La Commission européenne a reconnu que les compagnies minières et les industries extractives en Afrique sont responsables de 65% de la fraude fiscale, ce qui explique que les États africains ont décidé de rectifier les flux financiers illicites (FFI).[1] Les mécanismes que les multinationales utilisent pour la fraude fiscale sont complexes. Parmi les plus importants il y a l’évasion fiscale, la fraude fiscale et les magouilles dans les prix de transfert. Dans le cas des industries extractives, ces pratiques de fraude fiscale se réalisent à travers les multiples étapes de l’exercice de leurs activités. Chacune de ces phases implique un certain nombre d’activités spécifiques qui comportent un risque de fraude fiscale et nécessitent une législation nationale appropriée, ainsi qu’une législation internationale coordonnée pour empêcher le détournement illicite de fonds. [2]
Selon une étude présentée par les Nations Unies en 2019, le montant fraudé par les sociétés minières opérant en Afrique dépasse les investissements étrangers directs mondiaux reçus par le continent.[3] Par exemple, les Nations Unies estiment que les exportations d’or non déclarées provenant uniquement de l’Afrique du Sud ont atteint 78 milliards entre 2000 et 2014, soit 67 % des exportations totales d’or.[4] [5] Ces entreprises opèrent en toute impunité dans le domaine fiscal et mènent des pratiques illégales qui trouvent refuge dans les gouvernements des pays développés, dans les paradis fiscaux ou dans l’absence de législation internationale contraignante comme c’est le cas dans l’Union européenne.
La lutte contre les FFI doit être stratégique et prendre en compte toutes les étapes dans lesquelles les industries extractives exercent leur activité, car de multiples facteurs peuvent faciliter le blanchiment d’argent, la corruption ou l’évasion fiscale. En suivant le schéma présenté dans le document « les complexités de la lutte contre les flux financiers illicites » du Centre européen de gestion des politiques de développement, nous allons brièvement décrire ces étapes et la manière dont les entreprises devraient renforcer leur responsabilité pour éviter les comportements qui, même si certains d’entre eux sont légaux, privent les pays en développement de leurs propres richesses et ressources naturelles par le biais des FFI.[6]
- L’exploration. Au cours de la phase d’exploration et de prospection, les entreprises doivent faire preuve de transparence quant aux dépenses engagées dans le cadre de ces investissements, et éviter toute situation de corruption pour obtenir les permis nécessaires. Cette étape doit être coordonnée avec les autorités locales et nationales afin de déclarer une estimation correcte des quantités de minéraux trouvés, ainsi que de leur qualité. Les quantités extraites pour l’évaluation doivent être déclarées aux services financiers en charge de la taxation et les entreprises doivent payer les frais nécessaires pour effectuer ces explorations.
- Contrats et licences. Les négociations visant à obtenir les licences et les contrats nécessaires pour opérer dans un pays doivent être menées exclusivement par les organes administratifs dépendant du ministère correspondant et jamais par les autorités locales pour empêcher les pots-de-vin. Les négociations doivent être des processus transparents avec des exigences claires pour l’obtention des licences. Les taux d’imposition, les incitations et les exonérations fiscales doivent être établis dans ces contrats. En outre, ces contrats devraient être contrôlés par des sociétés indépendantes qui vérifient que le contenu des accords est conforme au code minier et à la législation fiscale du pays et aux réglementations internationales. En aucun cas, les paiements ne doivent être effectués de manière arbitraire ou à l’insu des autorités fiscales.
- Production et transformation. Ces étapes comprennent l’activité de l’entreprise dans laquelle les minéraux sont extraits du sous-sol, classés, préparés pour la distribution et l’exportation. Au cours de ces différents stades, des mesures décisives sont prises qui déterminent les coûts de production, tels que les coûts des machines et de la main-d’œuvre. Ces étapes sont également importantes au niveau de la comptabilité puisque les quantités produites détermineront les montants à payer sur la base de la production. En outre, le risque de contrebande est présent à ces stades où les entreprises peuvent camoufler la production des petits exploitants et des mineurs artisanaux, ce qui permettrait de réduire plus facilement les coûts de production et de payer moins d’impôts puisque leurs productions sont en dehors des circuits de production officiels.
