La Commission européenne a annoncé une initiative législative sur l’obligation pour les entreprises de montrer une diligence raisonnable en matière de droits de l’homme et de respect de l’environnement, qui sera imposée aux sociétés de l’UE d’ici 2021.[2] Pour la première fois, une telle législation serait obligatoire pour les établissements ayant leur siège en Europe, mais qu’arriverait-il à leurs filiales le long de la chaîne d’approvisionnement lorsqu’elles opèrent en Afrique ou dans d’autres pays en développement ? L’initiative de diligence raisonnable des firmes en matière de respect des droits de l’homme et de responsabilité environnementale est une bonne nouvelle pour les personnes les plus vulnérables et les communautés locales qui sont touchées par certaines activités économiques. C’est aussi une annonce porteuse d’espoir pour le continent africain où les compagnies européennes exercent leurs activités d’extraction et d’investissement.
- Respect des droits de l’homme et conditions de vie décentes
La diligence raisonnable obligatoire peut prévenir les situations de violation des droits de l’homme en Europe et en Afrique. En Europe, comme on peut le constater, il y a en général des garanties pour la protection des droits de l’homme. Malheureusement ces droits sont plus vulnérables et difficiles à protéger lorsque les entreprises opèrent dans des pays dont les démocraties et les systèmes juridiques sont plus fragiles. La condamnation de l’exploitation des ouvriers adultes et des mineurs d’âge est évidente en Europe. Par contre lorsque les sociétés industrielles de l’UE ou leurs filiales exercent leur activité économique en Afrique, l’abus des travailleurs et l’embauche des enfants deviennent monnaie courante. La précarité du travail, les conditions inhumaines de surpopulation dans lesquelles vivent les gens, les longues heures de besogne, la nature dangereuse du labeur ou le régime de semi-esclavage forment souvent le quotidien de nombreuses personnes et enfants de ce grand continent.[3]
Le devoir de diligence annoncé devrait exiger des entreprises de l’UE qu’elles respectent les normes internationales en matière de droits de l’homme et de protection de l’environnement. Une société opérant dans le cadre d’un mandat relatif aux droits de l’homme ne devrait pas opérer dans des pays tiers où les droits du travail sont ignorés, où les rémunérations ne respectent pas les salaires minimums nationaux et où l’exploitation des enfants est tolérée. Ces pratiques devraient être automatiquement poursuivies par les États membres de l’UE lorsque des compagnies européennes, leurs filiales et leurs fournisseurs s’y livrent tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
- Protéger l’environnement et garantir l’accès aux services de santé
Cette initiative de diligence obligatoire encouragée par l’UE doit garantir que les personnes et les communautés affectées dans leur santé par l’activité irresponsable des entreprises de l’UE, de leurs filiales et de leurs fournisseurs aient accès aux services de santé publique et à la réparation des dommages causés, ainsi qu’à une indemnisation équitable pour tous les préjudices encourus. De même ce projet législatif devrait permettre aux personnes meurtries par l’activité des industries, notamment dans le secteur minier, d’avoir accès à la justice dans leur pays et de réclamer des dommages et intérêts.
Dans ce programme, les communautés locales auraient également le droit de réclamer des dommages environnementaux causés par l’activité industrielle de certaines sociétés. Il est contraire à l’éthique que des entreprises de l’UE écartées en Europe, en raison du non-respect des normes sanitaires et environnementales requises, puissent pourtant opérer en Afrique où ces exigences sont beaucoup plus laxistes, voire contournables par le biais de la corruption. Les sociétés industrielles qui exploitent les ressources naturelles devraient également être tenues responsables des dégâts environnementaux causés par leur activité, quel que soit l’endroit où elles opèrent. En outre, ces mêmes entreprises devraient être obligées de prévenir et d’évaluer les dommages potentiels qu’elles pourraient causer par leur activité commerciale. Elles devraient de plus, par contrainte, prévoir les conséquences néfastes de leurs activités et être prêtes, au cas échéant, à en réparer les dégradations.
- Accès à la justice, réparation du préjudice causé
Une étude récente publiée par la coalition européenne pour la justice des entreprises et l’association ANTI-SLAVERY montre la difficulté à accéder à la justice qu’ont les personnes dont les droits sont violés. [4] C’est pourquoi l’UE doit veiller à ce que les personnes physiques victimes de violations des droits de l’homme et les communautés locales dont les droits ont été bafoués aient accès aux tribunaux nationaux dont dépendent les entreprises de l’UE. Les communautés locales devraient également avoir le droit d’être informées des activités qui se dérouleront sur leurs terres et qui pourraient affecter leurs moyens de subsistance traditionnels. Par conséquent, les communautés touchées pourraient choisir et s’adresser aux tribunaux nationaux et internationaux pour réclamer compensation pour les dommages causés, ainsi que requérir la restauration des zones exploitées afin que les communautés puissent réutiliser leurs terres en respectant les us et coutumes locaux concernant la paysannerie. Ce programme de diligence raisonnable devrait aussi faciliter l’accès à la justice des personnes et protéger ceux qui signalent des faits de non-respect de ces droits fondamentaux. Ceux qui dénoncent les violations de droits de l’homme, ainsi que les membres de leurs familles, devraient toujours être assurés d’une protection physique et juridique.
