La cinquième session du groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée qui s’est penchée sur les sociétés multinationales et autres entreprises commerciales et leur agissement en matière de droits de l’homme (octobre 2019) a fixé un délai de quatre mois aux États concernés pour soumettre des suggestions sur le projet révisé d’instrument juridiquement contraignant, afin de réglementer du point de vue du droit international les activités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales en ce qui concerne les droits de l’homme. Les suggestions successives reçues au cours des quatre derniers mois serviront à améliorer le projet dit « zéro » à propos duquel des travaux ont été effectués l’année dernière et qui marque le point de départ du texte juridique d’un futur traité.[1]

Les pays qui se sont réellement engagés à progresser dans le nouveau traité contraignant sur les droits de l’homme ont apporté des contributions et des améliorations en soulignant la nécessité d’assurer une protection spéciale des défenseurs des droits de l’homme, des peuples indigènes, des femmes et des zones touchées par les conflits. Malgré l’effort fait pour que ces propositions soient inscrites dans le texte juridique, la société civile considère qu’une plus grande précision est nécessaire dans la description des violations présumées des droits de l’homme ainsi que des propositions concrètes pour corriger ces abus. Cependant, il faut reconnaître que ce traité n’est pas la seule initiative qui existe au niveau national ou international pour corriger les violations des droits de l’homme par les sociétés multinationales.[2]

Le nouveau traité juridiquement contraignant ne doit pas être considéré comme la criminalisation des entreprises, mais comme l’occasion de reconnaître les entreprises comme le moteur d’un investissement économique équitable ; un investissement qui favorise le développement intégral des personnes et qui contribue à la fois au respect et à la promotion des droits de l’homme.

Investissement. Les investissements réalisés dans le respect des droits de l’homme ont un point de départ différent de celui des investisseurs qui font des affaires dans les pays en développement en n’ayant comme seul but de faire des bénéfices. Une législation contraignante encouragerait les entreprises à évaluer l’opportunité d’un investissement dans une région donnée, à mesurer l’impact économique, social et environnemental et à évaluer le risque que certains modèles d’entreprise représentent pour la population. De même, l’investissement responsable conduit à promouvoir la confiance des entreprises envers leurs investisseurs, en leur offrant des informations véridiques, transparentes et vérifiables. En outre, dans le cas des investissements public-privé, il permettra aux gouvernements d’avoir une connaissance plus approfondie du comportement de leurs entreprises lorsqu’elles opèrent à l’étranger, notamment dans les pays en développement. Le respect des droits de l’homme n’est pas seulement la responsabilité des entreprises, mais doit être promu et garanti par toutes les nations.[3]

Jusqu’à présent, le gouvernement de chaque nation surveille le respect des droits de l’homme par ses investisseurs à l’intérieur de ses frontières nationales. Lorsque les gouvernements européens sont informés de violations des droits de l’homme par leurs investisseurs nationaux opérant en Afrique, l’Union européenne se décharge de sa responsabilité en faisant appel à la nature volontaire des Principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme. Ainsi, seul un traité contraignant pourrait promouvoir la responsabilité extraterritoriale des investissements public-privé lorsque ces investissements sont réalisés avec le soutien des gouvernements nationaux. Dans l’optique d’une législation juridiquement contraignante, chaque gouvernement serait responsable du comportement de ses entreprises nationales et des investissements tant dans le domaine public que privé.

Développement. L’économie joue un rôle important dans le développement intégral des peuples ; ce sont les entreprises qui créent des emplois, génèrent des richesses et transforment les ressources naturelles en biens et  services au bénéfice  des personnes. Mais cette finalité ultime des entreprises est faussée lorsque les avantages économiques sont privilégiés au détriment du développement intégral des peuples. C’est pourquoi l’intérêt d’une législation contraignante est de promouvoir le respect des droits de l’homme par le développement économique. [4]

Bien que le projet zéro ne fasse pas spécifiquement référence aux objectifs de développement durable, les entreprises qui exercent leur activité en respectant les éventuels impacts sociaux, économiques et environnementaux de leur activité économique généreront un développement intégral des personnes associées à l’activité commerciale. Une économie qui s’engage en faveur des personnes est un moteur de développement et peut apporter une amélioration des conditions de vie et une garantie pour la réalisation des objectifs de développement durable.

Droits de l’homme. Malheureusement, l’Union européenne (UE) n’a montré aucun intérêt à soutenir cette législation contraignante et considère que son caractère volontaire est suffisant. Les conditions fixées par l’UE pour soutenir le traité juridiquement contraignant favorisent des propositions qui nuisent à l’efficacité du traité, comme l’exigence d’un champ d’application pour tous les types d’entreprises sans tenir compte de la taille de l’entreprise, de son chiffre d’affaires ou du type d’activité commerciale. [5] Toutefois, une entreprise d’extraction minière qui a un impact sur l’environnement, sur les populations locales touchées par l’extraction et sur les conditions de travail des mineurs n’est pas la même qu’une entreprise qui distribue des biens ou fournit des services de communication.

Ce manque d’engagement de la part de l’UE retarde tout type d’accord, encourage le désespoir de parvenir à un accord et, pire encore, prolongera l’impunité des grandes entreprises dans les pays en développement, en particulier en Afrique. Une impunité qui est toujours couverte par le silence du pouvoir et des gouvernements ainsi que par le désintérêt de leurs dirigeants politiques qui seront récompensés à la fin de leur mandat par les entreprises du secteur dont ils ont bénéficié.

AEFJN exige que les responsables de la Commission européenne et du Service européen pour l’action extérieure s’engagent à fond dans les négociations du traité. Il faut que leur contribution soit constructive ; qu’elle défende réellement les intérêts des populations et qu’elle s’engage à faire des droits de l’homme une partie essentielle de l’activité économique et non une préoccupation supplémentaire.

José Luis Gutiérrez Aranda

AEFJN Policy Officer

[1]United Nations Human Rights Council, https://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/WGTransCorp/OEIGWG_RevisedDraft_LBI.pdf

[2] Parmi les autres instruments juridiques relatifs aux droits de l’homme, nous citons les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales et les principes directeurs sur les entreprises et les droits de l’homme de Nations Unies

[3] Investment in Extractive Industries , http://ccsi.columbia.edu/our-focus/investments-in-extractive-industries/

[4] Integrating Human Rights in Development and in the Economic sphere, https://www.ohchr.org/EN/AboutUs/Pages/developmentintheeconomicsphere.aspx

[5] https://ap.ohchr.org/documents/E/HRC/other/A_HRC_43_55%20E.pdf