Le rôle des sociétés transnationales (STN) en Afrique continue d’être d’une importance vitale pour le développement économique du continent en termes de prospérité, de développement de technologies et de création d’emplois pour les nouvelles générations. Mais ces mêmes STN ont un rôle contradictoire. Elles réalisent, de toute évidence, une certaine  transformation économique à travers différents domaines d’action (que ce soit dans la finance, les infrastructures, les services, les ressources naturelles ou l’agriculture), et d’un autre côté elles sont, tout aussi visiblement, la  cause de l’une des plus grandes entraves au développement intégral des peuples, en provoquant des inégalités et des injustices.

Actuellement, les États ont la compétence exclusive pour faire respecter les droits de l’homme et contrôler la protection de l’environnement sur leur territoire. [1] Il n’existe pas de mécanismes internationaux permettant de poursuivre les violations et les abus de ces droits ou la destruction de l’environnement par les STN et leurs filiales ou fournisseurs tout au long de la chaîne de mise en valeur. En outre, le lobby des entreprises remue ciel et terre pour annuler ou réduire l’aspect sévère et coercitif des initiatives de lois qui tentent, tant au niveau national qu’international, de contrôler son pouvoir. [2]

Face à toute initiative de contrôle des STN par les Etats, les entreprises se positionnent en demandant de maintenir le statut juridique actuel de la législation internationale qui s’appuie sur des mécanismes volontaires. Cependant, depuis l’approbation des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, ces mécanismes se sont avérés inefficaces au cours de la dernière décennie.[3]  Les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales se sont révélés tout aussi impuissants. Il s’agit de recommandations gouvernementales destinées aux sociétés transnationales qui opèrent dans des pays autres que ceux où ces sociétés ont leur siège. [4]

Dans d’autres cas d’initiatives législatives internationales, comme celui de la négociation actuelle d’un traité juridiquement contraignant des Nations  Unies sur les  STN et les droits de l’homme ou encore celui de la loi européenne sur le devoir de diligence obligatoire des entreprises en matière de droits de l’homme et d’environnement, les STN font preuve d’une  attitude équivoque de collaboration. La stratégie du monde du business  formule des demandes qui créent la confusion dans le champ d’application de la nouvelle législation dans le but d’allonger les processus législatifs et d’affaiblir le contenu des normes qui visent à réglementer le comportement des STN (une réglementation édentée). [5]

Ainsi, la responsabilité du respect des droits de l’homme et de l’environnement devrait correspondre à la fois aux Etats et aux STN à travers une responsabilité partagée et des obligations directes qui donnent la priorité à la protection des droits de l’homme sur le bénéfice économique des entreprises. En d’autres termes, il faut une législation contenant des obligations claires et directes pour les entreprises afin que les États puissent contrôler le comportement des STN.

L’UE a reconnu publiquement que les systèmes volontaires de contrôle des STN sont inefficaces, et pourtant il n’y a pas de volonté explicite de la part de la Commission européenne de limiter l’impunité des grandes entreprises.[6] Le respect des droits de l’homme et de l’environnement est à la merci des grandes entreprises qui profitent de la faiblesse démocratique (corruption, absence de législation adéquate ou incapacité à mettre en œuvre les mesures de contrôle nécessaires) des pays en développement dans lesquels elles sont implantées pour exercer leur activité. En ce sens, les devoirs directes des entreprises et l’obligation de rendre des comptes aux Etats sont la meilleure garantie du respect des droits économiques, du travail, sociaux, sanitaires et environnementaux des peuples.