- Renforcement des systèmes juridiques nationaux et internationaux
La future diligence raisonnable de l’UE en matière de droits de l’homme et d’environnement nécessiterait une coordination et une complémentarité avec tous les accords et traités internationaux conclus entre l’UE et les pays tiers. Le contenu de cette résolution de diligence raisonnable devrait exiger l’intégration d’un chapitre sur le développement durable dans tous les accords de commerce et d’investissement. On devrait clairement y inclure les questions du respect des droits de l’homme et de l’environnement. [5] Une mise en œuvre efficace de la diligence raisonnable exigerait même que le prochain renouvellement des accords entre l’UE et l’Union africaine assume sans conditions le respect des droits de l’homme et de l’environnement, et garantisse leur incorporation automatique dans les traités économiques actuels et futurs qui pourraient être conclus entre les deux continents.
- Impact positif sur l’économie et les investissements
Toute diligence raisonnable exige un comportement éthique de la part des entreprises ainsi que des institutions financières qui soutiennent leurs investissements économiques. La diligence raisonnable ne doit pas être un élément punitif des infractions mais une opportunité pour les sociétés industrielles de remplir leur dimension sociale, engagée dans le développement intégral des individus et des peuples. De même, la diligence raisonnable devrait reprendre les postulats de l’économie circulaire dans laquelle les entreprises assument la responsabilité des matériaux utilisés tout au long de la chaîne d’approvisionnement, assurent le développement durable et la protection de l’environnement, et assument la responsabilité tant des déchets causés par la production de leurs processus de production que du recyclage de ces déchets. La diligence raisonnable devrait être un défi pour renforcer les systèmes juridiques de l’UE mais aussi les démocraties des pays en développement. L’UE a le devoir de soutenir la mise en œuvre des droits de l’homme dans les pays où elle a des intérêts commerciaux par le respect des normes internationales en matière de droits de l’homme et de lutte contre la corruption.
Conclusion
La diligence raisonnable est une opportunité pour l’Europe, mais c’est aussi une aubaine pour l’Afrique qui pourrait ainsi renforcer ses systèmes juridiques et garantir la protection des droits de sa population. La diligence raisonnable est une belle occasion d’établir de nouvelles règles dans le comportement des entreprises qui établiront de nouveaux modèles de développement et de respect de l’environnement. Mais c’est aussi une chance à ne pas rater d’établir des règles responsables dans le commerce international qui inspireront d’autres puissances économiques.[6]
AEFJN considère que la diligence raisonnable dans l’UE est une occasion de renforcer l’engagement de l’UE à soutenir le traité juridiquement contraignant des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme. Si l’UE adopte les postulats annoncés par le commissaire Reynders, elle devrait modifier sa position sur le traité international et s’impliquer dans le processus des Nations unies. Un traité des Nations unies serait inefficace si l’UE ne faisait pas preuve d’une diligence raisonnable et contraignante. Et la diligence raisonnable européenne serait inefficace sans la nature obligatoire des Nations unies. Les deux initiatives doivent être complémentaires et inspirer d’autres systèmes juridiques qui visent réellement le développement durable et intégral de l’être humain et la protection de l’environnement.
José Luis Gutiérrez Aranda
AEFJN Policy Officer
[1] (N.B La diligence raisonnable comprend la pratique, pour une entreprise, de déceler les risques liés à ses activités et à ses relations, de prendre des mesures pour éviter de contrevenir aux droits d’autrui et de rendre compte pour les deux ensembles de mesures.)
[2] https://responsiblebusinessconduct.eu/wp/2020/04/30/european-commission-promises-mandatory-due-diligence-legislation-in-2021/
[3] Child labor and slavery in the chocolate industry, https://foodispower.org/human-labor-slavery/slavery-chocolate/
[4] What if? Case studies of human rights abuses and environmental harm linked to EU companies https://corporatejustice.org/asi_eccj_report_final.pdf
[5] https://ec.europa.eu/trade/policy/policy-making/sustainable-development/
[6] State of the Union Address by President von der Leyen at the European Parliament Plenary https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/SPEECH_20_1655