Introduction : l’extractivisme

 

L’Afrique subit plusieurs formes de pillage de ses ressources : notamment du pétrole, des minerais, des produits agricoles et forestiers et des réserves halieutiques. On sacrifie les terres fertiles et les ressources naturelles ainsi que les ressources aquatiques sur l’autel de la croissance infinie qui repose sur une production et une consommation débridées des marchandises. Fournisseurs de main d’œuvre bon marché et/ou fournisseurs de matières premières ou de terres à bas prix, les pays en développement se retrouvent souvent dans les échelons mal rémunérés des chaînes de valeurs mondiales, tandis que la majeure partie de la valeur ajoutée est réalisée ailleurs ; sans parler des pertes économiques, des frais sociaux et environnementaux qui sont souvent à charge des pays en développement. Un bon exemple illustrant cette exploitation est donné par le spectacle d’une mine de cuivre désertée par une compagnie extractive lorsqu’elle n’est plus rentable: elle a extrait ce dont ella avait besoin, puis elle est partie en abandonnant derrière elle un site détruit et pollué.[1]

 

L’extractivisme financier: Les fonds vautours

 

Dans ce numéro des Echos, nous abordons le thème de pillage financier, plus particulièrement à cause des fonds vautours. L’Afrique souffre de la fuite des capitaux provoquée par différents mécanismes, par exemple les flux commerciaux illicites provoqués par les pratiques des entreprises multinationales telles que : les prix de transfert, le rapatriement de bénéfices et l’évasion fiscale dont les paradis fiscaux sont au cœur. En plus de cela, les fonds vautours constituent un autre mécanisme qui contribue au pillage des trésoreries des pays africains.

 

Les fonds vautours achètent des créances sur les marchés secondaires aux Etats créanciers au moment où les Etats débiteurs risquent de se retrouver en défaut de paiement ; confrontés à ce risque, les Etats créanciers sont plus inclinés à se débarrasser de leurs titres et de les vendre à bas prix sur les marchés secondaires. Les fonds vautours cherchent à acheter les créances à ce stade-là, l’objectif principal étant de réaliser des marges bénéficiaires les plus élevées possibles. Ensuite, les fonds vautour refusent de participer et d’accepter la restructuration des dettes des pays débiteurs dont ils détiennent des titres de créance. En général les fonds vautours réclament le remboursement de la totalité de la créance détenue, c’est-à-dire le principal plus les intérêts et les éventuels arriérés de paiement.[2]

 

Clairement, le refus de la part des fonds vautours de participer aux plans de restructuration compromet l’obtention d’un échéancier et d’un allègement de la dette pour le pays en question. Ceci est particulièrement pénible pour les pays en développement qui veulent se relancer économiquement, mais qui sont entravés dans cette volonté par le lourd fardeau de la dette, parfois même s’il s’agit d’une dette odieuse.[3]

 

Les fonds vautours attendent cyniquement le moment où leur victime sera la plus vulnérable pour demander le remboursement complet de la dette: par exemple quand un pays débiteur est confronté à une flambée des dettes extérieures, ou à une récession économique, ou à une hyperinflation, etc. Les fonds vautours portent plainte alors devant les tribunaux ; souvent les procédures sont longues, complexes et coûteuses pour les Etats débiteurs. Lorsque la justice tranche en leur faveur, les fonds vautours saisissent les biens de l’Etat en question.[4] Ainsi, les fonds vautours réalisent d’énormes bénéfices (d’environ 300% à 2000%[5]). Ces marges bénéficiaires sont réalisées sur base de la grande différence entre le prix de rachat des créances et le paiement obtenu des Etats débiteurs. Ensuite ces profits sont logés dans des paradis fiscaux. Selon le Rapport Ziegler, l’Afrique est le continent le plus ciblé par les fonds vautours, avec huit actions par an portées devant la justice et souvent perdues par les pays africains débiteurs.  L’argent ainsi encaissé par les fonds vautours représente de 12 à 13% du PIB des pays africains ![6]

 

