7 septembre 2021
Re : Publication du « troisième projet révisé » lors des négociations du Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant visant à réglementer les activités des sociétés transnationales (STN) et autres entreprises commerciales en matière de droits humains.
La Campagne mondiale pour revendiquer la souveraineté des peuples, démanteler le pouvoir des transnationales et mettre fin à l’impunité (Campagne mondiale) prend note de la publication du troisième projet révisé du traité contraignant, publié le 17 août 2021. Ce dernier est le résultat du processus de négociation entamé en 2014 avec l’adoption par le Conseil des droits de l’homme de la Résolution 26/9. Ce nouveau projet émerge après les discussions tenues lors de la 6e session de négociation d’octobre 2020 et du processus subséquent des Matrices de février 2021.
Nous sommes profondément préoccupés par la dilution continue d contenus clés du texte, c’est-à-dire du contenu que les organisations sociales et les communautés affectées considèrent comme essentiel. Par ce communiqué nous souhaitons partager nos premières impressions sur le nouveau projet et soulever quelques questions de procédure concernant la négociation de « projets de traité » successifs.
Bien que nous remarquions quelques changements positifs dans le troisième projet révisé, ceux-ci sont essentiellement cosmétiques, rhétoriques et inefficaces. Ces changements superficiels cherchent à accroître la légitimité du texte proposé, mais, en réalité, ne parviennent pas à résoudre les problèmes structurels soulignés à plusieurs reprises par les mouvements sociaux et les communautés affectées.
Un changement de cap tant au niveau du contenu que de la procédure est donc nécessaire pour atteindre les objectifs fixés par la Résolution 26/9 et répondre aux communautés victimes de violations des droits humains. C’est inacceptable que les innombrables propositions d’amélioration du projet présentées tout au long des sessions de négociation par les représentants des communautés affectées, des mouvements sociaux, ainsi que par de nombreux experts et Etats, soient omises. Le troisième projet révisé est fondamentalement similaire au projet précédent, malgré le nombre élevé de propositions concrètes qui ont été faites pour l’améliorer. Cela nous donne le sentiment d’une année perdue.
En outre, une méthodologie pour réviser le projet en tenant compte de manière transparente des contributions des États et des organisations de la société civile est indispensable. Nous apprécions les efforts de synthèse et de médiation du Président Rapporteur équatorien. Néanmoins, la négociation a atteint un point de maturité qui nécessite un processus de négociation ouvert et transparent, dirigé par les États membres et facilité par le Président Rapporteur. Cela doit garantir que les voix de la société civile et des communautés affectées soient entendues et prises en considération en incluant les diverses propositions de texte entre parenthèses pendant la session de négociation. L’objectif de la session doit être de parvenir à un nouveau projet de proposition du Groupe de travail et pas seulement de la Présidence. En bref, pour être de véritables acteurs du processus, la société civile doit avoir à la fois une voix et une influence.
En termes de contenu, nous constatons une fois de plus que, suivant l’approche présentée dans les précédents projets publiés après le solide « Document d’éléments » de 2017, et malgré quelques éléments positifs, le nouveau projet continue de présenter un instrument inefficace et « édenté ». Nous notons également l’utilisation de concepts vagues, indéterminés et même non juridiques qui pourraient compromettre l’interprétation et l’application futures d’articles clés.
En l’état, le projet ne répond pas aux objectifs fixés par la résolution 26/9, à savoir réglementer les activités des sociétés transnationales dans le cadre du droit international des droits humains (afin de prévenir les violations des droits humains par les STN et de mettre fin à leur impunité) et assurer un accès effectif et complet à la justice pour les peuples, individus et communautés affectés. En outre, le projet actuel ne comblerait pas les vides juridiques existants qui permettent et permettront aux STN de violer les droits humains en toute impunité et d’échapper à la responsabilité de leurs actes. Sans dispositions plus innovantes et ambitieuses, le traité risque de devenir un nouvel instrument futile aligné sur les cadres volontaires qui ont déjà démontré leur inefficacité.
En outre, le nouveau texte poursuit une logique centrée exclusivement sur les obligations des Etats, et ne parvient pas à établir les obligations directes pour les sociétés transnationales, nécessaires pour les tenir directement responsables des violations des droits humains dont elles sont responsables. Nous sommes également préoccupés par l’extension continue du champ d’application du texte à toutes les entreprises commerciales, y compris les petites et moyennes entreprises. Cela dilue la raison d’être du traité contraignant et l’objectif énoncé dans la résolution 26/9 (s’attaquer aux obstacles particuliers à la responsabilisation des STN), qui fait clairement référence aux sociétés transnationales et autres entreprises commerciales « à caractère transnational ».
Un autre élément est le champ de la prévention et de la responsabilité juridique des STN qui se concentre sur les faibles dispositions liées à la diligence raisonnable, un concept intrinsèquement limitatif. Cela risque d’aboutir à une situation où les STN échappent à toute responsabilité dès lors qu’elles se conforment aux processus de diligence raisonnable.
Nous attirons l’attention sur l’absence d’une réaffirmation sans équivoque de la primauté du droit international des droits humains sur le droit des affaires, du commerce et de l’investissement, sur l’absence d’un mécanisme international fort de suivi et de contrôle (y compris un tribunal international) qui garantirait la mise en œuvre effective du traité, ainsi que sur les nombreuses lacunes qui subsistent en termes d’inclusion et de définition des chaînes de valeur mondiales, de la percée du « voile corporatif », piliers de l’architecture transnational de l’impunité.
À ce stade, il semble clair que le président du groupe de travail oriente le processus vers l’élaboration d’un traité vidé de son contenu essentiel et de son accent sur les sociétés transnationales, avec des simples dispositions génériques qui dépendent de la capacité et la volonté politique des États pour leur mise en œuvre et en accord avec l’autorégulation des entreprises. Cela nous confronte à un texte accommodant les demandes et les intérêts des STN et de leurs alliés politiques.
Ceci étant dit, la Campagne mondiale poursuivra son engagement fort dans les négociations avec l’intention inébranlable d’aboutir à un traité réellement contraignant digne de ce nom et capable de devenir un rempart contre le pouvoir des STN qui prétendent être les moteurs de nos économies tout en violant les droits humains et détruisant notre environnement naturel en toute impunité. Conformément à ces engagements, la Campagne mondiale s’opposera, si nécessaire, à l’adoption d’un traité dilué de son contenu qui risquerait de devenir un » piège normatif » en ce qu’il fermait la porte à des réformes réellement efficaces dans les années à venir.
Declaration en pdf CommuniquéCG_premières impressions 3ème projet
LE TROISIÈME PROJET RÉVISÉ DU TRAITÉ CONTRAIGNANT SUR LES SOCIÉTÉS TRANSNATIONALES ET LES DROITS HUMAINS (seulement en anglais) OEIGWG CHAIRMANSHIP THIRD REVISED DRAFT 17.08.2021
Contact:
Júlia García, facilitation@stopcorporateimpunity.org
Raffaele Morgantini, contact@cetim.ch