Dans la dernière édition de notre bulletin, nous avons publié un article sous ce titre et avons reçu des commentaires et des questions sur le contenu de l’article. Ce qui suit est une tentative de répondre à certaines de ces questions dans les limites de l’espace disponible. Parmi les questions soulevées, on peut citer : ce lait en poudre se trouve-t-il sur les marchés européens ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi n’existe-t-il pas là aussi ? Où est-il produit ? Comment ce mélange est-il utilisé pour reconstituer le lait écrémé ? Ces questions s’inscrivent dans le droit fil d’une autre question posée par une éleveuse du Burkina Faso qui a dit : « Ces produits exportés sont-ils également consommés en Europe ; n’y a-t-il pas en Europe des régions qui ne produisent que pour l’Afrique ? Veuillez cliquer ici pour lire l’article original.
L’Afrique de l’Ouest est un bassin de consommation de produits laitiers très dynamique. Même si la consommation de lait est encore faible, elle augmente sensiblement. [1] Avec une population totale estimée à 382,5 millions d’habitants en 2018, environ 60% de la population active vit de l’élevage et de l’agriculture. Dans la région du Sahel (Niger, Tchad, Mali, Burkina Faso, Mauritanie et Sénégal), le pastoralisme et l’agro-pastoralisme sont un pilier de l’économie. L’urbanisation croissante augmente la demande de produits laitiers bon marché pour les pauvres et de produits plus raffinés pour la classe moyenne en développement. Cependant, le développement de la production laitière locale est confronté à des défis importants, entre autres : la faible productivité laitière des exploitations d’élevage parce qu’il est difficile de nourrir correctement le bétail toute l’année ; l’incapacité des éleveurs à augmenter leur capital ; le manque d’infrastructures suffisantes et adéquates pour le transport adéquat du lait vers la laiterie ; le manque de supervision sanitaire des troupeaux… Face à ces défis, la demande de la population en produits laitiers est aujourd’hui satisfaite en grande partie par des importations croissantes de poudre de lait, notamment en provenance de l’Union européenne (UE), reconditionnées ou transformée sur place par des entreprises laitières européennes. Dans la ville de Bamako, par exemple, 90% du lait consommé provient de poudre.[2]
L’UE a arrêté la régulation de sa production laitière en 2015 ce qui a entrainé une augmentation laitière de plus de 157 millions de tonnes en 2018. Donc l’offre en lait a dépassé la demande et par conséquent les prix ont baissé ainsi que le revenu des éleveurs européens qui se sont retrouvés contraints de vendre leur lait aux industriels à bas prix. En même temps la demande mondiale de beurre a fortement augmenté et son prix également. Les industriels ont saisi l’occasion pour extraire la matière grasse du lait et en faire du beurre revendu aux prix forts. Par conséquent ils se sont retrouvés avec de grandes quantités de lait écrémé transformé en poudre pour être stocké. Mais le problème était de trouver comment l’écouler. Pour remplacer la graisse animale, cette poudre est réengraissée à l’huile de palme (mélange MGV) beaucoup moins chère que le beurre. Ce faux lait est ensuite exporté en Afrique de l’Ouest où il est vendu moins cher que le lait local. Mal étiqueté, ce substitut peut être confondu avec du vrai lait mais sans en avoir les qualités nutritives ce qui peut nuire à la santé.[3] Importé le plus souvent sous forme de sacs de 25kg ce produit bénéficie du tarif extérieur commun (TEC) très faible de 5% commun à la CEDEAO que ça soit pour la poudre de lait ou le mélange MGV. Ces conditionnements en gros sacs servent à être utilisés pour la transformation et pour le reconditionnement et forment la quasi-totalité des importations. La poudre est réensachée sur place en plus petits conditionnements, puis souvent en micro-dosettes très bon marché pour le consommateur. Ce type de lait ne se trouve pas dans les magasins européens. Au moins certains des grands supermarchés et bien connus de Belgique comme Delhaize et Carrefour, le seul lait en poudre en grande quantité est celui pour les enfants mais de bonnes élections. Le seul lait en poudre courant que l’on trouve dans de nombreux magasins est NIDO et il est toujours cher. Il reste encore à trouver une réponse à la question de savoir pourquoi ce mélange que l’on appelle lait regraissé ne devrait être produit que pour les Africains.
