petites provinces, mais fit peu pour les développer. Dans le reste du pays, les Français développèrent une économie florissante et créèrent un bon système d’éducation et de santé. En 1960, le Cameroun est devenu indépendant. Le premier gouvernement a continuait le système économique capitaliste de l’époque coloniale et des relations étroites avec la France. La découverte de pétrole a contribué au développement économique. Le président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, a fait du Cameroun, qui compte une population d’environ 29 millions d’habitants issus de 20 groupes ethniques, un état autoritäre.
Déclencheurs du conflit
Déjà pendant la période coloniale, les deux provinces anglophones du Cameroun étaient désavantagées. Les tensions entre l’Etat majoritaire à dominante française et les petites régions du pays à dominante anglaise se sont aggravées pendant plusieurs décennies.
Ce qui a déclenché la résistance armée, c’est une protestation d’enseignants, de juges et d’avocats en 2016 : Ils qui manifestaient contre l’introduction du français dans l’enseignement et la justice, dans le but de remplacer progressivement le système à dominante britannique par le système francophone. Les protestations visaient également la négligence des politiciens locaux dans l’attribution de postes importants, le manque d’investissements dans les infrastructures et la situation économique généralement mauvaise dans la région.
Un an plus tard, plusieurs groupes entament une résistance armée. Certains demandent le retour à un État fédéral, d’autres annoncent la création d’un État indépendant appelé « Ambazonia ». L’emprisonnement des leaders de l’opposition, la répression brutale de toute forme de protestation et la coupure d’Internet pendant des mois ont tourné la population contre le gouvernement. Jusqu’à présent, l’armée n’a pas réussi à prendre le contrôle de la situation et le conflit a continué à s’envenimer. La lutte de l’armée gouvernementale contre les « Amba-Rebels » a entre-temps coûté la vie à environ 6.000 personnes, 765.000 ont dû fuir, dont 70.000 vers le Nigeria voisin. Deux millions de personnes dépendent de l’aide humanitaire. Des centaines de milliers d’enfants ne peuvent plus aller à l’école. Même la tentative du président Biya de désamorcer le conflit par un « dialogue national » a échoué. L’opposition réagit également avec scepticisme aux nouvelles lois visant à promouvoir le bilinguisme et le fédéralisme.
Outre les actes terroristes sporadiques, les séparatistes ont également développé une forme de protestation non violente : chaque lundi, tout le monde reste chez soi. Les villes deviennent des « villes fantômes ». Le couvre-feu entraîne cependant aussi de gros dégâts économiques. Les groupes de femmes tels que la « Convention nationale des femmes pour la paix » représentent également un espoir. Pour leur travail de réconciliation le groupe a recue en 2023 le Deutscher Afrika Preis.
Perspectives D’avenir
Les observateurs du conflit ne pensent pas que les rebelles réussiront à long terme. Il y a trop de groupes armés différents, qui se recrutent parmi les diverses ethnies, mais qui ne coordonnent pas leurs actions. Le nombre de combattants actifs est relativement faible et leurs ressources financières, qui proviennent principalement de la diaspora camerounaise en Europe et aux Etats-Unis, sont limitées. Malgré cela, les groupes rebelles restent un risque pour la sécurité de l’État et, avec d’autres mouvements rebelles comme Boko Haram dans le nord du Nigeria et des mouvements de résistance dans l’est du Tchad, ils pourraient également déstabiliser la région à long terme. Les formes non violentes de protestation offrent peut-être après tout une meilleure chance d’instaurer une paix durable.
Wolfgang Schönecke
Antenne d’AEFJN Allemande