Dans l’arène internationale tenir un sommet pour des chefs de gouvernement africains est devenu monnaie courante. Les gladiateurs des puissances mondiales s’en donnent à cœur joie. Rien que pour elle seule l’UE enregistre déjà 5 sommets du genre. Ces joutes n’étaient probablement qu’une démonstration de force, un match d’entrainement pour faire connaitre au monde entier sa frénésie d’exploitation économique de l’Afrique en mode colonial. En effet rien de significatif n’a vraiment émergé de ces grands décideurs qui font la pluie et le beau pour le continent africain. A l’instar de la Chine dans un passé récent, la Russie vient également d’inviter pour la première fois les chefs de gouvernement africains à un sommet de deux jours qui s’est tenu à Sochi les 23 et 24 octobre 2019. Plus de 40 chefs de gouvernement africains ont participé à ce grand festival haut en couleur. Tout comme la Chine, la Russie a le privilège d’entrer dans l’espace politique africain en tant que non colonialiste. La Russie a de surcroit l’avantage d’avoir soutenu les États africains dans leur lutte pour l’indépendance. Pendant la guerre froide, elle entretenait des liens étroits avec des États socialistes comme la Guinée, l’Éthiopie, le Mozambique et l’Angola. Ces pays sont aujourd’hui devenus les moteurs du renouveau de l’intérêt de la Russie pour l’Afrique. Ni la Chine ni la Russie ne se soucient des droits de l’homme en Afrique, mais la Russie en particulier ne cache pas sa soif de vente d’armes et n’hésite même pas à aider les régimes autocratiques à influencer les élections nationales, comme cela a été rapporté en RD Congo et en Guinée, alors que la quête effrénée des ressources minérales de la Chine est sans égal.
De toute évidence, la Chine et la Russie exploitent le vide créé par les colonialistes européens qui ne s’engagent pas vraiment et de manière constructive en Afrique. Russes et chinois profitent de cette lacune pour commercialiser leurs produits respectifs dans ce grand continent. Mais en fin de compte, ce qui se passe vraiment c’est un grand marché de Noël où se côtoient la joie et la rage. Tout cela pour s’assurer le contrôle des ressources naturelles de l’Afrique, de l’économie numérique mondiale et du pouvoir.
Les principaux produits offerts aux chefs de gouvernement africains par la Russie lors du dernier sommet sont inquiétants. Jugez-en ! La Russie a ainsi offert à l’Afrique la technologie nucléaire avec en prime, cerise sur le gâteau, l’industrie des armes et les techniques minières. Dans le cadre de ce sommet, le groupe énergétique russe ROSATOM a signé un accord préliminaire avec le Rwanda pour l’aider à construire un centre de recherche atomique et un autre contrat avec l’Ethiopie dans le but de construire une centrale nucléaire à haut rendement. La Russie a accordé à l’Egypte un prêt de 25 milliards de dollars pour la construction d’une centrale nucléaire et fournit de l’uranium enrichi pour un réacteur de recherche. En Afrique du Sud, ROSATOM avait conclu un accord pour la construction de huit centrales nucléaires d’une valeur de 75 milliards de dollars sous l’ancien président Jacob Zuma. A noter que cet engagement été annulé après la chute de ce même Zuma. C’est un fait que l’Afrique a besoin d’énergie pour mener à bien son programme de développement économique. Il est cependant hautement discutable et condamnable de proposer l’énergie nucléaire comme une option pour l’Afrique. L’installation du nucléaire, techniquement parlant, n’est pas une mince affaire et constitue en permanence une menace environnementale. Plutôt que l’énergie nucléaire ne serait-il pas plus sage de suggérer de profiter de ce soleil africain si généreux et de ces vents puissants qui soufflent sur ce grand continent du sud de la planète. En Afrique les centrales solaires et les éoliennes semblent être une meilleure alternative. Un tel programme énergétique serait en tout cas moins cher, plus propre et moins dangereux pour les populations locales.