En 2018, les exportations de poudres de lait vers l’Afrique de l’Ouest ne représentaient qu’une faible part et avait baissé de 9.7% en 2016 à 7.9 % en 2018 alors que le mélange MGV était en hausse passant de 29% en 2016 à 35% en 2018. La même année, le total des exportations de l’UE de poudres de lait et de mélange MGV a représenté un coût de 685,3 millions d’euros pour l’Afrique de l’Ouest. Beaucoup de firmes laitières de l’UE se sont implantées en Afrique de l’ouest : Lactalis, Sodiaal et Danone (France), Arla Foods (Danemark), Nestlé (Suisse), Friesland-Campina (Pays-Bas), DMK (Allemagne), Glanbia (Irlande), Milcobel (Belgique). Ce choix est stratégique : l’Afrique de l’Ouest est un marché d’avenir, étant donné son boom démographique, sa faible productivité locale de lait alors que la population en a besoin. Ces multinationales veulent donc s’y placer en bonne position par rapport aux firmes concurrentes européennes ou d’autres continents. La plus grande part des exportations vers la CEDEAO provient des Pays-Bas, de la Pologne, de la Belgique, de la France. La plupart des investissements consistent en des usines de reconditionnement de la poudre de lait produite dans leurs usines en Europe, contournant ainsi la taxation appliquée sur les petits conditionnements, alors que ces sachets reconditionnés sur place font autant concurrence au lait liquide local que les boîtes de poudre venant d’Europe. En 2013 par exemple, Danone a pris le contrôle de Fan Milk International au Nigéria, une société de distribution de lait présente dans 5 pays d’Afrique de l’Ouest, avec plus de 80% du marché au Nigéria et au Ghana. Arla continue son implantation dans plusieurs pays : en 2017, elle a implanté une usine au Ghana, y créant seulement 8 emplois.
Un nombre croissant de firmes, sous la pression des États ouest-africains voulant promouvoir la production locale, soucieuses de leur image de « responsabilité sociale », et aussi pour fabriquer plus facilement certains produits locaux typés, s’associent avec des laiteries locales et transforment à la fois le lait local et la poudre importées. C’est le cas, pour ne citer que ces exemples-là, de Danone au Sénégal (Laiterie du Berger) et de Friesland Campina au Nigéria (Wamco). Cet intérêt pour le lait local se renforce mais il ne concerne encore que 20% des entreprises, qui ne collectent que très peu de lait local, soit environ 30.000 litres (20% des capacités de la laiterie du Berger, 0,4% de celle de la Wamco, 1,3% pour Eurolait-Sodiaal au Mali, …)[4]
Le modèle productiviste européen est poussé à l’extrême aux bénéfices des industriels et au détriment des éleveurs du nord et du sud, de l’environnement et de la santé des consommateurs. Alors que sa consommation intérieure stagne, l’UE choisit ainsi de miser de plus en plus sur le marché mondial. Elle prévoit une augmentation de sa production laitière de 0,8% par an jusqu’en 2030, où elle produirait 182 millions de tonnes, dont 25% d’export. Avec une croissance des exportations de 2% par an, elle pourrait couvrir ainsi 35% de la demande mondiale en 2019-2030. Cependant, il faut garder à l’esprit qu’en continuant Cependant, il convient de garder à l’esprit que, en continuant à écraser une économie qui peine à se développer en Afrique, l’Europe ne peut prétendre soutenir le développement de l’Afrique. Une relation juste entre l’Afrique et l’Europe est nécessaire de toute urgence. Comme l’a dit le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, «Ce qui se passe en Afrique est important pour l’Europe et ce qui se passe en Europe est important pour l’Afrique. Notre partenariat constitue un investissement dans notre avenir commun. Il s’agit d’un partenariat d’égal à égal, dans lequel nous nous soutenons mutuellement pour créer de la prospérité et faire en sorte que la planète soit un espace de vie plus sûr, plus stable et plus durable. »[5]
[1] Campagne Lait « N’exportons pas nos problèmes » :
[2] https://www.nexportonspasnosproblemes.org/wp-content/uploads/2019/04/Dossier_Campagnelait_.pdf
[3] https://www.youtube.com/watch?v=pEHm7lmHyYM
[4] https://www.nexportonspasnosproblemes.org/wp-content/uploads/2019/04/Dossier_Campagnelait_.pdf
[5] Jean-Claude Juncker, sommet Union africaine-Union européenne à Abidjan, le 27 novembre 2017