Le silence de la communauté internationale sur le génocide et le nettoyage ethnique en cours au Cameroun est très inquiétant ! Le silence, en dernière analyse, n’est pas sans rapport avec l’intérêt économique de leurs anciens maîtres coloniaux. On se demande quand ces maîtres coloniaux laisseront l’Afrique être, ou plutôt quand les dirigeants africains cesseront d’être les pions dans les jeux d’échecs des ressources naturelles de l’Europe et des Amériques, même au détriment du sang des Africains. Tout aussi troublante et dégoûtante est la propagande bon marché de la presse écrite et électronique camerounaise selon laquelle ce qu’on en est venu à qualifier de crise du Cameroun anglophone est perpétuée par un groupe de sécessionnistes égoïstes qu’il faut éliminer de la surface de la terre. Les médias justifient l’abus de souveraineté du gouvernement camerounais et contribuent à perpétuer son crime contre l’humanité. L’effort désespéré du gouvernement du Président Paul Biya pour sortir la crise de son contexte historique ne tient pas debout, même pour le Camerounais le moins informé des deux côtés de la fracture. L’effort alimente plutôt la propagande peu convaincante et la protestation anglophone.

La grève de 2016 des avocats et des enseignants dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (Cameroun anglophone) qui s’est cristallisée dans la crise est la poudre ayant déclenché de façon ouverte des griefs et le mécontentement qui s’étaient accumulés au cours de la vie du Cameroun en tant que pays. Bien qu’AEFJN ne souscrive en aucune façon à la violence comme moyen d’expression du mécontentement, elle demeure la seule option qui reste pour un peuple qui n’a pas réussi à obtenir l’écoute légitime de son gouvernement pour un dialogue.

Revenons maintenant à la partition du Cameroun allemand après la défaite de l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale dans l’accord Simon-Milner du 10 juillet 1919, dans lequel le Cameroun allemand fut partagé entre la Grande-Bretagne et la France. Dans le secteur britannique, il y a eu une bonne part d’autonomie gouvernementale grâce à la règle indirecte. Dans la zone d’occupation française, l’approche traditionnelle et assimilationniste a conduit à une forme de gouvernement très étroite et centralisée.

Après la Seconde Guerre mondiale, les territoires ont été administrés en tant que territoires du mandat C sous la tutelle du Conseil de tutelle de l’ONU. La zone française a obtenu son indépendance sous le nom de République du Cameroun le 1er janvier 1960. Pendant ce temps, le Cameroun britannique était administré à partir de l’est du Nigeria. Cependant, une crise politique de la Chambre d’assemblée régionale de l’Est (1953-1954) a motivé les politiciens du Cameroun britannique à démissionner en signe de protestation et de mécontentement d’être sous le régime nigérian. Le plébiscite du 11 février 1961, a uni le Cameroun britannique à la République du Cameroun pour former une République fédérale du Cameroun le 1er octobre 1961, réunissant ainsi les deux parties de l’ancien Cameroun allemand, mais maintenant avec des cultures politiques différentes.

L’analyse d’AEFJN montre que l’érosion systématique de la Fédération du Cameroun et la répression du gouvernement fédéral Camerounais sont au centre de la quête d’autodétermination et d’indépendance du Cameroun anglophone. En effet, la structure fédérale convenue lors de la Conférence de Foumban en 1961 a été supprimée en mai 1972 au profit d’un Etat unitaire, puis le pays a été rebaptisé République du Cameroun en 1984, nom que le Cameroun français avait adopté à son indépendance le 1er janvier 1960. Le changement de nom a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et a rompu, presque irrémédiablement, la relation entre les deux frères. Qui plus est, le silence de la majorité francophone sur le conflit actuel et la volonté du gouvernement de dialoguer avec le terroriste Boko Haram, tout en refusant catégoriquement d’entamer un dialogue avec les dirigeants du Consortium anglophone, est une preuve de mauvaise foi. Elle a exacerbé la frustration des anglophones et alimenté la crise alors que le gouvernement se sert de la violence comme d’un appareil d’État pour forcer la paix. Il en résulte que le nombre de morts ne cesse d’augmenter et que les vivants attendent la mort avec résignation.

Malheureusement, la fin du conflit qui a coûté la vie à des milliers de personnes et déplacé plus de 500.000 autres (déplacés internes et 160.000 réfugiés) n’est pas prise en compte. La déclaration de la restauration de l’indépendance du Sud Cameroun le 1er octobre 2017 qui a vu l’assassinat en masse de centaines de personnes par hélicoptère de combat des forces gouvernementales et la déclaration de guerre pure et simple le 30 novembre 2017 par Paul Biya sur le Cameroun anglophone ont empiré la situation.

Au milieu de tout cela, il y a une crise humanitaire qui s’aggrave et que les Groupes internationaux des droits de l’homme ont qualifié de « crime de génocide flagrant ». Ce sont surtout les femmes, les enfants et les personnes âgées qui sont touchés. Comment percevons-nous cette brutalité dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun ? Qu’advient-il de notre humanité commune ? L’Église et les missionnaires de ces régions ont beaucoup fait en termes de services humanitaires, mais c’est comme une goutte d’eau dans l’océan. L’Église institutionnelle du Cameroun doit s’opposer farouchement à ce crime contre l’humanité. La communauté internationale doit intervenir d’urgence pour trouver un moyen durable de résoudre la crise. De toute évidence, la crise du Cameroun anglophone est une quête d’inclusion, et tout exercice dépourvu de réponse à ce besoin humain important sera un exercice futile. Sans équivoque, AEFJN appelle à une cessation immédiate de la violence. La communauté internationale doit relever le défi, mettre fin à la crise déshumanisante et réaffirmer le droit inaliénable de la personne humaine à être entendue et respectée. Chaque minute de retard, alors que les personnes vulnérables souffrent, gémissent et meurent en grand nombre, détruit notre humanité commune et remet en question les valeurs fondamentales de la communauté internationale.

Chika Onyejiuwa