Résumé:

Les derniers accords de pêche que l’UE conclut avec des pays africains sont appelés « Accords de partenariat de pêche durable ». Toutefois, en particulier dans l’Afrique occidentale, la surpêche a pris une ampleur dramatique notamment causé par la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN)[1].  Ces pratiques de surpêche à l’origine de dommages environnementaux et elles ont un impact négatif sur le secteur de la pêche locale. Dans ce contexte, il est difficile de voir comment l’augmentation de l’activité de pêche par les flottes étrangères sera durable. Dans ces accords, la logique économique qui prévaut : la plupart des fonds sont consacrés à avoir accès au poisson dans les eaux africaines afin d’approvisionner le marché européen. Plutôt que d’acquérir de vastes quotas de pêche dans les eaux surexploitées, une plus grande priorité devrait être accordée à la lutte contre la pêche illégale non déclarée et non réglementée.

Introduction: la nouvelle génération d’accords de pêche UE

L’Union européenne (UE) est le plus grand marché pour les produits de la mer dans le monde entier[1]. Étant donné l’état des mers européennes: la surpêche a atteint des niveaux critiques dans la mer du  Nord, l’océan Atlantique, la mer Méditerranée et la mer Baltique, (selon Greenpeace un énorme 80% des stocks européens sont déjà surexploités)[2], les navires européens se tournent vers d’autres mers. Effectivement, pour satisfaire sa demande intérieure l’UE est importateur net de poissons et de fruits de mer[3]. Depuis longtemps la flotte de l’UE s’est orientée vers les eaux africaines pour assurer l’approvisionnement de poissons, mais le trafic a intensifié récemment. Par des Accords de partenariat de pêche durable (APPD)[4], l’UE cherche à obtenir un accès pour les navires de pêche de l’UE dans les zones économiques exclusives des pays tiers. En échange l’UE paie au pays partenaire des droits d’accès et contribue financièrement à la pêche locale du pays partenaire comme à sa lutte contre la pêche INN. Toutefois, la part du lion des traités se concentre sur les droits d’accès.[5]

En termes de transparence, les APPD sont clairement une amélioration des accords de pêche du passé peu claires et ceux qui sont encore conclus par des acteurs privés (y compris des Européens) et d’autres pays à savoir la Chine et la Russie. En outre, inclure la gouvernance des océans et le soutien aux industries locales de pêche dans ces accords est un pas en avant. Néanmoins, il y a encore beaucoup de travail sur le terrain sur ces questions et les accords de l’UE restent principalement axés sur les quotas de pêche.

Il est clair que, dans ces accords, la logique économique de l’UE de se fournir sur le marché africain et de créer des opportunités pour les armateurs de l’UE ont la priorité. Dans un contexte de grandes lacunes dans la gouvernance internationale et de vaste activité INN dans les eaux africaines, ces accords vont probablement augmenter le problème de la surpêche en Afrique. Il y a un besoin urgent d’accroître la capacité des pays africains en appuyant les autorités portuaires, ainsi que les garde-côtes pour lutter contre les activités illégales dans leurs eaux. Ne faut-il pas d’abord remplir des conditions préalables pour arrêter la surpêche et la pêche illégale dans les eaux africaines, avant d’aggraver le problème simplement pour assurer l’approvisionnement des marchés européens?

Pour l’Afrique : une bonne affaire?

En théorie les APPD ciblera seulement « les stocks excédentaires » et « veillera à la conservation des ressources et à la durabilité de l’environnement ».[6] Cependant, les pays d’Afrique occidentale, avec lesquels l’UE a conclu un certain nombre d’APPD, souffrent proportionnellement plus de la surpêche que d’autres parties du monde, à cause de la pêche INN généralisée, qui coûte à la région environ 1,3 milliards par an. Dans ce contexte, l’affirmation de l’UE que le poisson ne ferait que venir d’excédents et serait extrait d’une manière durable, peut difficilement être considérée comme valide.[7]

Pour les Etats côtiers africains, il est crucial que les exportations vers l’UE contribuent aux économies et aux moyens de subsistance locaux, et permettent de promouvoir la gestion durable des ressources océaniques. Sans de telles sauvegardes mises en place, les accords de pêche de l’EU risquent d’aggraver le problème de la surpêche en Afrique. Cependant, par la vente des droits de pêche à des opérateurs étrangers, l’Afrique ne gagne qu’une fraction de ce qu’elle pourrait gagner. En fait, la FAO estime que les pays africains pourraient théoriquement obtenir un montant supplémentaire de 3,3 milliards de plus, s’ils conservaient aux opérateurs nationaux les prises actuellement effectuées par les flottes étrangères.[8] La société civile en Afrique se pose aussi la question si la contrepartie financière est suffisamment élevée pour compenser la perte des stocks de pêche. Au Sénégal, les représentants des pêcheurs artisanaux considèrent la compensation financière comme peu satisfaisante, parce que la flotte industrielle de l’UE est capable de pêcher environ 30.000 tonnes par jour pour une valeur d’environ 1 milliard de francs CFA, alors que l’Etat sénégalais ne reçoit que 9 milliards de CFA en plus de 5 ans.[9]

