La Sierra Leone est l’un des pays les plus pauvres du monde où plus de 70% de ses six millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté national de 2 dollars par jour.[1] La promotion d’investissements étrangers à grande échelle dans le secteur agricole est devenue une priorité des gouvernements successifs du pays, dans l’espoir qu’une augmentation de la production agricole puisse entraîner une réduction de la pauvreté. C’est dans cette perspective que SOCFIN Société d’agriculture Sierra Leone Ltd (SAC) est arrivée en 2011 dans la préfecture de Malen, située dans la province méridionale de la Sierra Leone, dans le cadre d’un vaste investissement dans l’huile de palme. Pour rappel, SOCFIN est une multinationale agroalimentaire contrôlée par un homme d’affaires belge (Hubert Fabri) et le groupe français Bolloré, dont l’empire commercial s’étend à de nombreuses régions d’Afrique et d’Asie.
Il est choquant de voir comment un gouvernement trahit et vend son peuple: au début, le ministre de l’Agriculture, des Forêts et de la Sécurité alimentaire (MAFFS) de Sierra Leone avait signé un bail avec plus de 6.500 hectares de terres dans la chefferie de Malen avec le chef suprême ( BVS Kebbie) et 28 propriétaires terriens pour une période de 50 ans, renouvelable pour 25 ans supplémentaires. Le même jour, les terres ont été sous-louées par le ministère à la SOCFIN Société agricole de Sierra Leone (SAC). La partie des terres de 6.500 hectares acquises au début augmentait chaque année; et en décembre 2017, SOCFIN a affirmé détenir 18.473 hectares de terres en concession en Sierra Leone. Les projections faites par la SOCFIN en 2010 sur la base du recensement national de 2004 estimaient qu’environ 28.135 personnes dans les chefferies de Malen, Bum, Lugbu et Bagbo seraient touchées par le projet.[2]
Dès le début, les communautés locales ont dénoncé le contrat de bail comme illégitime. S’organisant au sein de l’Association des propriétaires et utilisateurs des terres affectées de Malen (MALOA), ils ont exposé leurs préoccupations dans une lettre aux autorités du district de Pujehun le 2 octobre 2011. Leurs griefs comprenaient: un manque de consultation des propriétaires fonciers avant l’accord du bail foncier; pression, intimidation et menaces visant à contraindre les propriétaires fonciers à céder leurs terres; le manque de transparence et les hauts niveaux de corruption dans le processus d’acquisition de terres; indemnisation insuffisante et non-paiement d’indemnités; l’échec de SOCFIN à délimiter les terres familiales avant leur défrichage; conditions de travail extrêmement médiocres dans la plantation SOCFIN; la destruction des moyens de subsistance des propriétaires fonciers de la région; impact sur le droit à une nourriture suffisante; la destruction des écosystèmes de la zone et son impact négatif sur la biodiversité.[3]
Récemment, le conflit à Malen a dégénéré à la suite d’incidents violents qui se sont déroulés du 16 au 25 janvier 2019. Le 21 janvier, à la suite d’une escarmouche entre des membres de la communauté, la police et l’armée protégeant les avoirs de SOCFIN, deux personnes ont été abattues. Peu de temps après, des raids policiers et militaires ont été effectués dans les villages environnants. On pense que de nombreuses personnes ont été blessées par les actions des forces de sécurité. Dans la nuit du 23 janvier, trois autres membres de MALOA ont été arrêtés à la fois par la police et par des militaires en compagnie de personnes considérées comme des partisans du chef suprême Kebbie. Ils ont été conduits au tribunal de Malen, où ils ont été battus puis détenus dans une cellule de la police.