Au début des années 80, la Zambie souffrait des prix mondiaux très bas du cuivre, ce qui entraînait une pénurie en devises étrangères et des problèmes au niveau du service de la dette extérieure. En 1984, le gouvernement zambien se déclara en cessation de paiement pour une dette contractée vis-à-vis de la Roumanie. Cette dette fut rachetée par un fonds vautour en 1999. Initialement, en 2003, le gouvernement zambien trouva un accord avec le fonds vautour. Néanmoins, après avoir payé $ 3,4 millions au fonds vautour, le gouvernement zambien cessa de payer sa dette en raison des circonstances opaques (soupçons de corruption) dans lesquelles l’accord avait été conclu. Le fonds vautour porta plainte alors devant un tribunal britannique et obtint gain de cause en 2006 ; suite au jugement favorable, il fit un bénéfice de 370% ! [7]

 

Ce genre de jugement compromet clairement la capacité des pays africain à financer leurs services publics tels que l’éducation, la santé, l’accès à l’eau, l’assainissement, l’alimentation, le logement et la réduction de la pauvreté, car les fonds budgétisés à cet effet doivent être réaffectés au service de la dette. Dans l’exemple de la Zambie, les fonds vautours se sont accaparés de quelques 15%[8] du budget de la protection sociale. Un autre exemple vient de la RDC où un fonds vautour a obtenu le remboursement de $70 millions sur une dette initiale de $ 18 millions[9] encourue du temps du président Mobutu, ce qui augmenta la pression sur les finances publiques du pays.

 

Heureusement, les mentalités évoluent et le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en appelle à un mécanisme international de restructuration des dettes souveraines, pour couper l’herbe sous les pieds des fonds vautours. Un autre projet intéressant concerne la Facilité africaine de soutien juridique de la Banque  africaine de développement pour aider les pays africains à faire face aux fonds vautours. Certains pays comme la Belgique ont adopté des législations visant à éliminer les facteurs incitants pour les fonds vautours.  Cette loi stipule en effet que, dans le cas où il y existe « une disproportion manifeste » entre la valeur de rachat de la créance et les sommes ou la valeur nominale demandées ensuite par le créancier (en l’occurrence le fond vautour) au pays débiteur, le créancier ne peut exiger que le prix du rachat.[10] Les fonds vautours contestent cette loi belge et l’ont attaquée devant la Cour constitutionnelle belge.

 

Conclusion 

 

Clairement les fonds vautours détournent les fonds destinés au développement et aux services publics de base. Du point vue politique, la charge financière imposé aux pays débiteurs réduit leurs souveraineté économique et sociale parce qu’à coté de l’obligation de rembourser les fonds vautours, ces pays deviennent davantage dépendant des prêts des institutions financières internationales et de leurs conditions. Finalement si on rajoute les fonds vautours aux montants des autres flux financiers illicites, on comprend facilement que, pour changer la donne, on doit chercher à stopper toutes le causes de l’hémorragie financière catastrophique dont sont victimes les pays africains.

 

Gino Brunswijck

Chargé de plaidoyer

 


[1] Bednik, Anne, « Une Dette qui ne sera jamais payée », CADTM, « Dette écologique & extractivisme », AVP N° 67, 2016, pp. 10-17, à consulter : http://www.cadtm.org/Dette-ecologique-Extractivisme

[2] Présentation CADTM par R.Vivien, le 26 octobre 2016, Bruxelles.

[3] Principe de droit international stipulant : « de droit international relatif à une dette contractée par un régime, et qui sert à financer des actions contre l’intérêt des citoyens de l’État et dont les créanciers avaient connaissance. », consulté à Wiki https://fr.wikipedia.org/wiki/Dette_odieuse

Pour plus d’informations, voir le site : http://www.cadtm.org/Dette-odieuse,760

[4] Présentation CADTM, ibid.

[5] Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, 33ème session, « Rapport du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme sur les activités des fonds vautours et leurs incidences sur les droits de l’homme », A/HRC/33/54, 20 juillet 2016, http://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/33/54

[6] Nations Unies, Ibid.

[7] Nations Unies, Ibid.

[8] Nations Unies, Ibid.

[9] Nations Unies, Ibid.

[10] Pour les autres conditions qui doivent être remplies à cet effet, regardez : point 38, p.12 « du rapport Ziegler » : http://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/33/54