La banque ING est la société mère de diverses banques néerlandaises et étrangères. Basé à Amsterdam aux Pays-Bas, ING est directement supervisée par la Banque centrale européenne (BCE).[1] La BCE est une institution officielle de l’UE au cœur de l’Eurosystème, ainsi qu’un mécanisme de surveillance unique pour la surveillance bancaire. La BCE est chargée de la surveillance prudentielle des établissements de crédit établis dans la zone euro et les États membres participants n’appartenant pas à la zone euro, au sein du mécanisme de surveillance unique, qui comprend également les autorités compétentes nationales.[2]
ING est l’un des investisseurs financiers de SOCFIN, un agroindustriel multinational producteur d’huile de palme et de caoutchouc naturel en Afrique et en Asie. SOCFIN est contrôlée par la famille belge Hubert Fabri (50,2% des actions) et par le groupe français Vincent Bolloré (39% des actions). Le groupe gère actuellement plus de 180 000 ha de plantations.
Leur « modus operandi » a violé les droits humains des populations locales tout en mettant leur environnement en péril. SOCFIN est particulièrement accusé d’accaparement de terres dans plusieurs pays et fait face à une forte résistance de la part des populations locales. Les conditions de vie des résidents des plantations du groupe s’aggravent avec l’acquisition croissante de terres par la société. Les conflits entre SOCFIN et les populations locales résultant de l’empiétement débridé sur leurs terres sont exacerbés. Entre 2010 et 2017, l’étendue des terres saisies par SOCFIN Sierra Leone est passée de 323 198 ha à 402 344. SOCFIN a continué à exploiter les termes des contrats de location passés à l’insu ou sans le consentement des communautés pour les déposséder de leurs terres. Malgré les dizaines de mobilisations locales et internationales, de lettres d’interpellation et de rapports documentant les nombreuses questions relatives aux droits des résidents, le groupe continue d’ignorer la plupart des problèmes et de refuser un dialogue avec les communautés pour résoudre les conflits.[3]
Il y a plus de deux ans, les ONG belges ont engagé un dialogue avec ING au sujet de ses services financiers à SOCFIN. Ils ont attiré l’attention d’ING sur les plaintes susmentionnées contre SOCFIN afin de trouver des solutions. Les ONG ont proposé à ING d’interrompre tout nouveau prêt à SOCFIN jusqu’à la résolution des conflits en suspens sur le terrain. Malheureusement, ING a choisi de jeter la proposition des ONG au second plan. Pour éviter tout doute, ING applique une norme de sécurité environnementale bien écrite. Cependant, les ONG se sont demandées pourquoi la banque avait choisi de regarder ailleurs alors que SOCFIN enfreignait sa politique de gestion des risques environnementaux et sociaux.
En mars 2017, ING a rencontré une délégation des communautés affectées par les activités de SOCFIN en Sierra Leone. ING a ensuite promis de transmettre les informations sur les violations des droits humains commises à SOCFIN au siège social d’ING aux Pays-Bas et de fournir une réponse et des points d’action à SOCFIN dans un délai maximum de 6 semaines. ING n’a donné aucune suite à sa promesse. ING a plutôt décidé d’octroyer un nouveau et cinquième prêt de 15 millions d’euros dans le but d’améliorer la responsabilité de SOCFIN.
Lors de la dernière réunion entre ING et les ONG au début d’octobre 2018, ING n’a montré aucun intérêt pour toutes les informations fournies par les ONG sur les violations des droits humains et environnementaux commises par SOCFIN.
Il est donc inadmissible d’entendre ING déclarer que SOCFIN a apporté des réponses satisfaisantes aux questions de la banque avec des preuves à l’appui en ce qui concerne les normes environnementales et qu’elles entretiennent de bonnes relations.[4] Il n’existe aucune preuve plus convaincante que la dure expérience de ceux qui ont perdu leur moyen de subsistance, car la terre est tout pour eux; les liens familiaux se sont brisés parce qu’ils ont perdu le symbole visible de leurs liens (la terre); certains ont perdu la vie dans la dépression. Il est très choquant et déchirant de voir comment les sociétés commerciales sont motivées uniquement par leur cupidité et leur intérêt. Tant que leurs intérêts sont garantis, l’impact négatif de leurs activités commerciales sur le terrain ne les concerne pas du tout. Il est difficile de croire que cette banque n’approuve pas toutes ces violations des droits humains dont SOCFIN est accusée alors qu’il y a suffisamment de preuves sur le terrain et d’autres sources fiables.[5]
Il est temps de dénoncer, de lutter contre les investissements toxiques d’ING, tels que l’industrie de l’huile de palme. C’est contraire à l’éthique de continuer à financer des sociétés telles que SOCFIN, qui vont clairement à l’encontre des engagements sociaux et environnementaux d’ING. En continuant de faire la sourde oreille, ING pourrait engager la responsabilité d’entreprise pour graves violations des droits humains dans les pays du tiers monde.
Qui aimerait entendre que son argent a largement contribué à la misère, au déni d’une vie décente à une multitude de personnes? Qui serait honoré des intérêts considérables rapportés par son capital dans une banque parce que les gens recevaient un salaire injuste s’ils n’étaient pas exploités? La recherche de la survie, d’une vie décente et épanouie est ce que nous avons en commun en tant qu’êtres humains. Si nous ne pouvons pas savoir ce dont l’autre a besoin, au moins nous savons ce dont nous avons besoin et nous savons ce que nous ressentirions si on nous le refusait ou si on le refusait à nos proches ; de quelque manière que ce soit.
Si ING n’a aucun pouvoir sur les activités de ses entreprises clientes, elle peut au moins exiger qu’elles se conforment aux politiques de la banque, en particulier en ce qui concerne ses engagements sociaux et environnementaux. Les banques ont le pouvoir de décider des fins pour lesquelles leur argent doit être investi.
Si les banques de l’UE ne travaillent pas à la réalisation de la mission de la BCE qui consiste à «atteindre le plus haut degré d’intégrité, de compétence, d’efficacité et de responsabilité»[6], la supervision n’est pas à la hauteur de sa tâche ou l’UE se rend complice de ses banques dans un l’éco blanchiment (greenwashing) organisé.
Odile Ntakirutimana
AEFJN Policy Officer
[1] https://www.ing.com/About-us/Corporate-governance/Legal-structure-and-regulators.htm
[2] https://www.ecb.europa.eu/ecb/orga/escb/ecb-mission/html/index.fr.html
[3]SOCFIN : bénéfices toujours en hausse… sauf pour les communautés locales: https://www.sosfaim.be/news/socfin-benefices-toujours-en-hausse-sauf-pour-les-communautes-locales/
[4] Réunion entre les ONG et ING a Bruxelles
[5] Amnesty international: report 2016; Greenpeace International August 2018: Final countdown. Now or never to reform the palm oil industry (human rights and environmental impacts of palm oil plantations).
[6] https://www.ecb.europa.eu/ecb/orga/escb/ecb-mission/html/index.en.html