La police a arrêté 15 autres personnes, dont l’honorable Shiaka Sama; Un candidat indépendant de la région touchée qui a remporté les élections législatives de 2018 dans la circonscription électorale 104. Il est particulièrement accusé d’incitation à la haine par le chef suprême Kebbie, le meurtre des deux personnes qui ont été tuées; obstruction des opérations de SOCFIN. Cela a été ajouté à une longue liste d’arrestations arbitraires et de harcèlement extrajudiciaire commis à l’encontre de militants des droits à la terre de l’organisation communautaire MALOA. Selon certaines sources, la police et l’armée auraient fait un usage excessif de la violence: des personnes auraient été battues, des maisons vandalisées, des propriétés pillées et des centaines de personnes auraient fui leur domicile par peur de la violence. Environ 80 personnes, dont des femmes et des enfants fuyant leurs villages, ont été aperçues dans le village de Kassey. Les villages assiégés de la chefferie de Malen sont désormais soumis à un couvre-feu de 18 heures à 6 heures du matin, à compter du 21 janvier 2019, ce qui restreindrait les libertés des citoyens.
L’ampleur de la brutalité de la sécurité de l’État peut être qualifiée de sans précédent dans la chefferie depuis le début du conflit foncier, à la suite de l’arrivée de la Société agricole (SAC) SOCFIN, qui s’étend du bas Malen à Bendu et de Nganyahun Malen à haut Malen. Des témoins oculaires ont identifié un véhicule de sécurité SOCFIN transportant du personnel de sécurité de l’État lors des raids. Ces évenements ont été dénoncés par la société civile nationale et internationale.[4] Au cours de ces événements, SOCFIN aurait rencontré les forces de sécurité et les autorités de la chefferie pour discuter de la gestion de la crise, et ses véhicules auraient été mis à la disposition de la police et de l’armée. Les organisations de défenseurs des droits de l’homme en Sierra Leone ont réitéré les demandes de MALOA et appellent le gouvernement de Sierra Leone à ouvrir une enquête sur les actions survenus en janvier 2019 dans la région de Malen; mettre immédiatement en évidence les formes de criminalisation des militants des droits fonciers et des membres de MALOA; faciliter une résolution pacifique durable du conflit foncier à Malen.
Ces événements graves se sont produits alors que les communautés affectées par le conflit foncier de Malen avaient vu une solution possible après les promesses électorales faites par le nouveau président Maada Bio de résoudre le conflit et les efforts de dialogue menés par le gouvernement ces derniers mois. La complicité du gouvernement avec SOCFIN dans le bail foncier a non seulement trahi la confiance de la communauté dans ses autorités, mais a également mis leur vie en danger.
Fian Belgium vient de publier un nouveau rapport[5] sur cette affaire, qui fournit une bonne documentation sur la misère endurée par la communauté de Malen depuis l’arrivée de SOCFIN jusqu’en mars 2019. En collaboration avec d’autres organismes de la société civile en Belgique, AEFJN continuera à apporter son soutien à cette communauté.
Odile Ntakirutimana
Video:
– Témoignage d’une militante de l’association MALOA : https://www.youtube.com/watch?v=2bEhEIjQ_Nw
– Sierra Leone: Protect Human Rights Defenders: https://www.youtube.com/watch?v=CvqwaXOGmSk
[1] Sierra Leone ranks 179th out of 185 countries in a recent human development index. UNDP. 2016 Human Development Index. p. 204. Available at: hdr.undp.org/sites/default/files/2016_human_develop- ment_report.pdf
[2] 22 Head Lease Agreement (Zone A) between the Government of Sierra Leone and the Malen Chiefdom authorities. 15 October 2012. Available at: www.fian.be/IMG/pdf/2012-communities-sl_headlease_15oct2012-zone_a_completed.pdf
[3] MALOA. Grievances of land owners in Malen Chiefdom. 2 October 2011. Letter to Pujehun District Officer. Available at: www.fian.be/IMG/pdf/maloa_grievances_of_land_owners_october_2011.pdf
[4] SiLNoRF, Green Scenery et al. “In Sierra Leone, Land rights defenders under attack”. Press Statement. 23 January 2019. Freetown disponible à: www.fian.be/IMG/pdf/malen_incident_press_release.pdf
[5] « Land Grabbing for Palm Oil in Sierra Leone: Analysis of the SOCFIN Case from a Human Rights Perspective« . Disponible à: https://www.fian.be/Land-Grabbing-for-Palm-Oil-in-Sierra-Leone?lang=fr