Le 07 février 2018, AEFJN et quelques organisations de la société civile en Europe ont lancé un nouveau rapport qui radiographie les conséquences socio-économiques du modèle de consommation mondiale croissante d’huile de palme. Mon attention dans le rapport porte en particulier sur le modèle de consommation de l’Union Européenne et ses conséquences négatives potentielles sur la souveraineté alimentaire de l’Afrique, ses impacts écologiques, les bouleversements socio-économiques et la migration sans précédent vers l’Europe.

La consommation européenne d’huile de palme a doublé ces derniers temps, atteignant un record de 6,5 millions de tonnes en 2016, faisant de l’UE le deuxième plus gros importateur et le troisième plus grand consommateur mondial. La consommation européenne d’huile de palme est inquiétante à cause du produit final. Alors que les autres consommateurs l’emploient principalement dans l’industrie alimentaire et cosmétique ou dans les industries de la finition et de l’entretien des maisons, l’UE emploie principalement la sienne pour le biodiesel. L’objectif du Parlement Européen de faire en sorte que 10% du carburant de transport de chaque pays de l’UE provienne de sources renouvelables telles que les biocarburants impose que sa consommation continue d’augmenter dans les années à venir.

Bien qu’il existe d’autres sources d’huile végétale que l’huile de palme et que les palmiers ne prospèrent que dans certaines régions du monde comme l’Asie de l’Est (Indonésie et Malaisie qui approvisionnent 85% du marché mondial actuel de l’huile de palme), l’Amazonie, la région des Grands lacs d’Afrique et quelques autres régions d’Afrique, le marché préféré pour l’Europe est l’Afrique. Les raisons ne sont pas difficiles à comprendre. Tout d’abord, il est relativement moins cher de produire de l’huile de palme avec un rendement supérieur dans un hectare de terre qu’avec d’autres sources d’huile végétale comme le soja qui prospèrent en Europe. Deuxièmement, pour des raisons historiques, l’UE se tournera vers l’Afrique pour répondre à sa demande croissante de biodiesel.

La pensée de l’Europe faisant de l’Afrique son marché de prédilection est comme un nuage menaçant sur le continent africain qui se débat encore avec l’exploitation économique précédente de ses ressources naturelles. Qu’est-ce que la nouvelle peur fait ici? La croissance démographique rapide de l’Afrique est actuellement d’environ 1,2 milliard et pourrait être, selon certaines estimations, de plus de 4 milliards en l’an 2100. En outre, il est probable que le changement climatique affectera l’Afrique plus que toute autre région du monde. La conséquence anticipée est que la sécheresse rendra la production agricole impossible dans certaines régions du continent. Avec le scénario émergent, mettre plus de pression sur les terres agricoles et les forêts africaines en vue de la production d’huile de palme pour la consommation européenne de biodiesel avec ses conséquences socio-économiques négatives sur l’Afrique va aggraver la migration des personnes à l’intérieur de l’Afrique et vers l’Europe à une échelle qui pourrait menacer la stabilité politique de l’Europe. L’impact se fait déjà sentir sur la région des Grands Lacs en Afrique à la suite de la forte déforestation entreprise pour faire place à la production d’huile de palme.

Encore une fois, c’est une source de préoccupation! Elle remet en question les différentes coopérations de développement entre l’UE et l’Afrique facilitant l’accaparement des terres en Afrique pour le soi-disant développement agricole, l’utilisation des fonds européens de développement en Afrique, le fossé entre les intentions politiques de l’UE envers l’Afrique et les impacts sur les vies des personnes, en particulier les plus vulnérables. Sans aucun doute, le fait que le biodiesel est renouvelable ne suggère pas qu’il est durable. La durabilité n’a de sens que dans le contexte de la durabilité de l’ensemble de l’écosystème. L’option de l’UE pour les biocarburants est bonne pour la planète mais le choix de l’Afrique comme source de matières premières soulève quelques questions. Peut-être, la question la plus importante est de savoir si la destruction des forêts africaines pour faire place à la plantation d’huile de palme est un moyen authentique de réduire les empreintes de carbone de l’Europe? Évidemment, il s’agit davantage du transfert de la cause du réchauffement climatique à une région faible déjà très vulnérable aux impacts. Il y a aussi l’autre effet à long terme de forcer les Africains à émigrer pour survivre; curieusement, l’Europe est devenue la destination de choix.

D’un point de vue éthique, le choix du bien personnel (bien du groupe) par-dessus le bien commun dans tout processus d’élaboration de politiques est un choix délibéré pour blesser notre humanité partagée. L’anthropologie chrétienne place l’imago Dei à la base des décisions socio-économiques, et ainsi des décisions contraires au statu quo représentent une infidélité à cette valeur fondamentale. Une société juste et pacifique n’est possible que lorsque le respect de la valeur fondamentale de la personne humaine devient le centre de gravité économique. C’est la valeur éthique qui clarifie le choix entre l’argent en tant que moyen et l’argent en tant que fin en soi, et met fin à la confusion de la réalité virtuelle avec la réalité elle-même.

En résumé, notre position préconise que tous les intervenants soient dûment pris en considération. AEFJN soutient la quête de l’UE pour une réduction de l’empreinte de carbone grâce aux options de biocarburants. Cependant, il doit s’agir d’une réduction authentique et non d’un transfert de charge aux nations les plus pauvres. Nous considérons que, compte tenu des antécédents historiques de l’Afrique comme source de matières premières de l’UE, la décision tacite et systématique de remplacer les forêts africaines par des plantations de palmiers pour soutenir cette poussée de biocarburants entraîne un coût humain et environnemental énorme à long terme. C’est un coût d’opportunité qui n’affectera pas l’Europe dans l’immédiat mais qui aura un effet boomerang, car il affectera négativement le capital humain et l’environnement de l’Afrique.

Chika ONYEJIUWA