De plus, ces accords ne bénéficient pas aux pêcheurs locaux, ni à l’industrie de transformation locale, étant donné que la part du lion de la pêche est directement exportée hors des eaux africaines sous forme de poisson congelé avec peu de valeur ajoutée localement.[10] Par exemple, encourager la transformation locale de thon, permettrait aux Etats côtiers de créer une industrie à valeur ajoutée. Les accords comprennent bien le soutien au secteur de la pêche africaine, cependant, dans la pratique les pêcheurs artisanaux locaux déplorent le manque de participation et de transparence dans le dialogue ainsi que le manque d’avantages pour l’industrie locale.[11] Ce qui empêche l’Afrique de développer un secteur de pêche performant.

En accordant l’accès aux eaux africaines, ces accords faussent d’une certaine façon encore plus le commerce entre les navires européens fortement subsidiés et les pêcheurs locaux peu soutenus. En effet, en dehors de ces accords, l’Union européenne et les Etats membres subventionnent le secteur européen de la pêche à hauteur de 6,5 milliards €. Les accords de pêche permettront à des centaines de bateaux industriels avec plus de capacité de pêcher dans une zone déjà surexploitée, tout en mettant l’industrie locale en mauvaise posture. Cela réduira nettement l’approvisionnement en poisson pour le marché local. Ceci obligera les pêcheurs locaux à s’aventurer plus loin en mer pour attraper leur poisson, une tâche pour laquelle ils ne sont pas équipés. Pire encore, les chalutiers industriels ont détruit les engins locaux de pêche et provoqué le naufrage de bateaux artisanaux.[12]

De plus, même si un petit pourcentage des prises industrielles est débarqué aux ports africains, cela pourrait risquer de mettre les pêcheurs locaux en difficulté par la concurrence avec leurs prix, si le secteur n’est pas suffisamment soutenu. Par exemple, les accords avec la Maurétanie prévoient que seulement 10% des prises sont déchargées au niveau local et un pourcentage encore moindre devrait être localement.[13] Tout cela entrave le développement d’une industrie de pêche locale performante.

Exportation de la surpêche

À première vue, les quotas de pêche sont basés sur une logique purement extractive. Voilà pourquoi de nombreux critiques soutiennent que l’UE exporte simplement son problème de surpêche à l’étranger[14]. Greenpeace Afrique résume la situation au Sénégal:

«En effet, il ne fait que maintenir la situation actuelle des huit conserveries européennes qui approvisionnent le marché local en thon et ajoute l’autorisation pour 28 senneurs (propriétaires de filets) d’exploiter le thon sans obligation de débarquement local. Le plus inquiétant, c’est l’inclusion de deux chalutiers de fond pour le merlu alors même qu’un gel de l’effort sur ce stock avait été recommandé lors du dernier conseil interministériel sur la pêche tenu à Dakar en juin 2013».[15]

La surexploitation des stocks de poissons est également une préoccupation majeure pour le secteur de la pêche au Sénégal et en Mauritanie, en particulier là où les petits poissons pélagiques, comme les sardines, sont cruciaux pour garantir la sécurité alimentaire dans les pays. En Mauritanie les quotas de pêche pour les poissons pélagiques font partie de l’accord avec l’UE[16], alors que pour le Sénégal[17] ce n’est pas le cas. Cependant les bateaux de l’UE qui pêchent ces poissons pélagiques dans la région en Mauritanie et au Maroc, épuisent évidemment aussi les stocks au Sénégal. Cela aura un impact négatif sur les ressources disponibles pour la consommation locale au Sénégal et en Mauritanie. Pour combattre ce fléau la société locale appelle à une gestion régionale durable pour ces espèces cruciales.[18] Ainsi, à travers ses contrats de pêche distincts l’UE compromet la coopération régionale pour l’exploitation durable des océans. De plus l’accord avec le Sénégal se concentre sur le thon, une espèce en voie de disparition et le merlu, qui est particulièrement en danger dans les eaux sénégalaises[19]. Du point de vue de l’environnement ces accords peuvent difficilement être considérés comme durables.

