« Nous avons besoin de promouvoir des systèmes alimentaires durables (…) et de préserver l’environnement : l’agroécologie peut aider à y parvenir« [1]

Un système alimentaire durable garantit le droit à l’alimentation, le respect de la souveraineté alimentaire, une alimentation saine et suffisante pour les générations présentes et futures en assurant aussi un accroissement économique.

La souveraineté alimentaire est le droit des peuples, des communautés et des pays de définir, dans les domaines de l’agriculture, du travail, de la pêche, de l’alimentation et de la gestion forestière, des politiques écologiquement, socialement, économiquement et culturellement adaptées à leur situation unique. Elle comprend le droit à l’alimentation et à la production d’aliments, ce qui signifie que tous les peuples ont le droit à des aliments sûrs, nutritifs et culturellement appropriés et aux moyens de les produire et qu’ils doivent avoir la capacité de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs sociétés.

La meilleure approche pour construire et soutenir des systèmes alimentaires durables est l’agroecologie. L’agroécologie ne se limite pas à la production alimentaire durable, mais inclut la préservation de l’éthique culturelle, des valeurs éthiques et des rituels qui font partie de l’identité de la population. Elle est basée sur la défense de l’éthique de la vie, la transformation collective et le respect du modèle d’être et de vivre, alors qu’elle vise à lutter pour la terre et la souveraineté alimentaire.[2] L’agroecologie a des impacts sociaux et environnementaux positifs démontrés qui sont de plus culturellement adaptés tout en prévenant la malnutrition et en améliorant la qualité des aliments et la diversité des nutriments.

Le développement durable qu’elle inspire prend en compte non pas de la seule dimension économique, mais également des dimensions environnementale et sociale du développement. Elle assure l’indépendance et l’autonomie des productrices et producteurs, un accès équitable aux ressources et à la terre, ainsi que des revenus décents et des prix justes. Dans le souci de répondre aux exigences climatiques, le système alimentaire durable qu’inspire l’agroecologie respecte les limites de la planète, la biodiversité et conserve les écosystèmes, les sols, les nappes phréatiques, cours d’eau et océans. Il met une attention particulière à l’utilisation des sols et plus précisément à la lutte contre la déforestation. Il est plus résilient face aux changements climatiques, respecte l’agriculture dans toute sa diversité c’est dire qu’il laisse une place aux pêcheurs, aux pasteurs, aux peuples autochtones. Les communautés et les organisations paysannes participent dans la prise de décision et la définition des systèmes alimentaires. La dimension culturelle y joue aussi un rôle primordial ; les systèmes alimentaires doivent refléter les choix culturels des populations et leur tenir à cœur.[3]

 

L’approche holistique de l’agroecologie est particulièrement bien adaptée aux réalités environnementales et socio-économiques de l’agriculture familiale en Afrique. En Afrique, l’agriculture est au centre de la cohésion sociale. Loin d’être simplement une activité en soi ou seulement orientée vers l’économie, elle initie et maintient des liens de solidarité et d’entraide entre les gens. Surement qu’un développement durable pour l’Afrique doit s’inscrire dans cette ligne où les gens continuent à renforcer les liens de leur unité et à porter ensemble leurs valeurs culturelles et sociales qui font leur identité. L’Afrique a besoin d’un système alimentaire qui renforce la sécurisation et l’accès à la terre et aux autres moyens de production pour toutes et tous ainsi que des techniques de conservation de ses récoltes pour éviter les gaspillages alimentaires.

Les systèmes alimentaires mettant en avant la logique de production de l’agrobusiness par l’agriculture intensive nécessitent de nombreux intrants et ressources. Un tel modèle d’agriculture détruit la nature, envahit les territoires, exploite les travailleuses et travailleurs et rendent pire la situation des pauvres paysans. Il est reconnu que  l’espace rural abrite de multiples espèces animales et végétales, une biodiversité qui est essentielle à son développement durable. Afin d’éviter l’impact négatif de certaines pratiques agricoles, l’Union européenne encourage les agriculteurs à adopter des pratiques durables et respectueuses de l’environnement, mais il est inquiétant de constater que l’UE n’a pas insisté sur une voie environnementale aussi importante pour les investissements des entreprises agricoles européennes en Afrique.

IPES-food a récemment publié un rapport basé sur une recherche participative impliquant des agriculteurs, des entrepreneurs de l’industrie alimentaire, des activistes de la société civile, des scientifiques et des décideurs.[4] Ce rapport vise à élaborer une nouvelle politique agricole commune englobant l’ensemble du système alimentaire et associant la production, la transformation, la distribution et la consommation alimentaire. Il présente une alternative vers une transition en douceur vers la durabilité et fournit des exemples concrets de communautés en rupture avec l’agriculture industrielle. L’un des cinq objectifs visés par le rapport est de mettre le commerce au service du développement durable. Jusqu’à présent, les politiques agro-commerciales de l’UE ont défendu les intérêts des industries d’exportation puissantes, poussant les pays en développement vers une production de produits de base d’exportation préjudiciables à la société et à l’environnement, tout en compromettant leur capacité à suivre des voies de développement durable.

Des mesures courageuses sont nécessaires, telles que la suppression des incitations à la PAC faussant les échanges, le renforcement des clauses de durabilité dans les accords commerciaux, en veillant à ce que les importations de produits alimentaires de l’Union européenne soient exemptes de déforestation, d’accaparement des terres et de violations des droits. Cela signifie donner la priorité aux gens et à la planète, en osant négocier des accords de commerce durable plutôt que des accords de libre-échange.

Pour la pensée standardisée de la Commission européenne, il n’est pas facile de réfléchir avec ouverture à cette voie qui imagine un jeu gagnant-gagnant dont bénéficieraient à la fois des peuples d’Europe, d’Afrique et d’autres continents. Une Europe dirigeante et renforcée pourrait emprunter cette voie en encourageant une politique alimentaire mondiale visant à nourrir ceux qui ont faim tout en sauvant la planète.

 

Odile Ntakirytimana

AEFJN

[1] José Graziano da Silva ; Directeur-général de l’Agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) José Graziano da Silva : https://www.rtbf.be/info/societe/detail_agriculture-l-onu-se-convertit-a-l-agroecologie?id=9883632

[2] https://viacampesina.org/fr/agroecologie-lutte-defendre-vie/

[3] Coalition contre la Faim, Position Paper – décembre 2018; Systèmes alimentaires durables au Sud Obstacles et pistes pour relever le défi

[4] http://www.ipes-food.org/pages/CommonFoodPolicy