La directive européenne sur l’information non financière (NFRD) (directive 2014/95/CE)[1] a établi la réglementation relative aux informations non financières et divers autres renseignements que les grandes entreprises de l’UE doivent publier dans leur rapport annuel. Ce règlement de l’UE oblige depuis 2018 les entreprises européennes à développer une approche responsable dans leur manière d’opérer et de gérer les défis environnementaux, sociaux, de droits de l’homme et de lutte contre la corruption. Toutefois, le champ d’application de la NFRD est limité et ne concerne que les entreprises de plus de 500 salariés, y compris les sociétés cotées en bourse, les banques, les compagnies d’assurance et les autres entreprises d’intérêt public. [2]
Cette directive n’est qu’un élément juridique dans un ensemble de mesures légales que l’UE a mises en place pour promouvoir la transparence des grandes entreprises de l’UE dans un domaine spécifique tel que le respect des droits de l’homme et de l’environnement. Après quatre ans d’application volontaire de la NFRD, différentes études[3] ont montré que sa mise en œuvre sur une base volontaire était insuffisante et que seules quelques entreprises avaient appliqué la NFRD en respectant son contenu et son objectif. La base volontaire de la directive (NFRD) s’est avérée inutile pour améliorer la vie des personnes touchées par les violations des droits de l’homme ou les crimes environnementaux en raison des dispositions non contraignantes de la directive, de la souplesse de sa transposition par les États membres de l’UE, de l’absence d’exigences spécifiques en matière de respect des droits de l’homme et du laxisme des entreprises dans sa mise en œuvre. [4]
L’objectif de la NFRD est d’améliorer la protection des droits de l’homme, de garantir les droits sociaux des travailleurs et de préserver l’environnement par la publication des mesures mises en œuvre par les grandes entreprises. Ces entreprises sont tenues de publier non seulement des informations économiques mais aussi des informations non financières conformément à la législation nationale et internationale. La violation des droits de l’homme par les grandes entreprises ainsi que les dommages qu’elles provoquent à la santé ou à l’environnement ne sont pas toujours signalés aux autorités locales ou nationales et les entreprises trouvent le moyen d’éviter toute forme de responsabilité. La NFRD ne peut être considérée comme une fin en soi mais comme une disposition juridique destinée à aider les autorités européennes et les États membres à contrôler les actions des grandes entreprises tout au long de la chaîne d’approvisionnement afin de protéger les droits de l’homme et l’environnement. Malheureusement, de nombreuses entreprises européennes opérant dans des pays tiers – notamment en Afrique – ne se considèrent pas responsables des violations des droits de l’homme commises par leurs filiales ou leurs fournisseurs. [5]
Les limites de la NFRD actuelle
En ce qui concerne le champ d’application de la NFRD, les entreprises limitent leur responsabilité à l’activité commerciale exercée au sein de l’UE et excluent la responsabilité des entreprises fournissant des biens et des services qui opèrent le long de leur chaîne d’approvisionnement. Les entreprises se sont désengagées de leur responsabilité d’entreprise en raison de l’absence de mesures d’application ou de sanctions dans la directive concernant les rapports et compte rendus à faire. En outre, les lois des États membres de l’UE ont rendu la diligence raisonnable des entreprises insuffisante pour modifier leur comportement et leur engagement envers les droits de l’homme et l’environnement.
La directive donne aux États membres la possibilité de choisir le modèle et les critères selon lesquels les sociétés doivent divulguer les mesures d’information non financière utilisées pour protéger les droits de l’homme et l’environnement. Ce laxisme de la NFRD a conduit les entreprises à utiliser la méthodologie la plus simple et la moins exigeante en matière de divulgation d’informations. Dans cette directive, souvent elles ont abandonné la méthodologie proposée par les Nations Unies et leurs principes directeurs quand il s’agit de faire des comptes rendus et des rapports d’activités.[6] Les informations divulguées par les entreprises ont été de nature générale et n’ont pas montré les risques inhérents à leur activité économique. En tout état de cause, les entreprises ont utilisé ces informations comme prétexte pour décliner toute responsabilité en déclarant qu’elles ont fait tout ce que la loi leur imposait. La directive a manqué d’ambition dans ses exigences et a laissé à la volonté des entreprises les informations qu’elles voulaient divulguer sous l’excuse du secret d’affaires.
La révision initiée par la Commission européenne concernant la NFRD devrait inclure des dispositions plus strictes qui soient obligatoires pour toutes les entreprises. En outre, les mesures obligatoires devraient être accompagnées de sanctions tant pour celles qui ne font pas preuve d’exactitude dans leurs informations que pour celles qui n’ont pas pris les mesures nécessaires pour prévenir les risques de violations des droits de l’homme et de dommages environnementaux.
Enfin, et ce n’est pas le moins important, la NFRD actuelle ne contient aucune disposition concernant la réparation des dommages causés par les grandes entreprises et leurs filiales. La notification des activités visant à prévenir les violations des droits de l’homme ou les catastrophes environnementales n’exclut pas les entreprises de leur obligation de réparer les dommages causés par leur activité économique. De plus, les entreprises devraient être obligées de donner accès à la justice à ceux qui ont subi la violation de leurs droits sociaux et humains ; et les communautés locales devraient être protégées et recevoir une compensation pour les dommages causés par l’activité économique des entreprises.
Conclusion
Une fois de plus, les mesures volontaires sont un échec du système juridique de l’UE. Les grandes entreprises européennes continuent de développer leurs activités économiques en Afrique en toute impunité et il n’existe aucun système juridique qui protège la population contre leurs abus. Parfois pour le comportement éhonté des grandes entreprises, parfois avec la complicité des autorités locales qui acceptent des pots-de-vin ridicules pour leur silence.
L’obligation de diligence raisonnable annoncée par l’UE en matière de droits de l’homme et d’environnement est l’occasion de combler les lacunes de la législation européenne en la matière et devrait être intégrée automatiquement dans toutes les législations sectorielles afin de protéger tous les types de violations des droits de l’homme et de crimes environnementaux. Le Programme des Nations Unies pour le Développement est la mesure proportionnelle qui fournit les critères qui doivent être inclus dans la NFRD pour assurer une cohérence politique entre les différentes législations qui régissent l’activité des grandes entreprises en Europe et en Afrique.
La directive sur l’information non financière n’est pas un instrument destiné à décharger la responsabilité juridique des sociétés de l’UE dans leurs activités économiques, mais un mécanisme qui doit couvrir l’ensemble de l’activité économique de toutes les sociétés ayant un impact potentiel sur les droits de l’homme et l’environnement, en particulier dans les zones géographiques où la vie humaine et l’environnement sont plus vulnérables. Le NFRD devrait non seulement intégrer les risques de vulnérabilité de la population et de l’environnement, mais aussi atténuer et réparer les dommages causés par les entreprises.
José Luis Gutiérrez Aranda
AEFJN Policy Officer
[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:32014L0095&from=EN
[2] This directive amends the accounting directive 2013/34/EU https://ec.europa.eu/info/business-economy-euro/company-reporting-and-auditing/company-reporting/non-financial-reporting_en
[3] A Human Rights Review of the EU Non-Financial Reporting Directive https://corporatejustice.org/eccj_ccc_nfrd_report_2019_final_1.pdf
[4] REPORT on sustainable corporate governance https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2020-0240_EN.html
[5] Towards a mandatory EU system of due diligence for supply chains https://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document.html?reference=EPRS_BRI%282020%29659299
[6] The UNGP reporting Framework is available at: https://www.ungpreporting.org/about-us/