En Afrique de l’Ouest, la production laitière locale représente un enjeu majeur de développement et un potentiel non négligeable pour les éleveurs et les autres acteurs de la filière dans cette région. Le projet d’une « Offensive lait » en Afrique de l’Ouest porté par la CEDEAO confirme ce potentiel et atteste d’un soutien des autorités régionales et nationales.[1] En parallèle, la société civile, les organisations paysannes régionales et les acteurs du lait de six pays d’Afrique de l’Ouest ont lancé la campagne « Mon lait est Local » afin de promouvoir et de défendre le lait local dans la région.

Dans ce contexte, les producteurs de lait européens et les organisations de la société civile qui les soutiennent ont organisé une série d’activités à Bruxelles du 8 au 12 avril 2019 sur la question des politiques agricoles, commerciales et de coopération au développement de l’Union Européenne qui impactent la vie des producteurs européens et ouest-africains. Pour alimenter ces différentes activités, une délégation de 18 représentants d’organisations paysannes ouest-africaines s’est déplacée jusque à Bruxelles ; des éleveurs de France, des Pays-Bas, d’Italie et d’Allemagne, sans parler des éleveurs belges, étaient aussi présents. Des députés européens, des représentants des directions générales de l’agriculture, du commerce et de la coopération au développement de la Commission européenne sont venus entendre les revendications portées autant par les producteurs européens qu’africains.

AEFJN était représenté dans les tables rondes et l’action publique devant les institutions européennes. L’ampleur du problème était bouleversante. C’était un moment d’expression d’un mécontentement des éleveurs Européens et Africains qui ont de grandes difficultés pour vivre de leur travail. La surproduction laitière en Europe a occasionné la chute des prix. Le surplus est donc transformé en poudre de lait écrémé et exporté vers l’Afrique de l’ouest. Le plus souvent, cette poudre de lait écrémé est réengraissée à l’huile de palme, 12 fois moins chère que la matière grasse laitière. Le mélange matière grasse végétale (MGV) qui en résulte est vendu 30% moins cher que la poudre de lait entier sur les marchés africains. Il permet ainsi une importante marge pour les entreprises importatrices de mélange MGV, puisqu’elles l’ont importé de l’UE à un prix inférieur de 58% en moyenne au prix de la poudre de lait entier.[2] C’est une concurrence déloyale car ce faux lait envahit et étouffe la filière locale et les éleveurs africains.

L’expression des représentants des éleveurs africains révélait une tristesse et une frustration profonde, bref une expérience très pénible à vivre. Ce qui était encore plus choquant c’était d’entendre un grand relativisme de la situation dans les propos de certains participants aux conférences. Pour certains, l’Europe n’exporte pas des problèmes mais des produits laitiers car en Afrique, les problèmes existaient déjà. Et pour d’autres, on s’est trompé de discussion ou d’acteurs car ce genre de discussion devait se passer en Afrique avec les dirigeants surtout de la CEDEAO dans ce cas précis. Un des représentants de la Commission Européenne a demandé aux éleveurs de relativiser car, selon lui, il n’y a que 5% de la production européenne de lait qui est envoyée en Afrique de l’Ouest. Et pourtant, là-bas, ça fait des dommages énormes comme c’était exprimé par les représentants ouest africains dans leurs interventions. Ils se sont exprimés énergiquement et avec conviction que l’UE a un rôle important à jouer pour trouver la solution car ils savent bien que l’UE fait pression sur les Etats de la CEDEAO pour qu’ils baissent leurs douanes, donc la responsabilité est partagée. Une voix de la femme en détresse s’est fait aussi entendre en ces termes : « La concurrence, elle est là, elle existe et elle plombe la production locale. Le lait en poudre, dans certains pays, est vendu de 40 à 50% moins cher que le lait local. C’est impossible de faire face à cette concurrence inéquitable et les femmes en sont les premières victimes : elles sont les productrices, les transformatrices, les entrepreneuses. Et leurs revenus sont premièrement affectés aux besoins de la famille[3]

Par ailleurs, ce lait qu’on appelle enrichi est plutôt appauvri volontairement en prétendant faire de la valeur ajoutée[4]. La décision des Etats la CEDEAO de mettre les tarifs extérieurs communs à 5% sur les produits laitiers, a favorisé ainsi l’importation de lait en poudre et cela a empiré la situation. Mais il faut encore reconnaitre que ces décisions des gouvernements africains ne sont pas toujours libres et les éleveurs savent que la pression de l’UE est considérable.

Lors de l’action publique, une démonstration était faite en préparant des crêpes avec le vrai lait et le faux lait résultant du MGV. Les gens se sont rendus compte de la différence dans le gout et la qualité même si apparemment les deux produits peuvent sembler les mêmes.

A la fin, les différentes organisations européennes et africaines et celles qui les soutiennent ont signé une déclaration commune présentant leurs revendications à l’Union Européennes. Ils demandent que l’UE interdise toutes formes de dumping de produits laitiers et ces MGV sur les marches africains, que les producteurs européens puissent vivre décemment de leur travail, garantir la cohérence des politiques agricoles et commerciales européennes en faveur du développement durable, appuyer les initiatives existantes portées par les producteurs et productrices de lait, etc.[5]

Il a été souligné avec insistance que la cohérence des politiques de l’UE contribuera largement à soutenir le lait local en Afrique de l’Ouest, à assurer la sécurité alimentaire et à lutter contre la pauvreté et contre les migrations. Cette bataille commune entre les producteurs de lait d’Afrique de l’Ouest et d’Europe a montré combien il était important de planifier un développement durable pour tous. L’ampleur des migrations de nos jours parle d’elle-même car ce qui se passe en Afrique aura toujours des implications pour l’Europe.

[1] « Quelles politiques européennes pour contribuer au développement de la filière laitière locale en Afrique de l’Ouest ?»

[2] https://www.nexportonspasnosproblemes.org/

[3] Amadou Hindatou, Coordinatrice de la campagne « Mon lait est local

[4] Philippe Collin, membre de la Confédération paysanne et ancien membre de l’Observatoire du Marché du lait

[5]Joint Statement on behalf of Farmers and Dairy Producers’ Organisations for Local and Fair Milk in West Africa and Europe