Mais la grande question restera toujours de savoir ce qui attire vraiment ces grandes puissances mondiales à s’installer en Afrique. Veulent-elles avant tout le développement des pays africains et de leurs populations ? Leur intention n’est-elle pas plutôt d’exploiter les richesses et les ressources qu’on trouve à foison dans cet immense continent ? Comme la Chine et les colons européens, la Russie laisse rapidement son empreinte en Afrique. En Guinée, les sociétés russes exploitent d’énormes gisements de bauxite et tirent profit d’une mine d’or sans payer d’impôts.
En Ouganda, le groupe russe RT GLOBAL RESOURCES construit une raffinerie de pétrole pour trois milliards d’euros. Des sociétés russes planifient la construction d’une mine de platine au Zimbabwe et veulent mettre en valeur l’un des plus grands gisements de diamants de l’Angola.
La Russie pourrait ainsi doubler son volume d’échanges commerciaux avec l’Afrique pour le porter à 20 milliards de dollars en 2019, mais ce chiffre reste modeste comparé aux 300 milliards de dollars de la Chine.
De plus, la Russie renforce également son influence sur le continent par le biais de la coopération militaire. Au cours des quatre dernières années, la Russie a signé des accords de coopération militaire avec 19 États africains pour la fourniture d’armes et la formation de leurs soldats et officiers. 40% de toutes les exportations militaires vers l’Afrique proviennent de Russie, 17% de Chine et 11% des Etats-Unis. Lors du sommet de Sochi, le président Poutine a déclaré son intention de doubler les exportations d’armes vers l’Afrique. Et sur place, il a signé un contrat avec le Nigeria pour la fourniture d’hélicoptères de combat Mi-35. En République centrafricaine, la Russie est très présente avec 200 conseillers militaires. Un russe est même le conseiller de sécurité du président. Le pays attire les convoitises en raison de ses gisements d’uranium et d’or. Dans un accord avec le Mozambique, la Russie soutient la lutte contre les terroristes islamistes dans le Nord et lui a également accordé une rémission de ses dettes avec en contrepartie l’accès aux grands champs pétroliers et gaziers du pays. Au Soudan, des instructeurs forment les forces de sécurité et des soldats russes les ont soutenus dans la répression brutale des manifestations de juin dernier.
Souvent, l’entraînement militaire n’est pas effectué directement par l’armée russe en tant que telle, mais par des mercenaires du groupe Wagner, une société de sécurité privée déjà notoire par ses opérations en Crimée et en Syrie.
Lors du sommet de Sochi, le président Wladimir Poutine a déclaré : « Aujourd’hui, le développement et le renforcement de relations mutuellement bénéfiques avec les pays africains est l’une des priorités de la politique étrangère russe ». Mais seul le temps expliquera ce que signifient concrètement ces retrouvailles avec l’Afrique.
Quelle que soit la façon dont elle est perçue, une grave crise pend au nez de l’Afrique. Toutes ses dettes qu’elle a contractées sont un lourd fardeau à porter. La nouvelle vague d’intérêt portée au continent africain est comme un banquet qui se prépare aux frais de l’âme même de l’Afrique. Toutes les ressources dont le continent peut se vanter sont ciblées. L’extraction des ressources est massive. La contrepartie, le développement des infrastructures, est alléchant. C’est du déjà vu, la nouvelle édition d’une bien vieille histoire. Dans les années 1980, la plupart des pays africains sont tombés dans ce fameux « piège de la dette » qui a conduit à une « décennie de croissance perdue ». La remise à flot opérée par « Le Fond Monétaire International » par le biais de l’initiative dite PPTE (Pays pauvres très endettés) a eu un coût élevé avec l’imposition de conditions strictes qui ont étouffé toute possibilité de progrès. Avec les milliards de crédits de la Chine pour des projets d’infrastructure, les exportations d’armes de la Russie et les emprunts de milliards additionnels des gouvernements sur les marchés financiers, l’Afrique est en bonne voie pour une nouvelle crise de l’endettement. Le temps nous dira si les allègements de dette apparemment énormes que la Chine et la Russie ont accordés à certains pays africains valent l’âme du continent africain qui est de facto devenu le plat principal des appétits insatiables de la Russie, de la Chine et des puissants pays occidentaux.
Wolfgang Shonecke
Chika Onyejiuwa