- Coupellation, vente et exportation. Au cours du processus d’analyse, les entreprises déclarent la qualité des minéraux. Il est facile pour les entreprises de diminuer à la fois les quantités et les qualités des minéraux pour réduire à la même occasion les impôts directs (sur les quantités) et les impôts indirects (TVA). Les quantités et les qualités des minéraux déterminent le prix et donc les bénéfices potentiels des entreprises. Plus la quantité et la qualité des minéraux sont élevées, plus la production est importante, plus les bénéfices sont élevés et donc plus les taxes sont élevées. C’est un risque de réduire ces quantités ainsi que les qualités et donc de payer moins d’impôts. Il arrive même que des entreprises déclarent des pertes pour éviter de payer des impôts et utilisent d’autres firmes du même groupe situées dans des paradis fiscaux pour fixer des prix fictifs (prix de transfert).[7]
Pour lutter contre les paradis fiscaux à ce stade, une coordination internationale est nécessaire pour vérifier que les quantités exportées sont les mêmes que celles reçues par les pays bénéficiaires. De même, il devrait être possible de vérifier que les pertes dans les pays d’origine ne sont pas converties en bénéfices dans les pays d’accueil ou dans les paradis fiscaux. La traçabilité des minéraux et la transparence sont essentielles dans la lutte contre les FFI.
- Fermeture. L’activité des industries extractives ne peut pas prendre fin avec l’exportation des minéraux, le paiement des taxes et l’abandon de la mine. Les codes miniers doivent exiger que la fermeture et la restauration environnementale du site minier se fasse conformément aux normes internationales qui permettent aux populations locales d’avoir d’autres possibilités d’emploi du site. C’est toujours au moment de fermeture fortuite de la mine ou en pénurie de travaux de restauration que les compagnies minières peuvent éviter leurs responsabilités fiscales.
Conclusion
La transparence est la clé du contrôle des FFI. Le suivi et la traçabilité des minéraux, les factures d’achat et de vente du minerai, ainsi que les déclarations fiscales de l’entreprise dans tous les pays où elle opère sont nécessaires pour contrôler la fraude fiscale. La coordination et l’application d’une législation internationale contraignante sont indispensables pour mettre fin à l’impunité des compagnies minières qui utilisent les nombreux canaux de la fiscalité et la stratégie commerciale pour se soustraire à leurs obligations fiscales et maximiser leurs bénéfices.
L’Union européenne doit pousser à fond la directive sur la transparence et exiger la publication des comptes, des paiements et des mouvements économiques effectués dans tous les pays où les entreprises ont opéré et payé des impôts afin de faire progresser l’extraterritorialité des multinationales et de renforcer l’initiative des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme.
Les industries et les lobbies miniers font continuellement pression sur les gouvernements pour qu’ils n’apportent pas de modifications législatives, avec à la clé pour eux la possibilité de poursuites judiciaires éventuelles. Ces pressions se font par le biais de traités bilatéraux d’investissement, de clauses de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS). Il y a aussi les menaces récurrentes de ces industries de retirer leurs investissements directs de ces pays et de fermer les exploitations minières. Tout cela ayant pour conséquence avec de nombreuses pertes d’emplois, la diminution des revenus et la perte d’investissements directs dans les pays concernés. C’est une succession de menaces qui ne se réalisent jamais. En fait même les pires prévisions ne voient jamais le jour car la réalité continue de montrer que les bénéfices de ces compagnies minières sont toujours bien supérieurs aux impôts qu’elles paient aux propriétaires légitimes des ressources naturelles qu’elles exploitent.
José Luis Gutiérrez Aranda
AEFJN
[1] Collect more Spend better, European Commission DEVCO https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/7914c998-ecd6-11e5-8a81-01aa75ed71a1/language-en
[2] What are we talking about when we speak about Illicit Financial Flows? http://aefjn.org/en/category/corporate-justice/
[3] Trade Misinvoicing in Primary Commodities in Developing Countries https://unctad.org/en/PublicationsLibrary/suc2016d2_en.pdf
[4] Observatorio ciudadano https://observatorio.cl/onu-revela-multimillonaria-evasion-tributaria-minera-en-africa-y-chile/
[5] Un autre exemple est le cas de la Tanzanie où seule une société Acacia Gold Mining PLC, par le biais des prix de transfert, a provoqué une perte de 84 milliards de dollars US entre 1997 et 2017.
[6] https://ecdpm.org/wp-content/uploads/DP-255-The-complexities-of-tackling-illicit-financial-flows-1.pdf
[7] http://africantransformationtoday.acetforafrica.org/illicit-flows-cfta-top-agenda-in-songwe-ofori-atta-dialogue/?gclid=EAIaIQobChMI-pDHn-ar5wIVRed3Ch3eXgh5EAAYASAAEgJNT_D_BwE