L’économie mondiale menée par les pays développés est dans une dynamique de maximisation des profits. Les grandes et moyennes entreprises conçoivent des plans stratégiques féroces qui leur permettent d’augmenter leurs profits en accédant à de nouveaux marchés, en obtenant des matières premières moins chères, en technicisant la production et surtout en réduisant les coûts de main-d’œuvre. Dans ce contexte économique, l’UE a encouragé ces dernières années les investissements publics-privés des grandes entreprises européennes en Afrique. Ainsi, le plan d’investissement extérieur de l’Union européenne permet aux entreprises européennes d’investir dans les pays en développement avec une sécurité juridique qui leur garantit un investissement sûr. Cependant, ni ce plan, ni l’Accord de Cotonou à travers les Accords de partenariat économique n’ont fait le moindre effort pour assurer un comportement responsable et éthique des entreprises européennes en Afrique. C’est pourquoi nous devons sans cesse chercher à savoir ce qui se cache sous cet empressement de l’économie européenne à noyauter le marché mondial avide de profits : la solidarité ou l’égoïsme ?

D’une part, ces circonstances ont fait des entreprises européennes (principalement des entreprises agroalimentaires et des industries d’extractions des ressources naturelles) un moteur important du développement économique en Afrique. D’autre part, les investissements que ces entreprises réalisent en Afrique ont également un impact social, culturel et environnemental dont il faut tenir compte pour évaluer leur efficacité en tant que moteur du développement. Mais quelle est la responsabilité des entreprises européennes lorsqu’elles opèrent dans des pays d’Afrique ? Les entreprises ne devraient-elles pas agir avec la même rigueur que si elles étaient en Europe ? De quoi parlons-nous lorsque nous parlons de responsabilité sociale des entreprises ? Suffit-il de se conformer à ce qui est strictement légal pour pouvoir parler du comportement éthique des entreprises ?

En ce sens, l’Union européenne doit se demander si ces entreprises exercent leurs activités avec la même rigueur que si elles opéraient en Europe, c’est-à-dire si elles exercent leur activité économique de manière durable dans le temps. L’UE doit se demander, entre autres questions, si ces entreprises européennes respectent  l’environnement par des études d’impact de leur activité économique ? Si elles honorent  les normes sociales et les lois du travail des principaux traités internationaux ? De plus l’UE doit vérifier si ces industries européennes  ne mettent pas à profit leur pouvoir économique pour agir impunément ? Si elles ne mettent pas sur pied des combines pour dissimuler leurs flux financiers illicites ?

Il y a au moins quatre éléments que les entreprises européennes doivent respecter en relation avec les directives européennes et qui sont fondamentaux quand on parle de comportement éthique de ces entreprises opérant en Afrique.

Premièrement, les entreprises européennes opérant en Afrique doivent scrupuleusement respecter les droits de l’homme avec le même degré d’engagement que si elles opéraient en Europe. Les entreprises européennes ne peuvent pas appliquer des niveaux différents de respect de la dignité des personnes en fonction de leur lieu d’implantation ou d’exploitation. Ainsi, les entreprises européennes doivent respecter les droits fondamentaux des travailleurs et de la population en assurant leur sécurité et leur santé, en leur garantissant des salaires décents et en leur fournissant des prestations sociales établies par la législation nationale du pays dans lequel elles opèrent sans enfreindre aucun traité international tel que la convention de l’Organisation Internationale du Travail.

Deuxièmement, les entreprises européennes en Afrique doivent opérer dans la plus grande transparence. Ces entreprises  devraient être tenues de n’en faire ni plus ni moins pour les citoyens d’Afrique. En Afrique comme en Europe même transparence ! Les exigences de transparence comprennent la fourniture d’informations sur leur bilan et leurs comptes. Les industries européennes implantées en Afrique doivent aussi donner des informations sur les impôts payés dans les pays où elles opèrent, les paiements effectués aux autorités locales et nationales pour obtenir les autorisations administratives, les quantités produites et exportées, les prix des biens, la valeur ajoutée dans la chaîne d’approvisionnement et la traçabilité des produits du lieu d’origine à la consommation.  La transparence n’est pas seulement due à l’élément économique des transactions, mais doit couvrir l’ensemble du processus de production. Ainsi, par exemple, les entreprises opérant en Afrique prélèvent leurs richesses et transforment ces matières premières dans d’autres pays, ajoutant une valeur économique aux matières premières, mais laissant leur bénéfice économique dans d’autres pays ou en Europe.

Troisièmement, les entreprises doivent respecter les Principes directeurs de l’OCDE en matière de diligence raisonnable pour une conduite responsable des affaires pour la protection des droits de l’homme. Jusqu’à présent, ces mesures de diligence raisonnable sont appliquées sur une base volontaire et le petit nombre d’entreprises qui les ont mises en œuvre est donc presque symbolique. La diligence raisonnable aide l’entreprise à identifier les risques en matière de droits de l’homme et à prévenir les effets négatifs sur les personnes impliquées dans les processus de production. Les entreprises doivent être scrupuleuses dans l’étude de l’impact de leur activité économique sur les populations touchées et prendre les mesures compensatoires nécessaires pour que ces communautés puissent continuer à vivre dignement à travers leurs activités économiques traditionnelles. En outre, les entreprises doivent collaborer avec les autorités locales pour promouvoir l’égalité des chances. Ce n’est pas l’entreprise qui décide de combien et comment indemniser les communautés locales. Toute compensation doit se faire en coordination avec les autorités de l’endroit.

Quatrièmement, les entreprises européennes doivent s’engager à assurer la sécurité de ceux qui risquent leur vie et celle de leur famille en dénonçant les injustices et les violations des droits humains. Parfois, il peut s’agir de violations des droits de l’homme ou de représailles entre travailleurs d’une même entreprise. Parfois, il n’y a pas de procédures claires pour dénoncer les abus dans une entreprise. Parfois même les travailleurs n’ont pas les moyens de dénoncer de telles situations. Lorsqu’un travailleur dénonce de telles injustices, les entreprises et leurs dirigeants prétendent souvent qu’ils ne sont pas au courant de ces pratiques ou qu’ils n’en ont pas été informés. Souvent même les chefs d’entreprises clament que leurs subordonnés leur cachent la vérité. Pour cette raison, les entreprises doivent assurer l’accès à la justice à leurs employés et ouvriers. Elles sont dans l’obligation de leur fournir toute protection tant physique que  juridique.

La croissance économique des entreprises doit aller de pair avec un comportement éthique et nous ne pouvons pas concevoir l’un sans l’autre. Lorsque les entreprises exercent leur activité économique sans implication effective dans sa dimension sociale, nous sommes confrontés à des affaires rapides et ponctuelles, mais pas à des entreprises durables. Seule une entreprise qui prend soin de sa dimension sociale assure une répartition équitable des richesses, aide à réduire les inégalités, éradique la pauvreté et constitue l’épine dorsale du développement intégral de l’être humain. Tel est le véritable défi pour l’UE si elle veut rendre effectives ses valeurs de solidarité et d’égalité des chances pour tous sans laisser personne derrière elle… L’Europe ne peut pas continuer à se développer seule, elle doit accroitre sa solidarité avec les pays en développement. Toute idéologie qui ne promeut pas ces valeurs construira une Europe extrême, hostile et éloignée des principes inspirateurs de l’UE.

José Luis Gutiérrez Aranda

AEFJN Policy Officer