J’emprunte les paroles de cette célèbre chanson des Beatles pour avoir une vision du processus mené aux Nations unies vers un traité contraignant sur les affaires et les droits de l’homme. Le 27 octobre dernier, la troisième session du groupe de travail intergouvernemental sur les sociétés transnationales et les droits de l’homme s’est achevée à Genève. Ce groupe de travail à composition non limitée a été créé par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies dans une résolution adoptée en juillet 2014. Ce chemin a déjà commencé de manière tortueuse, avec 20 voix pour, 14 contre et 13 abstentions. Souvenons-nous que parmi les votes contre il y avait 12 Etats européens et aucun parmi les Africains et que parmi les 20 votes en faveur nous avons trouvé 10 Etats africains et aucun Européen. Incroyable, n’est-ce pas?

Il y a eu des sessions une fois par an depuis 2015, lorsque le groupe de travail a été créé. Les deux premières sessions visaient à se mettre d’accord sur le contenu, la portée, la nature et la forme du futur instrument international. La troisième session a travaillé sur le projet de document d’éléments du futur instrument. Le président-rapporteur est disposé à recueillir des commentaires et des propositions sur le projet de la part des Etats et des différentes parties prenantes. Il présentera ensuite un projet d’instrument juridiquement contraignant sur la base de ces contributions. Ce projet est censé avoir lieu au moins quatre mois avant la quatrième session du groupe de travail pour les négociations de fond. Nous pourrions dire que nous sommes à l’entrée d’un carrefour dans lequel nous pourrions être bloqués longtemps, ou si tout va bien, nous continuerons jusqu’à une bonne fin des négociations. La communauté internationale doit être consciente de l’importance de ce dilemme.

C’est donc la troisième année que ce groupe de travail tient une session or le voyage n’a pas commencé en 2014 mais bien avant. En fait, il y avait un Représentant spécial du Secrétaire général sur la question de 2005 à 2011. Cette année a été le début d’un nouveau tronçon de la route, à partir de là légèrement pavé, avec l’approbation par le Conseil des droits de l’homme des principes directeurs sur les entreprises et les droits de l’homme. Un groupe de travail des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme qui a été créé dans la même résolution ne doit pas être confondu avec le groupe de travail intergouvernemental. Ce groupe composé de cinq experts indépendants vise à promouvoir la mise en œuvre des principes directeurs, à encourager les bonnes pratiques et le renforcement des capacités sur ces principes. Il est donc en charge d’un forum annuel organisé à Genève depuis 2011 pour rassembler les Etats; entreprises commerciales et associations, organisations de la société civile, syndicats, universitaires, médias, etc., réunissant plus de 2 000 participants. Le très récent forum de cette année a traité de la nécessité d’assurer l’accès à des remèdes efficaces pour les victimes de violations des droits de l’homme liées aux affaires. Le remède est le troisième pilier du système des principes directeurs, les autres piliers sont le devoir de l’État de protéger et la responsabilité des entreprises de respecter.

En attendant, les Africains ne se tiennent pas seulement sur le bord de la route mais continuent leur vie quotidienne souvent menacée par de grands projets d’entreprises dans la mesure où ils ont des conséquences directes sur leurs terres, leurs moyens de subsistance, leur santé, leurs conditions de travail, etc. Les sociétés transnationales peuvent désirer mettre de côté la population lorsqu’elles ont besoin de commencer un nouveau projet extractif, hydroélectrique, d’usine ou de plantation, car il est largement prouvé qu’elles l’ont fait par le passé. Au lieu de cela, elles trouvent de plus en plus souvent des objections et une résistance active des habitants du lieu choisi. Mais c’est précisément à ce stade que d’autres droits sont en difficulté ; droit à des protestations pacifiques, information correcte, accès à la justice, compensations équitables, et réparations environnementales adéquates, etc. En dépit des principes directeurs, les Etats restent inhibés dans bon nombre de ces cas, ignorant leur devoir de protéger les droits de l’homme et facilitant donc l’impunité des activités nuisibles des grandes entreprises telles que la pollution et la dégradation de l’environnement, l’accaparement des terres, l’utilisation de main-d’œuvre esclave ou des normes de travail peu satisfaisantes et indécentes.

C’est pourquoi une action internationale forte est nécessaire pour mettre ces principes écrits en action et un traité contraignant serait la bonne façon de le faire. Ce serait également une grande réussite pour le développement humain durable. Comme dans le cas du changement climatique, nous sommes dans une course contre la montre. En fait, nous perdons des gens en route et nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer les droits de la personne pendant si longtemps. La diplomatie prend son temps pour progresser. Les grandes entreprises ont tendance à s’adapter aux nouvelles exigences, surtout lorsqu’elles sont obligées de le faire. Les États et les entreprises doivent tous deux ressentir la pression des communautés locales affectées et des organisations de la société civile pour avancer dans la bonne direction.

Nous sommes confrontés à une opportunité majeure d’améliorer le système de protection des droits de l’homme en droit international. Les défenseurs des droits de l’homme et les organisations non gouvernementales doivent poursuivre leurs efforts conjoints pour élargir le mouvement vers la réalisation de ce traité contraignant. Il n’est pas facile d’amener le débat public au niveau national car il n’est pas souvent considéré comme une question urgente. Des efforts supplémentaires pourraient être faits pour sensibiliser à la citoyenneté et empêcher que ce traité contraignant ne soit considéré comme un niveau technique spécifique réservé aux experts. Les organisations européennes de consommateurs pourraient à nouveau jouer un rôle important dans cette direction. Et une initiative interparlementaire a également été lancée pour rassembler dans un réseau des parlementaires du monde entier pour montrer leur soutien au traité.

Les citoyens vulnérables sont en danger lorsqu’ils marchent sur des routes sombres et isolées lorsque des bulldozers s’approchent. Mais, c’est certain, la longue et sinueuse route vers un traité contraignant n’est pas une voie solitaire. Cette route pourrait mener nulle part ou, avec un peu de chance, assurer la primauté des droits de l’homme sur le commerce et les profits privés. Préserver cette primauté devrait être raisonnable à ce stade de l’histoire humaine. D’ici là, les victimes de violations des droits humains de la part des entreprises pourraient se joindre au chœur et nous demander pourquoi nous les avons laissées là.

La nuit sauvage et venteuse

Que la pluie a effacée

A laissé une rivière de larmes

pleurant pour la journée

Pourquoi me laisser debout ici?

Montrez-moi donc le chemin

 

Alfredo Marhuenda

AEFJN Policy Officer