La responsabilité partagée entre les Etats et les STN doit englober tout le processus d’activité des entreprises (et de leurs filiales) ainsi qu’une attitude proactive pour prévenir les risques pouvant entraîner des violations des droits de l’homme et atténuer les impacts négatifs causés par les STN.  L’obligation de réparer les dommages causés aux personnes et aux communautés doit être un must. Dans ce sens, les principaux partis politiques représentés au Parlement européen (à l’exception des partis d’extrême droite « Identité et Démocratie » et du Groupe des Conservateurs et Réformistes Européens) se sont exprimés dans leur lettre à la Commission européenne dans laquelle ils demandent la mise en place d’un régime de responsabilité en vertu duquel les entreprises peuvent être tenues responsables de tout dommage résultant d’impacts négatifs sur les droits de l’homme, l’environnement ou la bonne gouvernance. [7]

Cependant, cette responsabilité ne serait pas complète si elle se limitait seulement aux moyens de prévention des violations des droits de l’homme ou de la destruction de l’environnement. La responsabilité des STN doit également inclure les résultats négatifs causés par leur activité, même si elles ont mené les actions préventives établies par la loi. Les STN doivent être tenues responsables des dommages que leur activité peut causer, même si elles ont fait tout leur possible pour les prévenir. En d’autres termes, jusqu’à présent, les entreprises justifient leur impunité par les actions préventives qu’elles mènent : études d’impact environnemental, respect des lois nationales ou prévention des risques professionnels. Les entreprises considèrent que le fait de prendre certaines précautions les exonère des dommages potentiels qu’elles peuvent causer indirectement. AEFJN dénonce cette limitation préventive de la responsabilité civile et demande à l’UE d’inclure la responsabilité civile et pénale pour les préjudices causé malgré les précautions prises par les STN.

La responsabilité des gouvernements exige également de faciliter tout ce qui est nécessaire pour que les personnes et les communautés affectées par les violations des droits de l’homme ou la dégradation de l’environnement puissent accéder à la justice. Souvent, les victimes sont sans protection ou impuissantes face aux abus de pouvoir et leurs plaintes restent sans réponse. Il est de la responsabilité des STN d’écouter les victimes et de ne pas les poursuivre en justice. [8]

L’UE est en train de préparer une loi sur la diligence raisonnable en matière d’entreprises, de droits de l’homme et d’environnement. Cette initiative laisse espérer un nouveau modèle de responsabilité civile et pénale pour les STN. Le Parlement européen a manifesté son désir que la législation proposée réponde aux injustices actuelles de l’impunité créée par le comportement des STN.

AEFJN, avec la société civile, demande à la Commission européenne de ne pas se laisser manipuler par le lobby des STN et d’être cohérente avec ses politiques de développement et de partenariat économique, en donnant la priorité aux droits de l’homme et en créant des mécanismes de solidarité. La croissance économique et durable de l’Europe ne peut pas être basée, une fois de plus, sur l’abus colonialiste des STN mais sur le respect de la dignité humaine et de la justice.

José Luis Gutiérrez Aranda

AEFJN Advocacy Officer

[1] https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/Pages/TreatyBodies.aspx

[2] Off the hook? How business lobbies against liability for human rights and environmental abuses, https://corporatejustice.org/publications/off-the-hook-how-business-lobbies-against-liability-for-human-rights-and-environmental-abuses/

[3] https://www.accahumanrights.org/images/statements/guidingprinciplesbusinesshr_en.pdf

[4] http://mneguidelines.oecd.org/guidelines/

[5] The Conceptual Revolution of Supply Chain Liability – Towards Corporate Social Liability, http://opiniojuris.org/2021/06/24/business-and-human-rights-symposium-the-conceptual-revolution-of-supply-chain-liability-towards-corporate-social-liability/

[6] Study on due diligence requirements through the supply chain, DS0120017ENN.en 

[7] https://responsiblebusinessconduct.eu/wp/2021/06/22/mep-letter-to-commissioners-on-sustainable-corporate-governance-initiative/

[8] As it is the case of the British company Kakuzi Avocado Farm https://www.business-humanrights.org/en/latest-news/kenya-kakuzi-avocado-farm-linked-to-human-rights-abuses-says-it-will-withdraw-lawsuit-against-advocacy-organization/?mc_cid=adae1cabfa&mc_eid=397aa6253a