Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence.[1] En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.[2]
La terre est au cœur des systèmes sociaux, politiques et économiques africains, où l’agriculture pour la nourriture, l’accès aux ressources naturelles et d’autres activités liées à la terre sont essentiels aux moyens de subsistance. La terre continue également d’avoir une importance historique et spirituelle majeure pour le peuple africain.[3] Ne posséder aucune terre est synonyme de n’être personne dans la communauté. Par conséquent, l’accès à la terre est la forme ultime de sécurité sociale et d’identité pour beaucoup de personnes en Afrique. À une époque, la terre semblait être un atout presque inépuisable, mais la croissance démographique et le développement du marché créent une pression et une concurrence grandissantes pour les ressources foncières, en particulier près des villes et des zones productives à forte valeur.[4] De ce fait, la terre est au cœur des conflits fréquents et de longue durée qui opposent des communautés et mêmes des frères et sœurs d’une même famille. Etre privé de l’exploitation de sa terre ou en être expulsé pour un africain signifie beaucoup plus qu’une perte de propriété.
Le phénomène contemporain d’accaparement de terres correspond aux prises de contrôle d’étendues de terres relativement vastes pour le secteur agroalimentaire et de leurs ressources naturelles par divers mécanismes et sous diverses formes. L’accaparement de terres s’accompagne d’un discours sur le développement et la création d’emplois pour les communautés rurales, mais les répercussions sur les droits humains des habitants sont énormes. L’accaparement de terres aboutit souvent à l’expulsion de personnes de leurs terres et, par conséquent, à diverses formes d’abus et de violations des droits humains. Les populations dépendantes des terres ou des ressources naturelles concernées sont privées de leur jouissance effective ou de l’accès à celles-ci pour leur subsistance.
Lorsque des personnes sont expulsées de leurs terres sans autres possibilités de survie, leurs droits les plus fondamentaux sont violés. Certains de ces droits sont : le droit à une alimentation adéquate et à la nutrition, le droit à l’eau et à l’assainissement, le droit au logement, le droit au travail, le droit de ne pas être privé de ses moyens de subsistance, le droit de participer à la vie culturelle, le droit à un niveau de vie suffisant, le droit à la santé et le droit à l’amélioration constante de ses conditions de vie. Le lien direct entre l’accaparement des terres et la violation du droit humain à l’alimentation est particulièrement intéressant.
Le droit à une nourriture suffisante est un droit humain reconnu par le droit international, qui protège le droit de chacun de manger avec dignité, que ce soit en produisant ses propres aliments ou en les achetant. Pour produire sa propre nourriture, on a besoin d’accéder à la terre, aux semences, à l’eau et à d’autres ressources, et l’acheter, ça nécessite de l’argent et l’accès au marché. Le droit à l’alimentation implique donc que les États créent un cadre favorable qui permette aux individus d’exploiter tout leur potentiel pour produire ou obtenir une nourriture adéquate pour eux-mêmes et leurs familles. Pour ceux qui dépendent principalement de la terre pour leur survie, les droits fonciers sont essentiels pour assurer l’accès aux ressources productives, ce qui est extrêmement important pour la réalisation de leur droit à l’alimentation.[5]
« Le droit à une alimentation adéquate est réalisé lorsque chaque homme, chaque femme et chaque enfant, seul ou en communauté avec autrui, a accès à tout instant, physiquement et économiquement, à une alimentation adéquate ou aux moyens de se la procurer. »[6] L’accès à la terre pour les communautés rurales en Afrique est une condition pour la réalisation d’un niveau de vie suffisant.
Des investissements à grande échelle sur des terres agricoles en Afrique par certains acteurs de l’Union européenne ont été impliqués dans des violations des droits humains. Les cas de Neumann Kaffee Gruppe en Ouganda et de Feronia en République démocratique du Congo (RDC), pour n’en citer que ceux-là, font saigner le cœur à l’infini. Neumann Kaffee Gruppe (NKG) Une société basée en Allemagne a négocié avec le gouvernement ougandais la location de 2 524 hectares de terres en vue de l’établissement d’une plantation de café. Et en août 2011, environ 4 000 personnes de quatre villages du district de Mubende ont été violemment expulsées de leurs terres sur lesquelles elles vivaient depuis des années sans leur consentement ou leur indemnisation. Au cours du processus, de nombreuses personnes sont mortes, d’autres blessées, des maisons détruites et des récoltes dévastées. [7] Feronia Inc, une industrie canadienne de l’huile de palme, a été au centre des préoccupations de la société civile au fil des années en raison de violations des droits humains dans ses opérations en République Démocratique du Congo, où elle a acquis par des moyens fallacieux plus de 100 000 hectares de terres au détriment des communautés.[8]
Mais ce qui dépasse mon imagination, ce n’est pas tant l’acquisition foncière à grande échelle de ces sociétés que l’investissement continu dans les institutions financières de développement de l’Union européenne. Pendant ce temps, l’UE se présente comme un champion de la protection des droits humains. Rien ne peut être plus éloigné de la vérité !
Odile Ntakirutimana
AEFJN Policy Officer
[1] Article 11:1. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels 1966
[2] Article 1 : 2. Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels 1966
[3] LAND IN AFRICA; Market asset or secure livelihood? http://pubs.iied.org/pdfs/12516IIED.pdf
[4] LAND IN AFRICA; Market asset or secure livelihood? http://pubs.iied.org/pdfs/12516IIED.pdf
[5] http://www.srfood.org/en/land-rights
[6] Commentaire général n° 12 du Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels (Comité sur les DESC)
[7] https://www.fian.be/Ouganda-15-ans-et-toujours-aucune-reparation-pour-les-communautes-Mubende
[8] https://www.entraide.be/Accaparement-de-terre-au-RD-Congo-les-communautes-locales-sous-pression