Conclusions

Les contrats de pêche de l’UE sont surtout centrés sur l’obtention de droits d’accès, les autres objectifs comme la lutte contre la pêche INN et le soutien au secteur de la pêche locale sont moins importants dans l’ensemble. Alors que des améliorations sont cruciales dans ces derniers domaines pour créer un secteur de la pêche mondiale durable. Combler des lacunes dans le droit international devrait avoir la priorité sur l’acquisition de quotas de pêche dans les pays en développement. A cet égard, l’UE a fait des efforts en défendant l’entrée dans ses ports de livraisons de poisson illégal[20], ces efforts devraient être augmentés pour induire des changements positifs dans le secteur et pour rendre la pêche illégale non rentable. Surtout l’UE devrait soutenir les États côtiers africains en renforçant les capacités de la garde côtière et des systèmes de surveillance pour lutter contre la pêche illégale. Cyniquement l’UE et les États membres soutiennent la surveillance pour réduire la migration irrégulière dans les états africains. Cependant, davantage d’efforts pour accroître la capacité de surveillance de ces Etats contre la pêche INN pourrait contribuer à réduire les pressions migratoires.

Gino Brunswijck

Chargé de recherche

 

[1] FAO, “The State of Fisheries and Aquaculture”, p.54, 2015, à consulter: http://www.fao.org/3/a-i5555e.pdf

[2] Greenpeace, “Countdown 2020 – will the EU deliver its promise of healthy seas and shift to low-impact fishing?”

http://www.greenpeace.org/eu-unit/en/campaigns/oceans/

[3] La valeur des importations de poisson provenant de l’extérieur de l’UE a connu une croissance de 6% par an depuis 2009. Pour plus d’informations : Commission européenne (a), « The Eu Fish  Market, edition 2015 », https://www.eumofa.eu/documents/20178/66003/EN_The+EU+fish+market_Ed+2015.pdf/4cbd01f2-cd49-4bd1-adae-8dbb773d8519

[4] Commission européenne (b), « La dimension internationale de la politique commune de la pêche »,  http://ec.europa.eu/fisheries/documentation/publications/2015-cfp-international_fr.pdf

[5] Les chiffres : L’UE et les armateurs privés dépensent 180 millions par an sur les APPD, dont 45 millions sont apportés par le secteur privé et dont 30 millions doit être utilisé pour le soutien au secteur de la pêche locale et l’amélioration de la gouvernance des océans local.  http://ec.europa.eu/fisheries/documentation/publications/2015-sfpa_fr.pdf

[6] Commission européenne (b), Ibid.

[7] Africa Progress Panel, « AGRICULTURE, PÊCHE ET CAPITAUX » pp. 89-97, à consulter : http://www.africaprogresspanel.org/publications/policy-papers/rapport-2014-sur-les-progres-en-afrique-2/

[8] FAO, « The Value of African Fisheries », 2014, à consulter : http://www.fao.org/3/a-i3917e.pdf

[9] Sur ce sujet deux articles de la presse sénégalaise : Dakar 24 : http://www.dakar24sn.com/accords-de-peche-senegal-ue-incompetence-ou-laxisme/; Ndarinfo :http://www.ndarinfo.com/Accord-de-peche-Senegal-Ue-Des-pecheurs-expriment-leur-desaccord_a9082.html

[10] Africa Progress Panel, ibid.

[11] Franceinfo, Géopolis, « Polemique sur les accords de pêche entre le senegal et l’Union européenne », à consulter : http://geopolis.francetvinfo.fr/polemique-sur-les-accords-de-peche-entre-le-senegal-et-lunion-europeenne-35365

[12] Euractiv, “Mauritania fisheries deal receives mixed response”,

2016, à consulter: https://www.euractiv.com/section/agriculture-food/news/mauritania-fisheries-deal-receives-mixed-response/

[13] Africa Progress Panel, Ibid.

[14] Euractiv, Ibid.

[15] Africa Nouvelles : « SENEGAL – UE: Accord de pêche – Greenpeace dit non au «bradage» », 2014,

http://www.africanouvelles.com/nouvelles/nouvelles/international/senegal-ue-accord-de-peche-greenpeace-dit-non-au-lbradager.html

[16] EUR-Lex, « Accord de Partenariat entre l’UE et la Maurétanie » : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=uriserv:OJ.L_.2015.315.01.0003.01.ENG&toc=OJ:L:2015:315:TOC

[17] EUR-Lex, « Accord de Partenariat entre l’UE et la Maurétanie » : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=CELEX:22014A1023(01)&from=EN

[18] Voici quelques déclarations de la coalition pour des Accords de Pêche équitables :  http://www.aprapam.org/wp-content/uploads/2014/11/APRAPAM-CFFA-position-sur-laccord-EU-Senegal.pdf ; et : http://www.cape-cffa.org/blog-en-francais/2016/3/24/enjeux-du-nouveau-protocole-daccord-de-pche-ue-mauritanie-petits-plagiques-prises-accessoires-et-appui-sectoriel

[19] IUCN Redlist, Merlu: http://www.iucnredlist.org/details/15522229/0

[20] Africa Progress Panel, p.95

[1] Pour plus d’informations sur la pêche INN : http://www.aefjn.org/index.php/food-sovereignty/articles/illegal-fishing-extracting-wealth-from-west-african-waters.html